Jeudi, 19 septembre 2024
Al-Ahram Hebdo > Au quotidien >

« Nous ne sommes pas que des sex-symbols ! »

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 05 octobre 2021

Victime de clichés et de stéréotypes simplistes, la femme libanaise, comme tous ses concitoyens, vit un quotidien compliqué dans un pays atypique en proie à des crises chroniques. Témoignages.

« Nous ne sommes pas que des sex-symbols ! »

« Belles et sexy », c’est avec ces mots et d’autres, appartenant à la même thématique, que le public a réagi en voyant les photos diffusées sur les réseaux sociaux de femmes libanaises tenant des pancartes sur lesquelles on peut lire : « Je renonce à mon droit à la dot ». Des photos qui se sont avérées truquées, mais qui ont tout de même attiré les internautes, notamment égyptiens, qui s’en tiennent toujours aux stéréotypes qui entourent la femme libanaise. La grande majorité du public ne voit qu’une seule chose chez elle : son physique. Et, quel que soit l’événement auquel elles sont associées, les réactions sont les mêmes, alors qu’elles ont subi la guerre et ses conséquences, les contrecoups des révolutions et se sont battues pour régler des problèmes et sauver leur patrie. « Les Libanaises sont en général jolies, mais elles ne sont pas les seules à l’être dans le monde. Surtout, elles prennent soin de leur physique et de leur image. Nous, au Liban, on attache beaucoup plus d’importance à notre allure, car cela fait partie de notre culture et de notre mode de vie. Mais ceci ne nous empêche pas de vivre avec la réalité, de subir de plein fouet les effets de la crise économique, d’être fortes et battantes sur plusieurs niveaux », dit la journaliste libanaise Hoda Al-Assir.

Cet intérêt porté à l’apparence et au paraître réduit malheureusement la femme à un objet. Certains estiment même que cette image est favorisée par des politiciens, des hommes de religion ou des médias afin d’éloigner la femme de la scène et l’empêcher d’accéder à ses droits, comme l’avait publié l’écrivaine libanaise Racha Nadaf : « Les femmes libanaises ont occupé une partie de la couverture médiatique locale et arabe lors du déclenchement du mouvement de contestation ; cependant, on a tendance à oublier les actions révolutionnaires qu’elles ont menées et le rôle qu’elles ont joué lors des conflits sectaires. Résultat : les stéréotypes de belles et libérales leur collent toujours à la peau. De l’autre côté, les feuilletons et les films diffusés n’ont pas fait mieux et continuent de la réduire aux mêmes clichés ».

Mais loin des stéréotypes, ces jolies dames traversent actuellement une période extrêmement difficile à cause de la crise que vit le Liban depuis près de deux ans. Une crise économique et financière qui a conduit à une détérioration brutale des services de base, ce qui a eu un impact considérable sur le quotidien des femmes comme l’affirme la journaliste libanaise, Hoda Al-Assir.

