A environ 50 kilomètres du gouvernorat du Fayoum se trouve Al-Nazla, un village enraciné dans l’histoire et très réputé pour ses poteries faites à la main. Il est situé au bas d’une vallée, ce qui explique son nom, Al-Nazla ou la descente. Sa particularité tient à l’originalité de ses belles falaises et son paysage verdoyant de plantations et de rosiers fleuris qui s’étendent tout le long d’un ruisseau qui se jette dans le lac Qaroun, situé à proximité. Al-Nazla n’est pas seulement un village où les gens excellent dans la fabrication de la poterie, la particularité, c’est qu’ils continuent toujours d’utiliser des méthodes de fabrication, ainsi que différentes techniques datant du temps des pharaons. Il est donc normal que chaque pas que l’on pose sur le versant de la vallée nous évoque une époque lointaine qui nous ramène à des milliers d’années en arrière.
Une fois arrivé sur place, on est d’abord accueilli par une grande collection d’objets en argile exposés au sol et dans des chambres construites en torchis. Et, derrière ce grand tableau, apparaît une multitude d’ouvriers, tous âges confondus, dont les corps imprégnés de boue se confondent avec la couleur de l’argile qui les recouvre. « Tous ceux qui travaillent ici ont appris le métier dès leur jeune âge, soit en observant ou en apprenant les techniques de leurs parents et grands-parents, c’est un savoirfaire qui se transmet de génération en génération », dit Hosni, 57 ans, qui exerce ce métier depuis 40 ans. D’après lui, ce village, qui a plus de 500 ans, compte environ 150 artisans et 16 ateliers tous construits avec de l’argile.
(Photo : Ahmad Réfaat)
Tout un savoir-faire
Le travail commence quotidiennement peu après l’aube et se prolonge jusqu’au coucher du soleil. Dès qu’ils arrivent, les ouvriers commencent par allumer le feu en brûlant des tiges de maïs sous le canon (un pot en poterie qui fait office de réchaud) pour préparer du thé. Ils continueront à en boire durant les moments de pause en s’asseyant à l’ombre des arbres. Cette boisson est indispensable pour garder leur esprit alerte et être de bonne humeur. Au début, dit Hosni, on dilue de l’argile avec de l’eau dans de grands étangs, puis on y ajoute de la cendre provenant des fours en cours de combustion ou de la paille pour obtenir de la consistance.
Tout en écoutant Oum Kalsoum, Nasser, assis dans son atelier, fabrique un vase. A l’intérieur d’un trou creusé dans le sol, il retire un morceau d’argile, commence à lui donner une forme arrondie en introduisant une main à l’intérieur pour extraire le surplus d’argile, tandis que l’autre sert à lisser l’extérieur jusqu’à ce que la boule se transforme en un objet rond et creux. Concentré, il a les yeux fixés sur son ouvrage et ses doigts qui bougent sans relâche savent parfaitement ce qu’ils font. C’est ainsi qu’une pièce en poterie est fabriquée.
La particularité du village est que ses artisans continuent toujours d’utiliser des méthodes très anciennes. (Photo : Ahmad Réfaat)
Les grands objets sont également fabriqués de la même manière mais en plusieurs parties. Chaque atelier est chargé de fabriquer une pièce précise, puis le tout est assemblé dans l’atelier où se trouve le tour du potier. Là, l’ouvrier joint les pièces avec de la boue, les orne et ajoute les anses et le cou. Toutes les pièces sont ensuite placées à l’extérieur pour les faire sécher à l’air et au soleil pendant trois jours en saison d’été et une semaine en hiver. Une fois la forme consolidée, les pièces sont introduites dans le four pour les faire cuire, après cela, elles sont prêtes à l’utilisation.
