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L’autre combat de Baheya

Dina Bakr , Dimanche, 30 avril 2023

Depuis sept ans, parallèlement aux traitements, la fondation Baheya fournit un soutien psychologique aux femmes qui combattent le cancer du sein grâce à des ateliers d’artisanat auxquels participent malades et rescapées. Des moments d’échange, de soutien et de créativité.

L’autre combat de Baheya
S’entraîner dans la fabrication des bijoux aide à remonter le moral des malades. (Photo : Moustapha Emeira)

Dans une ambiance détendue, plusieurs femmes sont regroupées autour d’une table sur laquelle est posée une grande trousse remplie de bijoux et accessoires fabriqués à la main. Au centre, des pinces à ruban, de petites assiettes remplies de perles de différentes couleurs et des embouts de cordon pour finir élégamment les colliers, les bracelets et les chapelets qu’elles vont fabriquer. Ces battantes contre le cancer du sein sont devenues des amies. Elles échangent leurs expériences, se donnent mutuellement des conseils. Les sourires et les regards affectueux échangés sont des messages de soutien moral face à la maladie. Mais elles sont d’abord là pour confectionner différents types d’accessoires ou de produits artisanaux.

C’est grâce à Baheya, un hôpital qui fournit des traitements médicaux gratuits aux femmes atteintes du cancer du sein, que des ateliers d’artisanat ont été créés. Une autre façon de lutter contre la maladie. « Je venais de terminer ma séance de chimio, lorsque ma fille est rentrée de l’école et m’a montré un collier que sa camarade lui a vendu. J’ai réagi en disant qu’il coûtait cher et que j’étais capable de fabriquer moi-même un objet pareil et bien plus joli. Elle m’a incitée en me demandant de lui montrer mon savoir-faire », raconte Samah, 47 ans. La fille et sa maman se sont rendues dans les magasins d’Al-Azhar, proches de leur lieu de résidence, et ont acheté des perles et un rouleau de ruban. Puis, elle s’est connectée sur YouTube pour apprendre les différentes étapes de fabrication d’un accessoire et relever le défi. « Prouver que je suis capable de confectionner un bijou, surtout lorsque quelqu’un attend le fruit de mon travail, a boosté mon énergie et m’a fait oublier les effets de la chimiothérapie », dit Samah. Etant satisfaite du résultat, elle s’est rendue au département de soutien psychologique à Baheya pour montrer son premier bijou fait main. Ce fut le point de départ de Samah, et c’est ainsi qu’elle a décidé de créer des ateliers d’artisanat pour les femmes qui luttent contre le cancer. Elle est devenue chef de groupe, et aujourd’hui, elle apprend aux femmes comment corriger les défauts de chaque accessoire. Un apprentissage par l’expérience et grâce à la toile. Et même après l’atelier, elles se retrouvent sur WhatsApp pour mettre au clair certains détails, apprendre un procédé de fabrication ou choisir la couleur qui va avec une autre.


(Photo : Moustapha Emeira)

Oublier son mal

Chacune a choisi le domaine artisanal qui lui convient : fabrication d’accessoires, broderie, crochet ou couture. « Ces ateliers d’artisanat sont salutaires et nous aident à oublier notre maladie. Créer des objets faits main nous permet d’aller de l’avant tout en essayant de faire quelque chose de nouveau, ce qui pourrait servir à gagner notre vie plus tard et retrouver le bonheur », explique Hoda, guérie d’un cancer du sein et membre du département de soutien psychologique à Baheya. Elle ajoute que lorsque la malade apprend qu’elle est atteinte d’un cancer, toutes les idées noires surgissent, les séances de chimio, les effets secondaires insupportables et le risque de mourir. D’après Hoda, être fort mentalement et refuser de se laisser aller peuvent aider le corps à guérir. « Il s’agit de dissiper la peur et d'occuper le cerveau en pratiquant une activité artisanale qui fait plaisir. Le fait de fabriquer un objet à la main ne demande pas de déployer un effort physique. Alors, participer à des ateliers d’artisanat convient parfaitement à celles qui subissent des séances de chimio. Cela booste le moral, les aide à surmonter les effets secondaires de la chimiothérapie et pourrait même réduire la période de ce traitement lourd », indique Racha Fouad, une des femmes qui soutiennent la fondation Baheya et qui participent à l’opération de construction de la nouvelle filiale à Cheikh Zayed.

