« On est enfin libérés après de longues journées d’emprisonnement dans nos appartements », déclare Samiha Tawfiq, habitant le quartier de Rabea Al-Adawiya, situé à Madinet Nasr, à l’est du Caire. Avec les autres femmes du quartier, elle lance des youyous. C’est que le voisinage est immédiatement descendu dans les rues, dans un élan de libération, après la dispersion du campement des partisans du président déchu, Mohamad Morsi. Depuis 48 jours, leur vie quotidienne était devenue un enfer.
Le 14 août, jour d’évacuation du camp de Rabea par les forces de l’ordre, a toutefois été une très longue journée pour les riverains. Ils ont été réveillés par les haut-parleurs de la police. Puis dès midi, les tirs n’ont pas cessé jusqu’au soir. « Nous avons vécu l’insupportable. J’ai même oublié l’odeur de l’air propre. Des odeurs d’ordures nauséabondes nous harcelaient », raconte Gaber Nour, un habitant du quartier. Plus tard, voulant effacer toutes traces de ces moments difficiles, les habitants de Rabea sont allés nettoyer les rues aux alentours. Ils voulaient aussi effacer, comme les agents de la municipalité, toutes les traces de « l’occupation ». Confortés et protégés par les forces de sécurité, les habitants ont formé des comités populaires pour garder les entrées et les toits des immeubles.

Une quarantaine de policiers ont trouvé la mort à cause de la violence à Rabea.
(Photo: AP)
« Il faut s’assurer que ces terroristes qui ont effrayé les gens et qui ont brûlé la mosquée de Rabea avant de la quitter ne reviendront jamais », annonce furieusement Kamal Babr, l’un des habitants. « Aucun Etat ne peut accepter une telle situation », a affirmé le premier ministre intérimaire, Hazem Al-Beblawi, juste après l’annonce de la dispersion des sit-in.
Mais ce discours officiel, partagé aussi par une grande partie de citoyens, est qualifié par d’autres de « massacre ». C’est l’avis des Frères musulmans et de leurs partisans qui ont promis de réagir par la violence et rien d’autre. Et ils ont tenu leurs promesses. Des commissariats de police et des églises ont été attaqués et brûlés. Des citoyens sont agressés dans la rue. La situation s’est vite détériorée en 2 jours puisque les Frères musulmans ont immédiatement appelé à un « vendredi de la colère » le 16 août. Ils ont publié des appels afin de dénoncer la violence des forces de police tandis que les forces opposées sous la bannière « Tamarrod » (mouvement qui a mobilisé des millions d’opposants au président Mohamad Morsi) ont apporté leur soutien à l’armée et à la police. « Il faut protéger notre pays et prouver au monde entier que c’est la volonté du peuple qui a renversé le régime des Frères musulmans », a lancé le porte-parole de Tamarrod. Encore une fois, la violence était le maître-mot au moment alors où de nombreuses victimes continuaient à tomber.
Le combat ne s’est pas limité aux rues ; il a pris place aussi sur les écrans de télévision et les réseaux sociaux. Partout, chacun y va de son interprétation et les débats sont enflammés. Les points de vue et les analyses vont dans tous les sens avec un nombre de morts et de blessés qui varie d’une chaîne de télévision à une autre. Certaines estiment le nombre à des centaines et d’autres à des milliers.
Images de manifestants armés

(Photo: AP)
D’après certains médias, la police abat les manifestants pacifiques qui ne brandissent pas le drapeau de l’Egypte, alors que d’autres diffusent des images de manifestants armés. « Pendant les 16 heures qui ont suivi la dispersion des sit-in, la confrérie des Frères musulmans a perpétré plus de 104 actes de violence et de terrorisme », a indiqué le rapport publié par l’Indice démocratique du Centre international du développement. Le rapport a également annoncé que les actes de violence commis par les membres de la confrérie se sont répartis sur plusieurs axes : attaquer les agents de sécurité et répandre le chaos, saper l’unité nationale en attaquant et incendiant 18 églises ainsi que les maisons et les magasins des citoyens coptes afin de faire croire à une violence confessionnelle, causer la paralysie des routes … Selon le rapport, ce plan aurait été notamment exécuté dans les gouvernorats du Caire, de Guiza, du Fayoum, d’Assiout, de Béni-Soueif, de Sohag et de Minya.

Les habitants de Ramsès encerclant la mosquée Al-Fath où se trouvaient les pro-Morsi qui avaient commis la veille des actes de violence.
(Photo: Reuters)
Pour certains activistes, ces agissements sont assimilés à un terrorisme politique, notamment à la vue des voitures levant le drapeau noir, l’étendard d’Al-Qaëda, pour soutenir les manifestants pro-Morsi. Les membres de la confrérie, quant à eux, pensent qu’il s’agit d’une guerre inégale entre des manifestants pacifiques et les forces armées. «ministère de l’Intérieur, l’armée et les médias qui ne disent pas la vérité assument la responsabilité de tout le sang qui a coulé », a déclaré Ahmad Ramy, porte-parole du Parti Liberté et justice, bras politique de la confrérie des Frères musulmans.
Entre la violence, le sang qui coule et les accusations échangées entre toutes les parties, le chaos et la peur sont offerts aux Egyptiens. Une situation qui se reflète sur l’économie, notamment après les réactions des pays occidentaux qui dénoncent la violence. « Si l’économie connaît une régression à cause des événements actuels et si la Bourse enregistre des pertes colossales, le pays aura de gros problèmes », explique l’économiste Adel Fathi.
Couvre-feu respecté

Presque 16 églises ont été brûlées suite à la dispersion des sit-in.
L’instauration du couvre-feu aura été une mesure nécessaire pour maîtriser la situation : 14 gouvernorats y sont soumis de 19h à 6h, pendant un mois. En général, ce couvre-feu est bien respecté. «gens ont peur de descendre dans la rue, car ils savent qu’ils seront sanctionnés, mais ils savent aussi que des groupes armés sont positionnés dans la rue dès la tombée de la nuit », dit Mohsen Gamal, journaliste. Cependant, lors du premier jour du couvre-feu, des partisans des Frères musulmans participent à le rompre. Des matchs de foot dans le quartier de Mohandessine au Caire ont, par exemple, été organisés en signe de défiance. « Ils voulaient imiter les habitants de Port-Saïd qui ont réagi de la sorte face au couvre-feu proclamé par l’ancien président Morsi suite à des manifestations », commente Gamal.
Les jours passent, et la violence est exacerbée dans la société. Une facture qui se paye cher. Des parents pleurent leurs morts, ils passent des journées à chercher les corps sans vie de leurs enfants et les cortèges funéraires font partie du quotidien. Les citoyens ne sortent que pour faire quelques courses. Les accusations de trahison sont échangées, ce qui n’augure rien de bon. Certains parlent même du spectre de la guerre civile.
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