Nous sommes au village d’Al-Wafa à l’est de Samallout, au gouvernorat de Minya. Une vingtaine de paysans sont assis à même le sol tout près d’une pancarte sur laquelle est inscrit « Farmer Field School (FFS) » (école pratique d’agriculture). Ce rendez-vous a lieu tous les 15 jours. Et la séance dure entre une heure et demie et deux heures. Le choix de ces fermiers n’a pas été fait au hasard. Ils doivent habiter le même village et pratiquer le même type de culture. « Cette école permet aux agriculteurs d’élargir leurs connaissances tout en parlant de leurs problèmes et des défis à relever face aux changements climatiques. Ils n’ont pas besoin de professeur pour étudier les théories d’apprentissage, plusieurs facteurs sont en cause et peuvent être identifiés sur terrain. Chaque paysan s’est forgé sa propre expérience. Agissant avec discernement tout en tenant compte de l’état du sol et des besoins de son terrain agricole en éléments nutritifs, il sait comment l’entretenir, le protéger des insectes et des mauvaises herbes et le rendre fertile », précise Mohamad Moussa, responsable de communication à l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Mohamad Moussa donne un exemple : la participation des agriculteurs habitués à cultiver le blé à ces cours est nécessaire, car le projet consacre un terrain expérimental pour suivre le cycle de vie du blé, à commencer par les semences qui sont mises en terre jusqu’à la récolte du blé. Dans cette école, une « année scolaire » peut ainsi comprendre 18 séances, selon la saison et la culture, depuis le semis jusqu’à la récolte.
Sensibiliser au changement climatique
Mais comment se passent ces cours pratiques ? « Le programme est basé sur l’expérience des agriculteurs eux-mêmes. Il s’agit d’échanger des idées, de partager leurs expériences, et au cas où ils ne pourraient pas résoudre un problème agricole, on fait venir un expert », répond Emad Ismaïl, directeur du projet des écoles pratiques d’agriculture.
Ce projet a pour objectif d’améliorer les revenus de 3 440 agriculteurs au sein de 4 gouvernorats : Kafr Al-Cheikh au Delta, Béni-Soueif, Minya et Assouan en Haute-Egypte. Il s’applique sur des terrains de réhabilitation agricoles modernes. Les agriculteurs doivent adopter une stratégie intelligente convenant au changement climatique et augmentant la productivité. C’est-à-dire avoir des solutions durables aux maux actuels. « Les défis sont énormes, on fait face à des difficultés croissantes liées à la sécurité alimentaire, des risques qui pèsent sur les ressources naturelles. A cela s’ajoutent les effets du changement climatique. C’est pourquoi il est important de faire participer les agriculteurs à la prise de décision et de soutenir des solutions adaptées au contexte de chaque communauté, afin d’accélérer le pas vers le développement des modes durables de production et de consommation », souligne Abdel-Hakim Al-Waer, directeur général adjoint à la FAO et représentant régional pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord.
L’école pratique d’agriculture permet de mesurer des défis rencontrés par les agriculteurs et d’y chercher des solutions. (Photo : Yasser Al-Ghoul)
Théorie et pratique
La FAO a créé des écoles pratiques d’agriculture dans 70 Etats. Les premières ont fait leur apparition en 1989, après qu’une Philippine a rencontré un problème lors de la récolte de riz et que les fermiers ont fini par résoudre, alors que des spécialistes dans le domaine agricole n’ont rien pu faire.
Chaque fois, la FAO choisit un facilitateur du même village. Ce dernier doit suivre un petit stage pour apprendre à gérer les rencontres entre les fermiers et prendre note de leur présence, au bout de 4 absences, l’« élève » est exclu. « Je rappelle à l’ordre les agriculteurs et leur demande d’écouter attentivement les remarques des participants. En fait, je dirige les discussions sans interférer. Je note les détails des résultats obtenus et je décris la qualité des plantes récoltées », explique Mohamad Samir, facilitateur. A la fin de la séance, Samir organise un jeu dynamique qui pousse les agriculteurs à bien réfléchir face à des situations difficiles et savoir prendre une décision rapide pour prévenir le risque de perte. Ce jeu a également pour objectif de distraire les participants et renforcer les relations sociales entre les agriculteurs.
Tableau, marqueur, un flip chart sur lequel les fermiers collent des échantillons d’insectes ou de plantes. « Le flip chart ou le tableau à feuilles mobiles aide les fermiers à découvrir et enregistrer les changements qui peuvent avoir lieu dans les champs agricoles, comme la présence de mauvaises herbes, l’invasion d’insectes ou le fait de signaler le taux de propagation et l’impact de la maladie sur la plante », souligne Emad Ismaïl. Le terrain expérimental du projet est réparti en plusieurs parties, et chaque groupe d’agriculteurs pratique une culture du même type, mais de manière différente.
