« celui qui fabrique des statues pharaoniques, qui en vend ou qui en achète, ne serait-ce que pour décorer sa maison, ira en enfer », insiste Manal, jeune salafiste en niqab. Elle est contre l’achat et la vente des statues pharaoniques. Elle se réfère à un hadith du prophète Mohamad : « Allah ne permettra jamais à ma communauté de s’unir sur l’égarement et les croyances erronées. La miséricorde d’Allah, ses bienfaits et sa protection sont avec le groupe le plus large de musulmans. Et celui qui dévie de ce large groupe ira en enfer ». Manal se justifie ainsi :« Toute représentation des prophètes et de certains compagnons du prophète Mohamad a été déclarée illicite par les théologiens de l’islam sunnite ». Elle affirme que dès son retour à La Mecque, après un exil à Médine en 622 ap. J.-C. qui a duré 10 ans, le prophète a ordonné la destruction des statues érigées autour de la Kaaba. « Il faut dire cependant que ces statues étaient idolâtrées par les différentes tribus qui ne croyaient pas en Dieu », explique l’écrivaine Farida Al-Choubachi.
L'Inconographe Guergues Exerce son métier menacé
Aujourd’hui, avec la poussée islamiste, le monde des fabricants de statues s’inquiète. « Je gagne ma vie grâce à ce métier. Le prix d’une icône peinte à la main sur une plaquette en bois dorée de la Vierge Marie, de Cléopâtre ou de Ramsès II d’une dimension de 30x40 m. est vendue à 2 500 L.E. Une autre photocopiée sur carton, prise du net ou d’un livre peut être vendue à 200 L.E. », confie Ahmad, jeune iconographe talentueux de 22 ans, possédant un tout petit atelier dans les ruelles de Khan Al-Khalili. Il utilise les mêmes couleurs pour les statues pharaoniques ou coptes. « Après tout ce parcours, on vient nous dire que cet art est païen », s’indigne-t-il.
Fatma Naoute, jeune écrivaine libérale, poursuit la même idée avec dérision : « Nous croyons à la récompense et à la punition de Dieu. Mais le paradis et l’enfer, ce sont deux choses qui appartiennent à Dieu, seul. Ces gens veulent jouer le rôle de Dieu sur terre, ce qui est insensé ». « Il est scandaleux et choquant que les plus conservateurs ignorent 15 siècles d’Histoire. Ils considèrent que l’humanité n’a pas évolué depuis l’apparition de l’islam. Ils veulent imiter aveuglement le prophète », s’indigne Farida Al-Choubachi. Et d’ajouter : « C’est cette mentalité qui a conduit à la destruction des trois statues bouddhistes, classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Cela s’est passé en mars 2001 en Afghanistan. Les talibans les ont détruites à l’aide d’explosifs et de tirs d’artillerie. Ces chefs-d’œuvre avaient été décrétés idolâtres par le mollah Omar, chef des talibans ». Al-Choubachi s’interroge : « Va-t-on idolâtrer aussi la statue de Gamal Abdel-Nasser ? En fait, cette statue rend hommage à un homme qui a joué un rôle important dans la vie politique en Egypte. Toutes ces histoires me rappellent celle de Oum Kalsoum après la Révolution de 1952. Certaines chansons de la diva avaient été interdites par un fonctionnaire zélé, car pour lui, elles faisaient partie d’une époque antérieure à la Révolution. Le président Gamal Abdel-Nasser avait convoqué ce fonctionnaire et lui dit que dans ce cas, autant faire disparaître les pyramides et le Nil, puisqu’ils appartiennent à une autre époque ».
Des responsables du courant conservateur avaient demandé récemment que les pyramides soient rasées ! Ils sont convaincus qu’il faut les détruire et achever ce que Amr Ibn Al-Ass (disciple du prophète Mohamad qui a conquis l’Egypte en 641) n’a pas fait. « Le niveau de la bêtise humaine a dépassé toutes les limites. J’ai du mal à le croire. C’est aberrant et catastrophique ! », s’indigne Mayssa, employée à la télévision d’Etat à Maspero.
