Chaque vendredi, dès que le soleil se couche, la rue Al-Borsa au centre-ville reprend vie. Petit à petit, on aperçoit des jeunes sur des planches à roulettes parcourir la rue. Certains ont un niveau de pro, tandis que d’autres viennent à peine de commencer dans le skate. On les voit slalomer entre les passants apeurés et furieux, défiant les lois de l’équilibre ou s’accrochant aux voitures pour prendre de la vitesse. Sans rendez-vous préalable, ces jeunes, venus des différents quartiers de la capitale, apprennent le roller et le skateboard.
« Je n’aime pas trop le sport, mais le roller j’ai tout de suite adoré ! Quand je me déplace en patins, je sens l’air heurter mon visage, ça me donne l’impression de voler dans les airs. C’est une vraie sensation de liberté », lance Ahmad Moustapha, un jeune qui vient régulièrement rue Al-Borsa. Selon lui, les jeunes pratiquent le skate au centre-ville depuis des années déjà. « Avant la révolution, les skateurs se regroupaient devant le complexe de Tahrir (Al-Mogammae) », dit-il. Et d’ajouter qu’il s’est habitué très vite aux rollers et a trouvé des amis qui partagent la même passion au Caire et à Alexandrie.

De nombreux jeunes apprennent les flips tricks, les grinds et les grabs, ainsi que d’autres mouvements difficiles.
« Quand vous apprenez à patiner, vous tombez vingt ou trente fois. Cela consolide votre force mentale. Le patin vous apprend la résilience et la persévérance. C’est peut-être aussi une thérapie et un outil pour lutter contre le stress », explique Nasr Atef, fondateur du groupe de patinage à roulettes Skate in Egypt, qui compte aujourd’hui plus de 200000 membres, et dont l’objectif est de créer un espace de rencontres pour les patineurs et de développer cette activité en Egypte, dans l’espoir d’encourager l’Etat à créer des skateparks publics.
Surnommé Nasr Skater, ce jeune de 24 ans a commencé le patinage il y a 5 ans. Au début, il s’entraînait sur le toit de son immeuble. Mais il est vite devenu un expert. Au lieu d’utiliser le skate pour occuper son temps libre, il poste des vidéos sur ce sport sur Facebook et, avec d’autres patineurs, il cherche à développer cette activité dans les rues du Caire et d’Alexandrie.
« Nous avons joué un rôle essentiel pour encourager d’autres groupes à pratiquer le patinage en Egypte. Si quelqu’un veut patiner dans une région donnée, il demande au groupe de trouver d’autres patineurs dans la même région. Nous les mettons alors en contact, ils se mettent à patiner ensemble et finissent par former une équipe », affirme Nasr. Il explique qu’il y a une page Facebook pour tous les skateurs du Caire. « Sur la page, on peut connaître toutes les informations sur les randonnées hebdomadaires que les pionniers du skate organisent les vendredis. Toutefois, les randonnées, qui sont dans les rues de la capitale, sont réservées à ceux qui ont un bon niveau et arrivent à se débrouiller sur les roulettes ou sur les planches », constate-t-il.
Une vraie sensation de liberté

