Il jetait sa tête en arrière et risquait de se blesser en se cognant contre les meubles. C’est ainsi que décrit Nawal, femme au foyer, l’état de son fils de 10 ans Amir en voulant prendre la parole. Le premier mot restait toujours coincé dans sa gorge, raconte-t-elle.
« Lorsqu’il avait 3 ans et demi, je pensais que son bégaiement est apparu à la crèche en voulant imiter les syllabes entrecoupées des petits garçons. J’ai décidé alors de le mettre dans un jardin d’enfants où on faisait des activités préscolaires. Il a fait preuve d’intelligence dans le processus d’apprentissage, mais à l’âge de 6 ans, il continuait encore à bégayer », dit-elle.
Inquiète pour l’avenir de son petit, cette maman a décidé de le prendre chez un orthophoniste pour comprendre ce qu’est le bégaiement. Ce dernier lui a expliqué qu’il s’agit d’un trouble de l’élocution qui touche le flux de la parole. Il peut se manifester de différentes façons. L’une se caractérise par des répétitions involontaires et l’allongement de sons et de syllabes, souvent accompagnés de pauses et de blocages.
Une autre s’accompagne de manifestations physiques qui peuvent se traduire par des grimaces et crispations du visage. L’enfant peut aussi retenir sa respiration et avoir des mouvements involontaires des bras ou des jambes quand il a de la difficulté à dire des mots. Il faut donc relâcher toute pression autour de lui et prendre le temps de l’écouter. « Mes neveux qui étaient du même âge parlaient avec fluidité, ce qui n’était pas le cas d’Amir. Il devenait violent et frappait ses cousins lorsqu’ils se moquaient de lui », ajoute la maman. Elle a donc décidé d’éviter les rencontres familiales et amicales pour échapper aux questions du genre : « Qu’est-ce qu’il a ? », « Est-ce qu’il n’y a pas de traitement pour son cas ? ». Ne pouvant rester les bras croisés, Nawal s’est dirigée vers le centre SETI (Support Education and Training for Inclusion), une des antennes de Caritas Egypte, qui offre des séances d’orthophonie pour aider les enfants bégayeurs à maîtriser la prise de parole et contourner le bégaiement.
Mais avant ça, Amir a fait un EEG (électroencéphalogramme) pour savoir si le bégaiement n’est pas dû à un manque de dopamine dans le cerveau. Dans son cas, il s’agit d’un manque de confiance en soi. En fait, les causes de bégaiement varient entre prédisposition génétique, défaillance du système nerveux, comportement de la mère, manque de confiance en soi ou choc émotionnel résultant d’un traumatisme.
Accompagnement familial
Actuellement, les centres d’orthophonistes sont nombreux et on en trouve partout dans toute l’Egypte. Markaz Al-Takhatob Al-Chamel we Seoubat Al-Taallom (centre de communication complet et difficultés d’apprentissage) est le premier centre qui a ouvert ses portes à la fin des années 1980. Mais les enfants bègues des années 1950, 1960 et 1970 n’ont pas eu le privilège de suivre un traitement. « J’étais un bon élève, mais le bégaiement m’a empêché d’avoir des amis. Alors que je fréquentais une école publique, on n’étudiait pas l’anglais comme langue étrangère, mais j’ai prouvé mon assiduité à écrire des lettres en anglais pour les jeunes filles qui vivent au Canada, en Australie et au Brésil. Cette correspondance permanente a compensé le manque d’amis en Egypte », raconte Sami, 55 ans, comptable.
A l’époque, son bégaiement l’a empêché de s’inscrire à la faculté de police dont il rêvait. Aujourd’hui, il a un garçon en classe terminale et aspire qu’il aura sa place dans la faculté qui lui a été inaccessible par le passé.
