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Se recharger pour mieux combattre la maladie

Dina Bakr , Dimanche, 20 novembre 2022

En plein désert, à Wadi Al-Natroune, l’Oasis de la santé et de l’espoir (HHO), dépendant de l’Association des amis des enfants cancéreux, accueille les enfants malades et leurs familles. Le temps d’un week-end, ils oublient leur mal pour mieux l’affronter. Reportage.

Se recharger pour mieux combattre la maladie
C’est en coordination avec les hôpitaux que les enfants malades sont sélectionnés pour un passage à l’oasis.

A mi-chemin de l’autoroute Le Caire-Alexandrie, précisément à 110 km de la capitale, il suffit de bifurquer sur la droite pour se retrouver dans une petite oasis au milieu du désert, entourée d’arbres et de palmiers dattiers. Progressivement, le bruit des voitures commence à s’estomper, puis le silence s’installe. Au bout d’une route non pavée, une pancarte indique l’emplacement de l’HHO, Health and Hope Oasis (l’Oasis de la santé et de l’espoir), qui dépend de l’Association Friends of Children with Cancer. Un gardien portant un keffieh rouge et blanc et une djellaba (tenue des bédouins qui vivent à Wadi Al-Natroune) avait été prévenu de l’arrivée des visiteurs. Il est chargé de vérifier les cartes d’identité, d’enregistrer les noms et l’horaire d’arrivée des visiteurs. Des mesures nécessaires pour assurer la sécurité. Une fois à l’intérieur, le sentiment profond de détente et de réconfort que l’on ressent est indescriptible. Les sons d’animaux d’élevage et le gazouillement des oiseaux se font entendre et le calme qui y règne libère des tracas quotidiens et du bruit tonitruant de la capitale.

Sur une superficie de 10 feddans s’étendent les locaux de l’Oasis de la santé et de l’espoir. « L’endroit a été créé pour que les enfants cancéreux et les mamans qui les accompagnent viennent pour se détendre, combattre le stress avant ou après les séances de chimiothérapie, profiter d’un programme d’alimentation saine, pratiquer des loisirs et animer des séances de sensibilisation. Et ce, gratuitement durant 3 jours », explique Mikhail Makine, directeur de l’oasis. C’est lui et Magda Eskandar, présidente de l’association, et Fayza Abdel-Khaleq, membre au conseil de l’administration, qui ont eu l’idée de créer cette oasis en 2002.

A l’écoute de chaque enfant

La première phase a vu le jour en 2012 avec la construction de 4 bâtiments composés de 16 appartements, chacun réparti sur 2 étages, une cuisine et un petit restaurant en plein air. Sur les murs d’un bâtiment figure une représentation en graffiti racontant l’histoire du prophète Noé qui montre la puissance de Dieu à sauver les croyants du déluge. Cette histoire est utilisée comme symbole car, malgré la grande souffrance subie, la personne atteinte d’un cancer peut guérir. La deuxième phase, qui a été lancée en 2015, a été achevée en 2019. C’est là où se trouvent la cuisine principale avec un grand réfectoire, la laverie, le bureau de l’administration, les logements des fonctionnaires et d’autres salles consacrées aux séances de sensibilisation et à diverses activités. Quant à la troisième phase, réalisée durant la pandémie de coronavirus, elle concerne les terrains de jeux et un chemin pour les bicyclettes. L’association met à la disposition des enfants des vélos à 3 roues et mise sur les jeux qui ne demandent pas une intense activité physique, pour ne pas fatiguer les malades.

Car dessiner le sourire sur les visages des enfants est l’objectif de l’Oasis de la santé et de l’espoir. « Bien que j’utilise une canne pour marcher à cause de mon cancer au genou qui m’oblige à subir des opérations tous les 6 mois pour allonger l’os du fémur de la jambe malade, ici, je passe mon temps à faire des tours à bicyclette sans craindre de tomber, avec un vélo à trois roues », affirme Abdallah, 15 ans. Cet adolescent est accompagné de sa maman et de son frère. Ils sont originaires du gouvernorat de Minya, c’est leur troisième visite à Wadi Al-Natroune. L’administration accepte de recevoir plusieurs fois la même famille d’un malade, à condition d’effectuer les visites dans un intervalle de 3 mois pour permettre aux nouvelles familles de profiter de cette expérience.

« Mon enfant ne voulait pas suivre son traitement. Mais, dès qu’il était venu à l’HHO, il a accepté de suivre les séances de chimiothérapie. Le divertissement respecte les différences et l’état physique de l’enfant », précise Abou-Islam, père d’un enfant cancéreux.

Durant les moments de loisir des enfants, les mamans apprennent à préparer des repas sains et équilibrés avec des produits alimentaires peu coûteux, mais ayant une valeur nutritive élevée. « Pour que les enfants mangent des légumes, je leur ai préparé un gâteau aux courgettes, sucré, à la couleur verte. Nourrir et faire plaisir est notre objectif », dit Amani, chef de cuisine. Le fait de camoufler les légumes pour les faire manger aux enfants, c’est intelligent et subtil. Amani présente aussi des recettes avec des sauces ketchup et mayonnaise démunies de matières de conservation pour optimiser les valeurs nutritives des produits alimentaires préparés et consommés à la maison.


