La rue est destinée principalement à la fabrication de tentes et de tentures sous toutes les formes. (Photo : Ahmad Refaat)
C’est au quartier d’Al-Darb Al-Ahmar, au Vieux Caire, que se trouve la rue Khayamiya. Comme une page venant des Mille et une nuits, avec ses artisans transformant les fils de tissage en chefs-d’oeuvre multicolores. C’est ce qu’on appelle l’art des tentes, un art égyptien datant de l’époque mamelouke. Le mot « khayamiya », dérivé du mot « kheima », signifie tente. C’est donc la rue des fabricants de tentes sous toutes leurs formes, mais aussi de tout ce qui a trait aux tissus. C’est ici qu’était jadis confectionné le revêtement de la Kaaba, décoré avec des fils d’or et d’argent. La tâche était répartie entre différents artisans égyptiens qui fabriquaient ce drapé noir et ses broderies durant de nombreux siècles jusqu’aux années 1960. Le revêtement de la Kaaba était ensuite acheminé vers La Mecque à dos de chameau dans une procession majestueuse connue sous le nom d’Al-Mahmal.
L’emplacement et l’architecture du lieu ont une grande influence sur l’ambiance originale que l’on ressent. (Photo : Ahmad Refaat)
Au fil des années, la rue Khayamiya est restée l’endroit où les tissus se transforment en oeuvres d’art magnifiques : fresques, tentures murales, tapisseries, couvre-lits, tapis pittoresques, etc. Le tout est confectionné à la main, les produits sont colorés et avec des motifs islamiques. La fabrication de tentes et de tentures se poursuit, mais en quantité limitée, tout comme celles utilisées dans plusieurs occasions en plein air, comme les funérailles ou les mariages, lorsque l’on installe des panneaux en bois recouverts des tissus khayamiya pour recevoir les gens.
Mais ces jours-ci, l’ambiance est tout autre à Khayamiya. Car avec le Ramadan, ce sont les décorations propres au mois sacré qui dominent. Et la rue se transforme en un haut lieu pour ceux qui recherchent un décor original avec de nouvelles idées, et surtout une qualité d’excellence. Dès qu’on pénètre dans cette rue étroite, on découvre un pêle-mêle d’articles exposés ici et là. Aux tissus khayamiya qui font la gloire de cette rue s’ajoutent des décorations de toutes sortes pour le Ramadan. De nombreux ateliers et boutiques laissent de côté la fabrication et la broderie d’oeuvres d’art durant cette période et se tournent vers les articles décoratifs du Ramadan. « Nous sommes très fiers d’être des fabricants de tentes, ce qui signifie dextérité en broderie et en fabrication textile, tous nos produits de décoration du Ramadan sont faits à la main et inspirés par des motifs islamiques traditionnels qui ont été utilisés pour broder les éléments de base des tentes depuis fort longtemps. Ces motifs sont utilisés pour les articles décoratifs du Ramadan, mais ils sont imprimés sur différents genres de tissus », affirme Essam Ahmad, propriétaire d’un atelier. Il parle en empilant devant lui les housses de coussins sur lesquelles sont imprimés « Ramadan Karim » (joyeux Ramadan), avec des couleurs et des motifs différents. Essam poursuit en disant qu’il y a plusieurs années, les ateliers et les magasins de la rue ne connaissaient rien d’autre que la fabrication et la vente des tentes et des articles artisanaux en broderie. Cependant, en raison des circonstances qui ont changé avec la pandémie de Covid-19 et les difficultés économiques, d’autres solutions ont été trouvées. « Nous ne nous sommes pas éloignés de notre métier, nous n’avons fait que profiter de notre savoir-faire dans ce domaine, afin d’augmenter nos revenus et relancer notre métier », continue Essam.
(Photo : Ahmad Refaat)
Garder la tradition coûte que coûte
Bien que la plupart des artisans changent d’activité à l’approche du Ramadan, certains sont réticents à l’idée de faire autre chose et adhèrent à la forme et au contenu du lieu. Khaled Gamal considère ce changement comme nuisible à l’ancienne profession, ce qui risque de faire mauvaise impression chez les fans de cet art. Pour contredire ou prouver que l’artisanat peut être exploité et relancé de manière à ne pas le diminuer, Khaled accueille les personnes qui veulent apprendre l’art de la broderie dans son atelier. « Ainsi, on peut améliorer nos revenus sans menacer la réputation de l’endroit », dit-il.