Eglal Chenouda, directrice exécutive à Caritas Egypt, pense que le bégaiement chez les enfants nécessite plusieurs techniques à la fois comme l’articulation, le soutien psychologique et la motivation. Mohamad Awad, orthophoniste, indique qu’en Egypte, le programme Lidcombe (traitement comportemental pour les enfants en âge préscolaire et scolaire) est utilisé pour corriger le bégaiement.
Un programme australien basé sur le renforcement positif. Il associe les parents en participant aux séances hebdomadaires d’orthophonie et leur enseigne à remarquer et à corriger délicatement le bégaiement de leur enfant lorsqu’ils sont à la maison. « Grâce à une échelle de mesure, les parents évaluent les progrès tout en signalant les raisons du progrès ou du retard d’après les différentes situations rencontrées », affirme Awad.
La prise en charge du bégaiement est intimement liée à l’accompagnement familial. L’environnement familial, en raison des interactions quotidiennes échangées avec l’enfant qui bégaye, joue un rôle prépondérant dans l’évolution de sa communication. L’orthophoniste donne de précieux conseils aux parents et leur demande aussi d’informer l’école afin que le professeur soit au courant de son état et évite de mettre l’enfant dans une situation embarrassante, ce qui peut aggraver les choses.
Victimes de harcèlement
Et ce genre de situation arrive souvent. « J’étais malade et je ne pouvais pas l’emmener à une leçon particulière de langue arabe. Et comme il n’avait pas préparé la lecture de texte à la maison, son bégaiement était quatre fois plus intense en le lisant en classe, alors le professeur l’a obligé à lire un autre paragraphe. Et il a subi les moqueries de ses camarades », relate Riham. Son fils Ismaïl, 11 ans, s’est senti offensé et lorsqu’il est rentré à la maison, il a explosé en disant qu’il n’y avait pas d’espoir de guérison pour lui, et ce, bien que son état se soit amélioré. « On n’a pas voulu que mon fils se mette en tête qu’il manque de fluidité dans la façon de parler », ajoute la mère. Elle a donc discuté avec le professeur qui a présenté des excuses pour avoir fait subir une telle situation à son enfant.
En effet, selon Aya Ali, orthophoniste au centre Al-Chams au quartier de Aïn-Chams, les enfants bègues sont très susceptibles et les conséquences de ces moqueries peuvent être graves: dépression, baisse d’estime ou de confiance en soi, isolement et repli sur soi. « Dessiner, colorier, pratiquer un sport pour réduire le stress et leur apprendre surtout à bien respirer en inspirant profondément et en expirant lentement avant de prendre la parole », déclare Aya Ali.
Jana, 14 ans, 2e préparatoire, avait opté pour l’isolement avant son traitement. Lorsqu’elle sortait en compagnie de sa mère, elle fuyait les regards des autres pour ne pas leur donner la chance de parler avec elle.
« Mes sorties étaient programmées à l’avance, je réunissais les mots nécessaires en formant des phrases simples, et si je devais parler avec un étranger, je prenais mon souffle en inspirant profondément et expirant lentement pour pouvoir répondre sans bégayer », affirme Jana qui aspire à devenir infirmière pour prodiguer des soins aux malades sans avoir à trop parler avec eux, mais juste répondre brièvement à leurs questions. Cette fille a commencé son traitement à l’âge de 12 ans, ce qui est relativement tard. Car la prise en charge du bégaiement doit être précoce entre 2 ans et 6 ans au maximum et une thérapie est nécessaire pour aider l’enfant à retrouver une parole fluide.
Et vu que ce problème semble être peu connu (environ 70 millions de personnes, soit environ 1% de la population mondiale ont un trouble de la parole), une journée internationale de la sensibilisation au bégaiement, le 22 octobre, existe depuis 1997. « Quelques semaines après la rentrée scolaire, on se rend dans les établissements scolaires pour célébrer cette journée et sensibiliser le corps enseignant et les élèves à respecter la différence pour ne pas aggraver les cas des enfants bègues en les mettant dans des situations offensantes difficiles à supporter », conclut Awad.
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