« Le climat change. J’ai donc commencé à introduire des variétés de mangues qui pourraient supporter la chaleur estivale horrible et le froid hivernal excessif. J’ai développé une culture de mangue en greffant différentes variétés étrangères, à savoir Keitt, Kent, Naomi et Tommy, qui peuvent résister aux changements climatiques. J’ai eu recours, en outre, aux techniques de ventilation, aux serres, aux tailles et aux engrais biologiques qui vont de pair avec le climat égyptien », confie Mahassen. Originaire d’Ismaïliya, surnommé le gouvernorat de la mangue, cette femme quadragénaire a dû s’adapter, cette saison 2022, au changement climatique pour éviter les fluctuations qui ont endommagé sa production de mangues au cours des années 2018, 2019, 2020 et 2021. « Nous avons souffert de la moisissure en raison des vagues de chaleur qui ont causé des pertes importantes estimées à 80% du volume habituel », note Mahassen qui est devenue un membre productif dans son village natal, tout en réussissant à créer des moyens de subsistance pour sa famille. Tout cela grâce au programme élaboré par l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2021.
Ce programme commun, mis en place depuis 2003, est un projet relatif aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), appuyé par l’Organisation Mondiale du Travail (OIT), le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), l’Organisation des Nations-Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), la FAO et Onu Femmes. Il a pour objectif d’aider les petites agricultrices dans les différents gouvernorats de l’Egypte à réaliser des profits et à mieux s’intégrer dans les chaînes de valorisation afin de renforcer la sécurité alimentaire. C’est la première fois que la mise en place d’un projet permet de gérer toute la chaîne : culture, récolte, nettoyage, emballage et vente de produits agricoles allant de pair avec les changements climatiques.
A chaque coin son produit
Dans le bureau des organisations travaillant auprès des Nations-Unies, les chercheurs agricoles qui étudient l’impact de l’évolution climatique ont rencontré les femmes qui cultivent la terre en vue de leur fournir l’appui nécessaire.
Pour appliquer ce programme, les experts biologiques choisissent les produits agricoles les plus répandus dans les différents gouvernorats. L’idée consiste à identifier, pour chaque village ou municipalité, au moins un produit commercialement viable à présenter sur le marché. Ce programme est destiné à toutes les femmes ayant une expérience dans la culture et la production agricole. « Les dernières statistiques rapportent que 10 millions de femmes labourent la terre et fournissent des produits agricoles dans les différents gouvernorats de l’Egypte », précise Fatma Al-Zahraa, directrice du projet Agriculture et changement climatique auprès de la FAO.
Conditions de recrutement : les femmes doivent être issues d’un milieu rural et n’exerçant aucune autre activité. Qu’elles soient jeunes filles, épouses ou mères de famille, elles ne doivent pas être âgées de moins de 18 ans, et ce, pour ne pas encourager le travail des enfants.
Habitant le village Nagada, situé sur la rive gauche du Nil, à une trentaine de kilomètres au nord de Louqsor, Afaf a loué 2 feddans. Elle y cultive du blé, car sa famille cultivait cette céréale depuis fort longtemps. « A présent, le revenu de ma famille a augmenté. Autrefois, nous étions dans le besoin. Mon mari, qui était menuisier, est devenu agriculteur », confie cette femme persévérante qui vivait dans une seule pièce avec son époux et ses six enfants. Par le biais de ce projet, Afaf a appris à son conjoint comment devenir un producteur agricole.
Cette femme courageuse a réussi à obtenir un logement plus grand, comme elle espérait. Aujourd’hui, tous ses enfants sont inscrits à l’école. « Avant, j’étais malheureuse, car trois d’entre eux avaient quitté l’école en 2014 et les trois autres n’ont jamais été inscrits, faute de
moyens », précise-t-elle. Vu la superficie cultivée en blé qui a augmenté, Afaf peut produire 30 acres en l’hiver 2022, au lieu de 24 acres auparavant. « Autrefois, je travaillais en tant qu’ouvrière agricole et je ne touchais que 100 L.E. maximum par jour. Aujourd’hui, mon revenu dépasse parfois les 40000 L.E. par feddan, soit un total de 80000 L.E. par saison pour mes deux propriétés », poursuit Afaf avec fierté.
En fait, les experts en blé ont appris aux agricultrices les meilleurs moyens en vue de produire une nouvelle souche génétiquement modifiée qui va de pair avec le climat. Sans doute une plus grande productivité, avec des caractéristiques distinctes telles que la résistance à la salinité et la pénurie d’eau. « Cette nouvelle souche de blé pourrait contribuer à augmenter la production locale de blé en Egypte de 33% avec un taux de production qui dépasse les 4 tonnes par acre, une augmentation de près d’une tonne par rapport aux variétés égyptiennes cultivées auparavant », explique Fatma Al-Zahraa, directrice du projet, travaillant auprès de la FAO.