Authenticité
« Ce type de mélange est appelé argile baladi ou local et c’est différent des pâtes utilisées ailleurs en Egypte. Nous continuons à exercer notre métier de la même manière que les générations précédentes », explique Nasser. Il ajoute que pour faire de la poterie, ils utilisent des techniques datant de la période de la construction des pyramides comme le trou « Al-Bura » qui fut découvert à Assouan près du temple des crocodiles. Les archéologues ont constaté qu’il était identique à la fosse utilisée dans le village d’Al-Nazla. « Cela prouve aussi que la technique et la manière avec lesquelles nous travaillons dans le village d’Al- Nazla sont uniques et nous distinguent des autres villes et bourgades de l’Egypte », dit Mahmoud Kamel, guide touristique. Il poursuit en affirmant que ce type de fabrication de la poterie existe depuis la Ve dynastie. D’après lui, la poterie est la plus vieille industrie connue des Egyptiens aux XVIIIe et XIXe siècles, ainsi que dans la première moitié du XXe siècle, en particulier dans le gouvernorat du Fayoum qui comprend trois villages regorgeant d’objets artisanaux en poterie et en porcelaine : Kom Ochim, Al-Nazla et Tunis.
Les pièces doivent être placées à l’extérieur pour les faire sécher à l’air et au soleil, cela prend entre trois et sept jours selon la saison. (Photo : Ahmad Réfaat)
En fait, Al-Nazla est le village qui se distingue dans ce domaine, puisque ses habitants travaillent dans la poterie depuis 1850. Cependant, il est le seul à utiliser encore l’ancienne méthode. « La plupart des potiers du Fayoum sont issus des familles originaires de ce village. Al- Nazla est réputé pour avoir les artisans les plus qualifiés de la profession et ce, depuis des siècles », dit Walid, en appuyant sur la pédale du tour pour donner forme à une grande gargoulette. Le village produit environ 30 genres d’objets traditionnels qui répondent aux besoins des habitants ruraux, tels que les abreuvoirs et mangeoires pour oiseaux. Il existe différentes tailles d’ustensiles qui sont utilisés pour stocker la nourriture comme le fromage et le beurre, des jarres d’eau, ainsi que des objets utilisés pour chauffer et faire cuire les aliments en allumant du charbon de bois en dessous ou par-dessus. Mais malheureusement, d’après le maître artisan Hosni, l’industrie de la poterie dans ce village est menacée d’extinction et ce, pour plusieurs raisons, dont la plus importante est le manque de main-d’oeuvre, tout comme c’est le cas pour la plupart des métiers du secteur artisanal, qui sont devenus peu attrayants pour les jeunes. La création, il y a quelques dizaines d’années, du village de Tunis, qui s’est spécialisé dans la fabrication de poteries plus modernes et personnalisées, a eu ses effets. Tunis attire de nombreux touristes et citoyens égyptiens et est devenu plus compétitif. « Auparavant, on exportait 20 % de nos produits vers les pays arabes et européens, ce taux est passé à 5 % seulement actuellement. Or, récemment, grâce aux demandes des villageois et à l’intérêt accordé par l’Etat pour la région du Fayoum en général, il y a eu des changements majeurs allant du pavage des routes à la commercialisation de ces poteries, tout en appuyant sur la variété des objets pour répondre à tous les besoins, et pas seulement les besoins des populations rurales. Nous fabriquons actuellement des luminaires, des unités de décoration et d’autres objets modernes », dit Hosni. Il ajoute que le problème actuellement, c’est le besoin d’avoir des fours modernes au gaz pour éviter la pollution de l’environnement due aux matériaux utilisés de nos jours pour allumer les fours. Hosni confie que la majorité de leurs fours continuent encore de fonctionner selon l’ancienne méthode, mais il pense pouvoir bientôt s’en débarrasser en les remplaçant par des fours modernes. « Ce n’est pas un rêve, puisqu’on a commencé par remplacer quelques fours et nous espérons en faire autant pour les autres », explique l’artisan. D’après lui, cela est devenu possible grâce aux efforts menés pour encourager l’utilisation de matériaux respectueux de l’environnement. L’enjeu est aujourd’hui d’utiliser des fours modernes, de fabriquer de nouveaux produits en plus des objets traditionnels, tout en faisant du bon marketing. Hosni, comme tout autre artisan d’argile, attend de voir très prochainement le nom d’Al- Nazla briller de mille feux dans le monde entier et devenir parmi les endroits les plus distingués dans le domaine de la poterie.
(Photo : Ahmad Réfaat)
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