Chaque jour, une bataille

Vivre avec des coupures d’électricité, d’eau, des pénuries d’essence et de médicaments, en plus du chômage, du manque de liquidité et la hausse effrayante des prix, tel est le quotidien difficile de ces femmes. Nadine Rafik, femme au foyer, âgée de 37 ans et mère de trois enfants, commence sa journée à chercher où faire le plein de sa voiture. Elle se dirige vers la station d’essence et fait la queue durant de longues heures pour remplir son réservoir d’essence. Avant de rentrer chez elle, Nadine doit aller au marché et acheter seulement les provisions qui vont servir à préparer le repas du jour. « Il faut répéter cette corvée tous les jours. Je ne peux pas conserver des aliments dans mon frigo, car les coupures de courant sont très fréquentes et durent longtemps. Le réfrigérateur, je l’utilise comme une armoire pour ranger les chaussures et pas plus. Je dois aussi acheter de la viande ou du poulet frais au marché de gros, pour la même raison. Les réfrigérateurs des supermarchés ne fonctionnent pas, donc les produits alimentaires peuvent être avariés ». Une fois rentrée à la maison, Nadine doit attendre que l’eau coule dans les robinets pour qu’elle puisse faire le ménage. En fait, l’électricité, l’eau et l’essence sont liés au même cercle vicieux. Les centrales ne fournissent pratiquement plus d’électricité, et les ménages ont presque tous recours aux générateurs installés dans les rues auxquels les Libanais sont abonnés, s’ils n’ont pas leur propre générateur. Pareil pour l’eau. Il arrive souvent que les moteurs s’arrêtent de fonctionner à cause de la pénurie de mazout. « On est tout le temps en train de chercher des solutions, on est obligés de faire avec, on mange moins, passe moins de temps sous la douche, etc. On essaye aussi de garder nos téléphones chargés. On recourt aussi à l’utilisation d’objets anciens comme les fers à repasser qui fonctionnent sans électricité, les accessoires de cuisine manuels et c’est ainsi chaque jour », dit Nadine, qui ajoute que les femmes qui travaillent vivent avec la peur de perdre leur boulot. « Dans cette explosion du chômage qui touche actuellement le Liban, la femme est la plus exposée, car lorsqu’il s’agit de réduction des effectifs, elle est en tête de liste », estime Essmat Faour, designer haute couture. Une crise aiguë, dit-elle, expliquant toutefois que le Liban a vécu la plupart du temps dans des conditions déplorables. « On est habitués à la vie difficile. Une minorité seulement de la population mène un train de vie aisé et n’éprouve aucun problème, ce sont ceux qui possèdent les dollars. Autrement, c’est la classe moyenne et les démunis qui souffrent de la crise », dit Faour.

Recluses du système

Guerre, troubles politiques, crise économique, les Libanais se sont habitués à cette situation inédite que vit leur pays depuis des décennies. Mais au-delà des défis quotidiens actuels, la femme libanaise vit dans un vrai paradoxe depuis très longtemps à cause du système politique et social très particulier du pays. L’article 7 de la Constitution libanaise stipule que tous les citoyens sont égaux devant la loi. Ils jouissent tous également des droits civils et politiques. Mais est-ce que cela est appliqué sur le terrain ? La réponse est non, comme l’avoue Salha Nasser, coordinatrice de projets de développement éducatif dans le domaine de l’autonomisation de la femme. Elle explique par exemple qu’au Liban, une femme, qu’elle soit cheffe d’entreprise, juge, ministre ou même députée, ne peut ouvrir un compte bancaire pour son enfant, ni lui faire un passeport, ni même lui donner sa nationalité si elle est mariée à un étranger. Elle est soumise à un quota déterminé, que ce soit dans le milieu du travail ou en politique. Elle est pénalisée plus sévèrement pour un même délit. Elle souffre de discrimination salariale. « Les femmes sont les premières victimes d’un système patriarcal très inégalitaire et cela paraît très clairement dans le statut personnel qui dépend de la religion et des noms de famille que portent les Libanais », dit Essmat Faour, en ajoutant que toutes les femmes n’ont pas les mêmes droits, car au Liban, il existe 18 communautés religieuses et chacune impose ses propres règles, et presque autant de tribunaux ecclésiastiques qui statuent, chacun à sa manière, notamment en matière de mariage, divorce, garde des enfants et pension alimentaire.

Si elles sont coquettes, les Libanaises sont donc aussi des battantes, à la maison, dans la rue, en politique et partout. Et tout compte fait, elles savent s’adapter à toutes les situations difficiles. « On vit comme ça depuis toujours, avec des crises qui surgissent subitement. A chaque fois, on est prises au dépourvu au début, puis on fait avec, et la vie continue, même si on a l’impression de toujours frôler l’implosion. On a vu nos mères et nos grands-mères vivre ainsi, et on a appris à toujours trouver des astuces pour aller de l’avant malgré tout, c’est notre destin », résume Randa Saber, une activiste écologique. Et Hoda Al-Assir de conclure : « C’est la femme qui a su toujours tenir les piliers de la maison en soutenant sa famille, c’est aussi elle qui descend dans la rue lors des manifestations, et c’est elle qui sait recourir au système D ! On doit rester fortes, émancipées, déterminées et surtout belles comme toujours ! ».

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique