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Pour ne pas oublier ...

Hanaa Al-Mekkawi , Mercredi, 31 août 2022

Une documentation sérieuse, des recherches approfondies et des vidéos explicatives diffusées sur les réseaux sociaux. Deux jeunes frères palestiniens ont lancé cette initiative pour raconter l’histoire des villages autrefois palestiniens. Leur façon à eux de défendre la cause palestinienne.

Pour ne pas oublier ...
L’initiative est suivie par plus de 30  000 personnes, dont la majorité sont des Palestiniens, mais il y a aussi des Arabes et des Européens.

« La ville de Bir Zeit est située 25 kilomètres au nord de Jérusalem, à 770 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle compte 174 bâtiments historiques, dont 108 au sein de la vieille ville. Certains datent de la seconde moitié du XVIIIe siècle tandis que d’autres remontent à des époques précédentes ». Ces informations sur l’une des villes situées dans les Territoires palestiniens occupés sont dévoilées par Ahmad qui raconte l’histoire de la ville accompagnée d’une vidéo explicative. Cela fait partie de l’initiative « Hazihi Falastine », ou c’est ça la Palestine, lancée par deux enfants palestiniens, Ali et Ahmad Zamaera, 14 et 11 ans, dont l’objectif est de préserver le patrimoine palestinien en diffusant des documents d’informations sur l’histoire des villages évacués. Ahmad en a eu l’idée quand il étudiait, à l’école, l’histoire de la ville de Levta et comment ses habitants ont été déplacés, il y a de longues années. Il rêvait de visiter cette ville pour mieux la connaître et voir ce qu’elle était devenue. Ali, son frère aîné, l’a encouragé à faire cette visite et l’a exhorté à filmer la visite. Après sa publication sur la page Facebook de leur père, cette vidéo documentaire a attiré un grand nombre de vues et a suscité des réactions positives inattendues.

Les deux frères ont alors décidé de faire la même chose avec le reste des villes et villages évacués et publier des informations et des photos sur des pages qu’ils ont délibérément créées dans ce but à travers les différents réseaux sociaux. Leur travail est de rassembler des documents ayant trait à l’histoire de ces villages palestiniens tout en réalisant une vidéo sur chaque agglomération, accompagnée d’informations audio qui racontent son histoire et la réalité de ce qu’il en est advenu.

Le but de l’initiative, comme le disent Ahmad et Ali, c’est de chercher à reconstituer l’histoire de ces villes et villages palestiniens en découvrant des repères du plan d’origine, pour voir comment ils étaient avant et comment ils ont été détruits et enrayés par les mains de l’armée d’occupation qui tente par tous les moyens d’effacer l’identité palestinienne en les reconstruisant et en leur donnant une histoire israélienne. « C’est ce à quoi nous résistons et c’est aussi notre façon de préserver l’identité de ces endroits afin que tout le monde sache ce qu’ils sont devenus quand ils sont tombés aux mains des occupants, en particulier en 1948 et 1967 », disent Ahmad et Ali, qui parlent comme des adultes qui défendent leur cause.

Aujourd’hui, et après deux ans de travail, Ahmad et Ali ont réussi à diffuser des documentaires sur 84 des 535 villes palestiniennes d’où leurs compatriotes ont été expulsés. Et ils comptent compléter cette documentation dans son intégralité, et peu importe le temps et les efforts déployés. Actuellement, l’initiative est suivie par plus de 30 000 personnes, dont la majorité sont des Palestiniens, mais il y a aussi des Arabes et des Européens.

Préserver l’identité

Nous sommes dans le village de Hettine, dont les habitants ont été expulsés en 1948 par la force coercitive, laissant derrière eux tous leurs biens, y compris leurs vêtements, espérant y revenir un jour, ce qui n’a pas été le cas. La ville est complètement vide et nous ne pouvons le déduire que de l’ancienne mosquée qui existe là-bas. Les quelques informations que nous entendons dans l’une des vidéos commencent toujours par la même phrase: « Bienvenue dans une nouvelle histoire de C’est ça la Palestine ». Puis l’histoire commence par une brève visite de quelques minutes au cours de laquelle Ahmad et Ali explorent l’endroit en diffusant des informations sur des indices importants qui distinguent le site.


Ahmad et Ali choisissent les lieux qui conservent encore le patrimoine palestinien pour prouver leur statut.

Ali explique que les villages qui ont été évacués sont divisés en deux types, ceux d’où les habitants ont été expulsés et qui sont restés vides et dont l’armée d’occupation a effacé les caractéristiques autant que possible ; et ceux sur lesquels des colonies ont été construites et dont les noms ont été changés en hébreu, et ce, dans le but d’effacer l’identité palestinienne.

« Lorsque nous décidons de quel village nous allons parler, nous préférons choisir les lieux qui conservent encore des biens du patrimoine palestinien, des monuments ou des signes anciens pour les enregistrer et prouver leur statut. La visite du village, avant de le filmer, est précédée par beaucoup de travail. Cela commence par la lecture et la recherche de documents afin de recueillir le plus d’informations possibles. Nous faisons des recherches sur Internet, mais nous ne pouvons pas compter que sur ça, car les sites de recherches, comme Google, faussent les vérités et lorsque nous écrivons le nom d’un village palestinien, nous recevons des informations sur un village qui porte un nom israélien », dit Ali.