Pas facile d’apprendre à monter sur une planche à roulettes, surtout la première fois.
Nollie inward heelflip, Kick flips, nollies de plus d’un mètre, le skate offre de fortes sensations de liberté. C’est une activité agréable pour les amateurs de glisse. Inventés au XVIIIe siècle, les patins à roulettes n’ont connu un véritable engouement que dans les années 1960 du XIXe siècle. Depuis, la culture street, avec sa mode vestimentaire et sociale, a envahi les pays développés.
Un skateboard est utilisé comme moyen de déplacement ou pour réaliser des figures acrobatiques (tricks), le plus souvent dans un environnement urbain, ou dans des espaces spécialement aménagés. Dans le monde arabe, le développement du skate a été plus lent, bien que certains pays l’aient intégré assez vite. Par exemple, les rues de Riyad se sont très tôt peuplées de skateurs et de roller skaters (patins à roulettes). L’Egypte, encore peu ouverte aux sports de glisse, voit néanmoins sa communauté de skateboard se développer. Et chaque génération se montre plus ambitieuse que la précédente.
Il suffit de faire un petit tour au Mogammaa, place Tahrir, à l’aéroport, dans les rues du centre-ville, de Zamalek, de Madinet Nasr et les banlieues résidentielles chic, pour voir plusieurs jeunes défiler sur des roulettes.
Le parc d’Al-Montaza et les corniches d’Alexandrie et de Mansoura sont désormais des endroits prisés par les amateurs de skate. Cependant, Ahmad Magdi, fondateur du groupe Cairo Skaters, pense que l’engouement en Egypte pour le skateboard et le roller est né pendant le verrouillage du Covid-19. Il y a eu une diminution du trafic routier, et les skateurs ont commencé à s’adonner à leur sport favori. « Envie de liberté, besoin de défoulement, le stress et l’ennui ont poussé des milliers de jeunes à sauter sur une planche ou à mettre leurs patins à roulettes. Etant donné que c’est un sport qu’ils peuvent pratiquer en plein air tout en respectant la distanciation sociale », estime Magdi.
Inspirés par les débuts du skateboard aux Jeux olympiques de Tokyo, nombreux sont les jeunes qui apprennent aujourd’hui les flips tricks, les grinds et les grabs, ainsi que des dizaines d’autres mouvements.
Pas un sport, un mode de vie

En l’absence de sites appropriés pour s’entraîner, les patineurs utilisent les rues pour pratiquer leur sport favori.
Perchée sur des rollers, Mariam Moustapha, 23 ans, se déhanche sur une esplanade. Un jeu difficile, quand on connaît le déséquilibre qu’engendrent habituellement les rollers. « Il m’arrive de tomber souvent, je me relève et je recommence. Mais je ne retombe jamais de la même façon. C’est comme dans la vie. On dirait que le sport de glisse est le reflet de l’existence: on prend des risques et on saute de plus en plus haut et de plus en plus loin. Le skate m’a appris à affronter les problèmes de la vie et à les surmonter », explique-t-elle.
Mariam travaille dans une banque, elle s’occupe à longueur de journée de clients impatients et bruyants. « Je dois être agréable et sourire. Je viens ici pour skater un peu et oublier le boulot. C’est un bon outil pour lutter contre le stress », confie-t-elle. La jeune fille sillonne en rollers la rue Al-Borsa. Elle n’a pas le niveau d’un pro, mais cela ne lui pose aucun problème. La rue est pleine d’adolescents. Il y a ceux qui préfèrent le skateboard, ceux qui aiment les rollers et ceux qui font du vélo. Toutefois, cette discipline ne compte pas que des jeunes.
« Ici, tout le monde s’entraide, se conseille et accepte l’autre », se réjouit Mariam. Selon elle, il n’y a rien de mal à ce que des femmes voilées comme elle, ou même portant le niqab, patinent. « Les gens sont surpris, curieux, ne comprennent pas ce que nous faisons. Certains d’entre eux prennent ce sport pour un jeu d’enfants, d’autres ont peur qu’on les heurte ou qu’on les blesse », déclare Salma Achraf, une skateuse de 19 ans qui aimerait que des skateparks soient créés en Egypte comme en Europe, afin de pouvoir pratiquer son sport favori en toute sécurité.
« Le skate reste un sport dangereux en Egypte à cause du trafic anarchique, des trottoirs surpeuplés et des chaussées défoncées », dit Salma. Elle aimerait aussi que les patins à roulettes soient fabriqués localement, car ceux vendus en Egypte sont tous importés et sont chers (entre 50 et 500 dollars selon la marque).

Plusieurs communautés de patineurs se sont formées en Egypte avec une présence sur les réseaux sociaux.
Prise de risques, aventure mais aussi beaucoup de discipline, c’est ce que les patineurs apprennent aux entraînements. C’est un mode de vie différent qui répond aux besoins de beaucoup de jeunes qui rêvent d’un statut officiel pour le skate en Egypte.
« Il est temps d’avoir une fédération, des sponsors et des compétitions comme c’est le cas en Europe », dit Amr Sami, un skateur qui a décidé de se consacrer à ce sport et de l’apprendre aux autres. Et de conclure: « Skater est une manière utile et harmonieuse de se déplacer dans la nature et le milieu urbain. Elle permet de développer des qualités comme l’agilité, la résistance, la maîtrise et surtout la confiance en soi » .
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