Pourtant, nombreux sont ceux qui commencent à adopter l’idée que ces statues sont illicites, surtout après l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir. Nihal, membre du Parti Liberté et justice, bras politique des Frères musulmans, rejette catégoriquement la présence de ces objets chez elle. « Je n’ai jamais acheté de statues pharaoniques pour la décoration car c’est illicite. Je ne veux pas prendre le risque de transgresser ma religion pour un objet sans valeur », note Nihal. D’autres rejettent ces idées propagées par des salafo-wahabistes. « J’ai honte de parler de ces choses banales qui n’ont aucune valeur en ces jours critiques que vit l’Egypte », note Noha, femme au foyer. Très heureuse d’avoir tissé des liens d’amitié avec un grand nombre d’étrangers, Noha n’hésite pas à leur offrir des fresques religieuses ou des statues pharaoniques pendant les fêtes ou lorsqu’elle se rend dans leur pays. « Les courants politico-religieux se donnent le droit d’incriminer, d’autoriser et d’interdire ce qu’ils veulent et à leur gré. Ils répandent de nouvelles théories et repoussent la culture des autres. Ils veulent imposer leur propre interprétation de la religion », note Dr Hanna Greiss, membre du Conseil national des droits de l’homme.
L'une des statues qui ont été détruites par les talibans en mars 2001 en Afghanistans
L’Egypte est un grand pays aux cultures multiples, et ce, depuis la nuit des temps. Elle est le berceau des civilisations pharaonique, gréco-romaine, copte chrétienne et islamique. Le peuple égyptien est l’aboutissement de cette longue Histoire où l’Autre constitue une partie intégrante et fondamentale de son identité et de sa culture. « Donc, il est difficile de laisser ce genre de fondamentalistes imposer leur culture aux autres », ajoute Greiss.
Les salafistes refusent catégoriquement la vente et l’usage des statues. « La culture pharaonique est une culture corrompue », avait affirmé Abdel-Moneim Al-Chahat, porte-parole d’un groupe salafiste, qui souhaite que l’on couvre les statues des temples et des pyramides, parce qu’elles sont interdites par la religion. D’autres salafistes réclament la destruction des temples de l’ancienne Egypte, considérés comme « des symboles païens ».
Dr Bassam Al-Zarqa, membre de la haute commission du parti salafiste Al-Nour, affirme que son parti œuvrera pour détruire les statues pharaoniques qu’il qualifie de « asnam » (idoles de la période pré-islamique).
Ces menaces ont touché de très près le marché des icônes coptes situé à Choubra. Les propriétaires de 17 librairies de ce quartier, à majorité copte, ont reçu des lettres de menace anonymes leur demandant de cesser la vente de ces icônes. « Nous vous lançons un avertissement, cessez la sale négoce de ces idoles répugnantes », disaient les lettres.
Les propriétaires des librairiesAl-Mahabba, Saint-Marc, Saint-Raphaël, Flobatir, Al-Salam, Mar Mina et beaucoup d’autres, situées dans la rue principale de Choubra, ont reçu ces menaces, proférées par des intégristes, les accusant de vendre « des icônes, des statuettes et des reliques impies », sans compter les nombreux appels anonymes les avertissant de mettre ces menaces à exécution. « Nous nous sommes présentés au commissariat pour porter plainte contre les auteurs de ces menaces. Elle a été enregistrée sous le nº 1 789. Malheureusement, rien n’a été fait pour assurer la sécurité de nos commerces. Seul un agent de police a été envoyé sur place, il est resté quelques heures à patrouiller dans le quartier toute la matinée, puis il est reparti », précisent les uns et les autres.
Les commerçants, en majorité des coptes orthodoxes, sont choqués par ces intimidations. « On exerce ce métier depuis la nuit des temps et on n’a jamais reçu de telles menaces », note Victor, 83 ans et propriétaire d’Al-Mahabba, la plus vieille librairie, spécialisée dans la vente d’icônes, d’images et de statues des saints ainsi que des objets pharaoniques. Sa librairie remonte à 1929. Libraire de père en fils, Victor possède plusieurs librairies à Choubra et à Faggala.
Les librairies vendent ces icônes à des clients fidèles. « On croit en un seul Dieu Tout Puissant. Pour nous, l’icône est un objet liturgique et spirituel avant d’être une image décorative. On n’idolâtre ni les portraits, ni les nombreux saints, peints sur des plaquettes en bois. Ces représentations nous permettent de ne pas oublier ces saints qui ont sacrifié leur vie pour nous », signale Marie Assaad, en insistant sur la valeur que représentent ces icônes pour les coptes.« A l’église, on se prosterne devant les icônes, on fait brûler des cierges devant elles, on glisse des demandes d’intercession écrites sur de petits bouts de papier derrière l’icône ou sous le cadre, les fidèles prient en les touchant, en les embrassant ou en appuyant la tête contre elles, mais nous croyons en un seul Dieu », ajoute Marie Assaad, qui travaille dans une ONG.
« Ces menaces sont une forme de vandalisme. Pour remédier à ce problème, il incombe à l’Etat d’intervenir d’urgence, d’appliquer la loi strictement et d’imposer de lourdes peines à tous ceux qui terrorisent les citoyens », conclut Aymane Naguib, avocat.
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