Agricultrices et agriculteurs sur un pied d’égalité
Ce label, qui s’engage à autonomiser les femmes afin de se forger un avenir meilleur, insiste sur le fait que ce programme recrute, forme et assure la promotion des travailleurs, aussi bien les hommes que les femmes, sur un pied d’égalité. « Car la plupart des paysannes égyptiennes travaillent dans des conditions difficiles. 8% d’entre elles possèdent des terrains et 25% ont un travail fixe », précise Gilane Al-Messeiri, responsable du même projet auprès de l’Onu Femmes.
Dans tous les gouvernorats d’Egypte, les femmes effectuent la majorité des travaux ménagers et ceux de la ferme. Pourtant, elles n’ont accès ni aux mêmes ressources ni au pouvoir décisionnel détenu par les hommes. Pour combler l’écart entre les hommes et les femmes, les maintes organisations de l’Onu travaillent avec différents gouvernorats pour autonomiser les femmes et instaurer l’égalité entre les sexes dans le secteur agricole, pour un avenir plus durable qui bénéficierait à tous.
Les femmes sont davantage touchées par les effets du changement climatique.
En effet, les femmes sont essentielles à la production alimentaire. Dans les pays en développement, elles représentent 45 % de la main-d’oeuvre agricole, ce chiffre atteignant 60 % dans certaines régions d’Afrique et d’Asie. Elles jouent donc un rôle fondamental dans la réalisation de l’objectif de développement durable et l’élimination de la faim. Cependant, les agricultrices ont un accès limité à la terre, aux marchés et à l’éducation par rapport aux hommes. Aussi, elles ne sont pas impliquées dans les processus de prise de décision. Selon les estimations de la FAO, si les femmes avaient le même accès aux ressources que les hommes, la production alimentaire augmenterait d’environ 30 %, ce qui pourrait sauver 150 millions de personnes au moins souffrant de la faim dans le monde. Donc, les considérations relatives au genre doivent être placées au coeur des mesures de lutte contre la crise climatique.
Raison pour laquelle Onu Femmes a commencé à appliquer le projet dès 2003 dans plusieurs pays africains. Rendre les femmes rurales autonomes est primordial si le monde veut mettre un terme à la question de la crise climatique. Raison : les femmes sont une force puissante de changement. Une femme rurale pourrait enseigner à son mari ou à son frère comment devenir agriculteur ou producteur. Sans aucun doute, il ne serait possible de parvenir à sauver l’Egypte du réchauffement climatique si la moitié de la population était incapable de participer à ces combats sur un pied d’égalité. Cela veut dire que le « combat de long terme » contre les changements climatiques serait un plan d’action pour l’égalité des sexes.
Et, si l’objectif principal de ce projet est d’aider les femmes rurales à obtenir leur autonomie financière, il contribue aussi à les protéger. « Jadis, les jeunes femmes étaient victimes de harcèlement par les commerçants dans les moyens de transport en se déplaçant d’un village à un autre pour exercer leur travail. A présent, chacune de nous exerce son activité à quelques pas de chez elle. On travaille, on accomplit nos tâches ménagères et on s’occupe aussi de nos enfants », confie Safaa qui travaille de 16 à 18 heures par jour dans les champs. Originaire de Charqiya, cette jeune fille, âgée d’une vingtaine d’années, possède aujourd’hui une grande expérience. Comme beaucoup d’autres femmes rurales, Safaa applique les procédés techniques offerts par les organisations des Nations-Unies. Elle a bien assimilé les leçons théoriques et pratiques de conversion d’une culture traditionnelle vers une autre biologique.
Les experts dans le domaine bio, recrutés auprès de la FAO, ont prévenu Safaa au sujet de la dégradation du sol et sa contamination par divers polluants. « L’attention est portée au rôle de la matière organique et de l’humus. Cet entraînement est passé en revue avec différents types d’engrais et d’amendements organiques disponibles », dit-elle avec précision. Safaa tient à ajouter ce qu’elle a appris à un niveau plus avancé. « Ils m’ont expliqué ce qu’est la fertilité du sol, la composition, les fonctions de la matière bio, la lutte intégrée pour le contrôle des insectes ravageurs et des maladies », dit-elle fièrement. « Comme les changements climatiques alimentent les conflits dans le monde entier, les femmes pourraient contribuer efficacement à la mise en place d’un système agricole résilient face aux fluctuations climatiques », conclut Dr Diaa Abdou, chargé du même projet auprès du PNUD.
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