Les magasins et les ateliers se dressent tout le long de la rue avec des étalages de marchandises en dehors des devantures. Il est difficile de distinguer les limites entre un magasin et un autre. Parmi tout ce chaos, on peut remarquer certains ateliers dont les propriétaires insistent sur le fait de ne pas changer leur activité durant le Ramadan. Ils sont assis à l’intérieur de leurs boutiques, chacun tenant une aiguille et un fil qu’ils font tourner autour d’un morceau de tissu pour le transformer en une pièce d’art unique et pouvoir l’ajouter à celles qui sont de toutes les tailles et couvrent tous les murs, du plafond au sol. Entre ceux-ci et ceux-là, les mêmes inscriptions et motifs semblent déchirés entre l’héritage acquis et le commerce moderne. Et dans les deux cas, le fabricant en est le même.
La fabrication de tentes se poursuit, mais en quantité limitée. (Photo : Ahmad Refaat)
La rue Khayamiya n’est pas le seul centre de vente en gros de décorations du Ramadan, il existe d’autres endroits, tels que le quartier de Sayéda Zeinab et Ataba. Cependant, cette rue est l’endroit de prédilection grâce à la singularité et la magie du lieu qui attire certains à venir acheter leurs besoins en objets décoratifs. « Ici, c’est complètement différent », s’exprime Nelly Zaki, qui est venue avec quelques amies pour acheter des objets de décor pour l’hôtel où elles travaillent et leurs maisons. « Les ateliers de fabrication se trouvent au même endroit, le fabricant et le designer n’ont pas changé, ainsi que le vendeur, alors, nous pouvons commander n’importe quel modèle ou design et choisir parmi les tissus empilés avant que le fabricant ne se mette à l’oeuvre. Une chose qu’on ne trouve pas ailleurs », ajoute-t-elle.
Une ambiance unique
De plus, « l’atmosphère de l’endroit est également agréable, nous avons l’impression de faire un voyage dans le temps », continue Nelly. En effet, l’emplacement et l’architecture du lieu ont une grande influence sur l’ambiance originale que l’on ressent. Avant, au début de la rue, à gauche, se trouvait la mosquée d’Al-Saleh Talaei, qui était un ministre à l’époque des Fatimides, avec sa porte caractéristique et qui a été construite en l’an 1160. A droite, se dressent de vieilles maisons avec leurs moucharabiehs joliment ornés et qui semblent ouvrir une fenêtre sur l’histoire, et le côté opposé est Bab Zoweila, l’une des portes du Caire historique. Malgré l’entassement des marchandises et la foule, certains n’hésitent pas à s’arrêter pour prendre des photos devant les anciennes portes en bois et les murs en grosses pierres en tenant les lanternes du Ramadan à la main.
(Photo : Ahmad Refaat)
Un panneau accroché à l’entrée de la rue indique son histoire qui remonte à l’époque mamelouke (1250-1382), c’est-à-dire à plus de 600 ans. C’est l’un des rares marchés couverts en bois en Egypte avec des espaces permettant l’entrée d’air et des rayons du soleil. Des magasins et des ateliers étroits se dressent tout le long de la rue et à une hauteur de deux étages. Regarder et sentir le souffle de l’histoire donne à l’achat un double plaisir. Le visiteur oublie les problèmes d’encombrement causés par le grand nombre de visiteurs et même la difficulté de mouvement due à l’exiguïté du lieu, qui ne dépasse pas les quatre mètres de large et dont une partie est déjà encombrée par les marchandises. Il est normal aussi de voir de petits camions transportant de la marchandise, essayant de se frayer un chemin parmi ce chaos. Sans oublier le passage des vendeurs ambulants tirant leurs chariots qui se faufilent à travers la foule pour vendre du « harankach » (physalis). Et pour ceux qui peuvent tenir le coup et avoir envie de découvrir davantage, il suffit de faire quelques pas de plus à l’intérieur, ensuite de prendre la direction de l’une des ruelles d’à côté, pour rencontrer les fabricants de tentes dont la rue porte le nom, ou ce qu’il reste d’eux.
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