L’objectif de l’initiative est de préserver le patrimoine palestinien en diffusant des documents d’informations sur l’histoire des villages évacués.

Et retracer l’Histoire

Les vraies informations et les plus précieuses, poursuit Ali, viennent des parents et surtout des grands-parents et des personnes âgées qui ont vécu dans ces endroits. Un exemple: lorsqu’ils ont voulu visiter Hettine, ils n’ont rien trouvé pour confirmer son emplacement, excepté une vieille mosquée que leur grand-père avait décrite, et c’est ainsi qu’ils ont pu identifier ce village. Ils cherchent parfois d’autres traces comme les puits d’eau et les cactus, dont l’existence indique qu’un village se trouvait là. « Autrefois, les habitants des villages étaient habitués à planter des cactus autour d’eux afin de protéger le village des voleurs et des animaux sauvages », dit Ali, en ajoutant que cette trace aussi risque de disparaître car l’armée d’occupation a commencé à arracher ces plantes. « Cette situation nous émeut lorsque nous arrivons à n’importe quel village et commençons à le photographier. Nous ressentons de la joie et de la tristesse en même temps. La tristesse de nous rappeler ce qui s’est passé dans ces endroits et d’imaginer à quel point la vie était heureuse avant l’agression brutale et l’occupation, et comment ces lieux sont devenus aujourd’hui. Et la joie que nous puissions trouver quelques indices pour raconter l’histoire d’une ville ou d’un village et ce qu’il en reste pour que tout le monde puisse savoir davantage », dit Ahmad.


Tout ce que qu’ils veulent, c’est que les nouvelles générations n’oublient pas leur passé, et c’est ce que les occupants tentent de faire.

Un effort qui en vaut la peine

Chercher des informations et des indications sur l’existence de villages qui ont été enrayés ou modifiés par la construction d’établissements à la même place sont les difficultés rencontrées par les deux frères. Mais traverser des passages difficiles pour se rendre dans les endroits qu’ils ont choisis est l’une des difficultés majeures auxquelles ils sont confrontés. « Nous prenons plusieurs heures pour nous rendre dans un village, généralement accompagnés de mon père et de mon oncle, puis nous nous arrêtons encore quelques heures devant les postes de contrôle que l’armée d’occupation place partout pour entraver la circulation des Palestiniens. Les soldats continuent de tergiverser pour vérifier notre identité et de manière humiliante », explique Ali, tout en ajoutant que c’est un comportement habituel des soldats, mais tout récemment, les agissements arbitraires ont commencé à augmenter après que leurs vidéos se sont propagées, donc, ils doivent attendre beaucoup plus de temps avant d’être autorisés à passer et se rendre dans n’importe quel village.

« Toutes ces difficultés sont banales », c’est ainsi que les frères voient les choses suite aux réactions positives et enthousiastes de leurs compatriotes, dont le nombre et l’interaction augmentent de jour en jour. Ahmad et Ali sont devenus célèbres dans leur ville natale de Ramallah. Ils reçoivent des encouragements, ainsi que du soutien de la part de ceux qui les ont aidés: leur famille, leurs collègues, leurs enseignants et leurs voisins. La plus belle récompense pour eux c’est quand l’interaction a commencé à prendre une autre forme. Des Palestiniens qui ont été expulsés de leurs villages et qui n’y sont jamais retournés, et d’autres personnes d’autres générations, qui n’ont pas connu leur village, demandent à ce qu’Ahmad et Ali filment des endroits pour eux. Les deux frères n’hésitent pas à le faire et sont heureux de voir les émotions fortes, la nostalgie, les pleurs et le grand bonheur que manifestent leurs compatriotes en communiquant avec eux dans une émission en direct à partir de l’endroit même.

« Nous allons continuer à nous documenter sur chaque centimètre et chaque pierre de notre pays du nord au sud. Tout ce que nous voulons, c’est que les nouvelles générations n’oublient pas leur passé, et c’est ce que les occupants tentent de faire, et pensent qu’ils vont réussir en envoyant des messages indirects aux enfants palestiniens et en arabe pour changer leurs idées, mais cela n’arrivera jamais. Chaque génération est plus forte que celle qui l’a précédée et est plus attachée à la cause », dit Ali. Il ajoute que l’armée d’occupation craint les enfants et que la preuve, ce sont les vidéos qui circulent et qui montrent leur arrestation simplement parce que l’un d’eux a insulté un soldat. Ce sont vraiment des lâches et pas aussi puissants qu’ils le prétendent. « La défunte Golda Meir, la première femme à devenir premier ministre en Israël, a dit un jour que les vieux mourraient et que les jeunes oublieraient. Nous disons que de nombreuses générations sont déjà mortes, mais que leurs petits-enfants n’ont jamais oublié », achève Ali.

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