Reprendre la vie active n’a pas été facile pour Lobna. Les échanges de conversation avec des femmes atteintes de cancer ont révélé à Lobna qu’elle n’était pas la seule à souffrir dans ce monde. « On ressent un ensemble d’émotions chez les femmes qui ont connu le même parcours. Donc, on peut parler en toute liberté et sans ennuyer personne », raconte Lobna. Elle ne sait pas encore quel type d’activité artisanale elle va choisir, elle s’entraîne en fabriquant différentes sortes d’articles faits main jusqu’à pouvoir atteindre la perfection dans un seul domaine.


(Photo : Moustapha Emeira)

En effet, celles qui ont atteint un certain niveau participent à des expositions, une ou deux fois par mois. Dans ce contexte, Baheya a signé des protocoles de collaboration avec des hommes d’affaires et des ONG qui facilitent la participation des femmes atteintes d’un cancer et sans devoir payer le coût de location du stand. « Avant le cancer, ma vie était consacrée à mes enfants et au foyer. J’étais toujours enfermée entre quatre murs. La maladie m’a donné cette opportunité de faire de nouvelles connaissances, et surtout de mettre en pratique mon diplôme technique de décoration d’intérieur », raconte Jihane, 44 ans. Lors de sa première participation à l’exposition, elle a vendu la moitié de sa production en accessoires bijoux. « J’étais très heureuse lorsque les gens me demandaient combien ça coûtait. Mes articles faits main ont attiré l’attention, ce qui m’a fait un grand plaisir », dit Jihane. Elle aime donner des conseils en ce qui concerne le montage des accessoires, et ce, sur les groupes de WhatsApp. « Je suis passée par différents groupes de femmes atteintes d’un cancer du sein, mais je me suis retirée de ceux où l’on parle souvent des changements physiques que le traitement peut provoquer, soit en montrant des photos ou en décrivant les grands malaises que l’on ressent », précise-t-elle. Au contraire, Jihane préfère être positive. D’autres femmes ont même transmis l’amour du travail à leurs enfants.

Et devenir une petite femme d’affaires

Choghly ana wa awladi (notre travail, mes enfants et moi) est la page Facebook de Doaa, désormais guérie d’un cancer. Elle vit à Alexandrie et a fait le déplacement jusqu’à Cheikh Zayed, pour exposer ses couvertures brodées de manière très raffinée dans un centre commercial. « Avec mes enfants, nous faisons des modèles qui ressemblent à ceux des grandes marques en broderie. Je vends la couverture avec 4 taies d’oreillers à 500 L.E., alors que le prix de ces marques peut atteindre 2 000 et 3 000 L.E. », dit-elle. En plus, l’Agence de développement des moyennes, petites et micro-entreprises lui a fourni un soutien financier de 25 000 L.E. Doaa et ses enfants ont choisi des tissus de qualité. La broderie sur les couvertures et les serviettes attire la clientèle. Les commandes se font sur place si la quantité demandée est importante. « Je travaille chez moi, donc je n’ai pas de contraintes par rapport à mon état sanitaire, si je me fatigue, je peux me reposer quelques instants ou reprendre le travail plus tard », affirme Doaa. Elle est consciente que la maladie lui a donné une nouvelle chance dans la vie car l’apprentissage destiné aux femmes souffrant de cancer les a mises sur les rails de l’autonomisation économique. « Mes enfants et moi avons acquis de l’expérience dans ce domaine, nous savons comment repasser, emballer et mettre en ordre la production. Résultat : nous sommes devenus une famille productrice qui peut subvenir à ses besoins essentiels, porter de nouveaux vêtements et payer les leçons particulières. Notre mode de vie a complètement changé », souligne Doaa.