L’école pratique d’agriculture d’Al-Wafa à Minya a choisi le système d’irrigation goutte à goutte pour le blé. « L’école nous a autorisés à tester les 3 types d’irrigation : goutte à goutte, aspersion, submersion. La partie réservée à la culture du blé avec irrigation goutte à goutte a poussé plus vite, les tiges étaient bien vertes et ne portaient pas de feuilles jaunes », décrit Abou-Younès, propriétaire de 5 feddans. Ce qui lui a permis de faire beaucoup d’économie. En effet, Abou-Younès a baissé de 60 % la consommation en eau et de 33 % l’utilisation des engrais minéraux. En outre, le système d’irrigation goutte à goutte a donné une récolte atteignant les 4 500 kg de blé au lieu de 2 700 kg.
L’école pratique d’agriculture a ainsi aidé les cultivateurs à réduire leurs dépenses, améliorer leurs récoltes et augmenter leurs revenus. « L’école nous a appris comment réfléchir de façon logique et gérer nos terres agricoles. D’abord, je dois noter sur papier les frais de dépenses effectués tout en essayant de trouver des alternatives aux composants chers, afin de rehausser la rentabilité de la terre agricole. Jadis, je ne faisais pas la différence entre la perte et le bénéfice, je cultivais en suivant les anciennes techniques, même si un inconvénient persiste », raconte Ibrahim Nagah, jeune agriculteur.
Le programme est élaboré d’après l’expérience des fermiers eux-mêmes. (Photo : Yasser Al-Ghoul)
Privilégier l’étude
L’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture a commencé à créer des écoles pratiques d’agriculture en Egypte en 2018, en coopération avec le projet d’investissement agricole durable et d’amélioration des moyens de subsistance (SAIL) et le Fonds International de Développement Agricole (FIDA).
Ces écoles enseignent les avantages et inconvénients des différents systèmes d’irrigation, surtout face au défi de garantir un quota en eau potable pour l’être humain. Les agriculteurs ont fini par comprendre que le système d’irrigation par submersion fait perdre les engrais et que l’eau en excès s’évapore ou peut entraîner le pourrissement des racines. « Le taux de réussite de ces écoles atteint les 90 %, et je peux certifier que 20 % des écoles ont réalisé de bons résultats avec des idées créatives », précise Emad Ismaïl. Exemple : les agriculteurs ont transmis leur expérience dans le domaine de la résistance aux maladies en utilisant l’ail et le piment fort. « A la saison de la récolte de l’ail, il y a 2 ans, le prix de vente était à bon marché, alors que la cueillette coûtait beaucoup plus cher. J’ai moulu une grande partie de l’ail pour la conserver comme engrais pour le sol. Le résultat était surprenant, en constatant que cette zone n’avait subi ni infection, ni la célèbre moisissure des racines », explique Al-Demerdachi. Cet agriculteur est un ancien élève de l’école d’agriculture. Il ajoute qu’actuellement, beaucoup d’agriculteurs pressent l’ail et l’injectent dans les tubes d’irrigation goutte à goutte. « En analysant la récolte qui a subi cette injection d’ail, on a constaté que les tomates pouvaient être exportées dans les pays européens, car ces légumes n’avaient pas été exposés à l’utilisation abusive de pesticides », commente Emad Ismaïl.
D’un autre côté, l’école pratique d’agriculture a facilité le contact avec les usines agroalimentaires pour éviter aux agriculteurs d’avoir recours aux commerçants qui servent en général d’intermédiaires. « Le fait de négocier directement avec l’usine permet de faire plus attention à la période favorable de la récolte pour que la production obéisse à des normes spécifiques exigées par l’industrie alimentaire », explique Mohamad Chawqi. Il cite l’exemple de sa production de marjolaine qui doit être cueillie bien verte, afin d’assurer que le taux des huiles aromatiques soit plus évident. Le fait de répondre aux besoins du marché a augmenté le taux de bénéfice de 3 000 L.E. par tonne.
L’école pratique d’agriculture a ouvert de nouveaux horizons de coopération entre les agriculteurs. Les villageois de Minya veulent rejoindre une autre école pour apprendre à cultiver le maïs levantin, diversifier donc leurs récoltes et garantir de meilleurs revenus. Il est prévu d’honorer les participants dans cette école en leur offrant des pulvérisateurs à dos électriques utilisés pour fertiliser ou soigner les plantes infectées.
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