Jeux et divertissements adaptés remplissent l’agenda des enfants.

 Autosuffisance et respect de l’environnement

Propreté irréprochable, simplicité et élégance sont évidentes partout dans les chambres, les salles de bains et les locaux d’activités. Pas de climatiseurs à l’oasis, les toits des bâtiments sont sous forme de dômes pour permettre à l’air chaud de monter vers le haut et les ventilateurs rafraîchissent l’atmosphère ambiante. Les responsables de l’association prônent que l’élégance ne signifie pas forcément le luxe. Ils insistent sur un point important, le recyclage, pour protéger l’environnement et assurer la durabilité du projet en consacrant le budget à la nourriture saine, la propreté des locaux et aux salaires des fonctionnaires. En se promenant dans l’oasis, on peut voir des poubelles pour le tri des emballages, verre, cartons, plastiques et restes d’aliments. « L’Association de la protection de l’environnement au Moqattam nous a installé un métier à tisser. Nous n’avons pas eu besoin d’acheter les descentes de lit pour les chambres, les tapis des salles de bains ou les jetés de canapés pour les salons », explique Mikhail Makine, le directeur. Cette autosuffisance est l’un des facteurs-clés pour la réussite d’un programme de durabilité et pouvoir accueillir les enfants cancéreux. Wafaa est la seule qui travaille sur le métier à tisser dans l’oasis. Elle confectionne aussi des sacs qui servent aux enfants à glisser divers objets utiles comme les serviettes de toilette, les brosses à dents, les dentifrices et les savons de chaque membre de la famille.

Echange et soutien mutuel

Prendre soin de l’hygiène personnelle et de l’environnement fait partie de la sensibilisation présentée aux mamans durant la journée. La notion de propreté se répète souvent pour éviter toute contagion aux enfants cancéreux, car leur immunité est faible. Ils sont déjà fragiles et il ne faut pas badiner avec leur santé. Le séjour permet aussi aux mamans de faire de nouvelles connaissances, d’écouter les histoires et d’échanger les expériences. « Avant que ma fille ne tombe malade, je ne supportais pas de suivre à la télé les spots publicitaires pour collecter des dons aux hôpitaux des enfants cancéreux, je ne pensais pas qu’un jour, ma fille serait atteinte de cette maladie », raconte Chaïmaa Ibrahim, qui a senti ici la souffrance des autres. Avant de connaître l’existence de l’HHO, Chaïmaa faisait un gros effort pour divertir sa fille, depuis le début de sa chimiothérapie, il y a deux mois, car elle passait son temps à dormir.

D’après les chiffres de l’association, 4 423 enfants cancéreux, 4 127 accompagnateurs et 3 942 familles ont visité les locaux entre 2012 et octobre 2022.

Le fait de sortir du cadre de l’hôpital et de la maladie remonte le moral de l’enfant et de sa mère. Pour l’association, cette oasis est une sorte de passage entre le traitement et la guérison. Nutrition, sensibilisation, jeu et divertissement remplissent l’agenda des visiteurs. « On fait tout pour mettre les enfants à l’aise. L’une des malades, souffrant d’une tumeur au cerveau, a besoin d’un accompagnement continu, mais on essaie de ne pas lui faire sentir qu’elle n’est pas comme ses paires », souligne Victoria Magdi, coordinatrice des programmes.

La sélection des visiteurs se fait à travers la coordination avec certains hôpitaux comme l’Institut Nasser, Demerdach, Aboul-Riche, l’Institut des tumeurs et 57357 au Caire, Ayadi Al-Mostaqbal et Borg Al-Arab Al-Gaméi à Alexandrie et l’Institut des tumeurs à Minya. Les médecins sont chargés de faire le choix des malades capables de voyager et de s’éloigner de leur domicile durant 3 jours. « Au cas où un enfant ferait une fièvre ou serait victime de n’importe quel accident, on contacte son médecin pour appliquer les consignes qui conviennent à son état. Et avant que l’enfant n’arrive, on doit avoir un rapport médical et savoir s’il fait des allergies à un produit alimentaire quelconque », précise May Fouad, coordinatrice.

Elle tient à expliquer aux enfants et à leurs mamans l’importance de respecter les normes de l’oasis. En principe, l’enfant malade peut avoir trois autres accompagnateurs au maximum. L’âge des enfants cancéreux va de 1 à 18 ans. Si ses frères ou soeurs viennent passer le week-end avec lui, ils ne doivent pas dépasser les 12 ans. « Au-delà de 12 ans, les enfants sont trop actifs et peuvent provoquer certains problèmes susceptibles de nuire aux enfants cancéreux qui sont là pour se remonter le moral et alléger leur souffrance », commente May.

Aujourd’hui, parmi les bénévoles qui travaillent à l’HHO, un ancien malade, aujourd’hui guéri du cancer. Ahmed Wahid, lycéen, affirme être là pour donner espoir aux petits cancéreux. « Je suis bénévole depuis 2 ans, je suis devenu une personne responsable, j’ai appris à jouer avec précaution avec un enfant malade du cancer », dit-il non sans fierté. Et de conclure : « Avant, quand j’étais malade, des gens m’ont rendu heureux. Aujourd’hui, j’essaye de ramener la joie dans le quotidien des autres. Et je remercie Dieu pour tout ce bonheur ».

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