(Photo : Moustapha Emeira)

Nombreuses sont les histoires inspirantes comme celle de Hend, 42 ans, décorée Miss Baheya 2023. « C’était à l’occasion d’un concours organisé par les femmes guéries du cancer et celles qui sont encore sous traitement. J’ai été nommée Miss Baheya car je suis très attentive à la qualité, et ce, après avoir pris des cours d’entrepreneuriat et d’affaires. J’ai eu la chance aussi de faire une présentation à l’Université américaine du Caire en expliquant comment je suis arrivée à lancer mon petit projet », confie Hend. Elle publie sa production de serviettes brodées en crochet sur Instagram et a participé à 5 expositions. Elle collabore dans les cours de soutien psychologique à Baheya en rassurant les nouvelles, venues tout en leur disant que les chances de guérison sont élevées pour celles qui sont atteintes d’un cancer du sein.

Une nouvelle famille

Or, l’indépendance financière et l’autonomisation économique ne sont pas les seuls facteurs qui ont poussé ces femmes à participer dans les ateliers d’artisanat. « J’étais entourée par mes soeurs et frères au début de la maladie, et lorsque j’ai terminé mes séances de radiothérapie, ils se sont dit alors que j’étais guérie. Aujourd’hui, ils ne m’appellent que très rarement », s’exprime Rabah. Elle se dit très heureuse d’avoir rencontré cette communauté de femmes dans l’atelier artisanal, car cela lui a permis de compenser l’absence de la famille. Et si l’une d’elles tombe malade, le téléphone ne s’arrête de sonner, ce qui met un baume au coeur.

Se retrouver dans un milieu sain, positif et rassurant est réconfortant et permet même de sauver une vie humaine. « Quand je suis tombée malade, ma mère et mes frères ont décidé de ne pas me donner mon héritage. Ils pensaient que j’allais mourir et que mon époux allait profiter de tout mon argent », raconte Samah. Elle s’est contentée de sa nouvelle vie parmi celles qui combattent cette maladie. Ses filles sont reconnaissantes envers la fondation Baheya qui a aidé leur maman à dépasser le cancer et l’ingratitude familiale. Celles-ci sont devenues des bénévoles à Baheya. Elles rendent service aux malades qui viennent de subir des séances de chimio et essayent de leur remonter le moral. « Ma fille aînée a choisi d’étudier la biotechnologie pour pouvoir rejoindre prochainement l’équipe de travail au laboratoire à Baheya. Elle veut se rendre utile et contribuer à la guérison des femmes atteintes du cancer », affirme Samah.


Les rencontres entre malades et rescapées permettent aux femmes de se donner un soutien psychologique mutuel. (Photo : Moustapha Emeira)

Et le combat de Baheya se poursuit. La nouvelle filiale de Cheikh Zayed pour le dépistage précoce du cancer, ainsi que des cliniques externes viennent de voir le jour le 21 mars. « Il est prévu de créer un grand centre d’apprentissage pour les femmes atteintes d’un cancer, afin de continuer d’assurer la permanence de l’autonomisation économique de la femme. Ce centre pourrait recevoir des participantes de l’extérieur, afin de garantir la continuité des revenus pour le centre », précise Racha Fouad, consultante en construction à Baheya de Cheikh Zayed et l’une des femmes importantes de cette fondation. Elle ajoute que parmi les prestations de services fournis par Baheya, il y a celles qui sont à caractère social, ainsi qu’un service de développement économique qui accompagne ces femmes pour augmenter leurs revenus familiaux. « Nous voulons que l’artisanat ne soit pas uniquement un moyen de distraction pour elles, on veut que cela devienne une profession pour exporter leurs articles artisanaux à l’étranger et recevoir un soutien de l’Etat et du ministère de la Solidarité sociale », conclut Racha Fouad.

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