« Makan Amen Li Al-Wanas » (un endroit sûr pour être en bonne compagnie). Tel est le slogan inscrit à l’entrée de Beit Fatem (la maison de Fatem). Il s’agit d’une association civile qui présente des activités culturelles comme des ateliers d’écriture, de dessin et qui, en parallèle, reçoit des personnes en quête de nouvelles connaissances. Ces dernières se retrouvent chaque vendredi pour rencontrer des gens, développer ou entretenir des relations amicales. Certains ont déjà des amis, mais d’autres ont ressenti le besoin de tisser des liens sociaux en se joignant au cercle d’amis de Beit Fatem. A 16h30, des personnes font déjà la queue devant l’ascenseur pour monter au 19e étage, là où se trouve le siège de Beit Fatem, situé au quartier de Doqqi, tout près de la station de métro Bohouss. Entre les vieux amis et les inconnus, le nouveau venu ne se sent ni seul ni exclu. Ici, tout le monde est le bienvenu au sein de l’association. « A Beit Fatem, les visiteurs peuvent dire ce qu’ils veulent sans faire l’objet de critiques ou de brimades. Ici, chacun est libre de raconter son expérience personnelle, d’exprimer son point de vue, de parler de ses soucis ou de sujets liés à son mode de vie et sur lesquels la société porte un regard critique », décrit Mohamad Taher, fondateur de Beit Fatem qui gère ces rencontres dans une ambiance agréable. De 17h à 21h, les nouveaux amis passent leur temps à papoter, rigoler et chanter.

Exprimer ses points de vue multiplie les chances d’avoir des amis qui sont sur la même longueur d’onde. (Photo : Mahmoud Madh Al-Nabi)
Tout a commencé sur la page Facebook de Mohamad Taher, celui qui a lancé l’idée. « J’ai commencé il y a quatre ans en envoyant une invitation à 4 ou 5 amis de Facebook, qui ne se connaissaient pas, et ce, pour voir une pièce de théâtre. A la fin de la représentation, ces personnes étaient devenues des amis », relate Taher. En effet, ce n’était pas sa première expérience de changer un quotidien sans goût. Il avait une précédente initiative nommée Essabet Al-Bahga (la bande de la gaité) : entre amis de Facebook, ils se rendaient, munis de ballons et de bonbons, dans n’importe quel quartier et les distribuaient aux passants dans la rue. Par la suite, Mohamad Taher a profité du nombre d’amis qu’il a sur Facebook (4 600) et des suiveurs (60000) pour mettre les gens en contact et briser la barrière de la solitude et de l’isolement social. Avec le temps, le groupe d’amis s’est élargi et Taher a décidé de les réunir pour quelques heures dans un endroit plus spacieux: un parc, un zoo ou un café. Beit Fatem a ouvert ses portes il y a un peu plus de 2 mois, et ce, pour avoir un endroit fixe afin d’accueillir les visiteurs.
Echanges et convivialité
Avant de s’installer à la terrasse, les membres de Beit Fatem se retrouvent régulièrement dans une petite salle où des photos sont suspendues sur quatre cordes et sont alignées les unes derrière les autres comme les perles d’un collier. « Ces photos illustrent des moments marquants dans la vie des amis de la bonne compagnie, comme celui du mariage d’un couple dont l’amitié s’est transformée en amour au fil des rencontres à Beit Fatem grâce à la communication constante et aux échanges de points de vue. Une relation fondée aussi sur le respect, l’admiration et la confiance réciproques », explique Bahi, 50 ans, entrepreneur. Il est fier d’être un des plus anciens membres de Beit Fatem. Il a même contribué à l’installation des meubles de l’association de Beit Fatem. D’autres amis, comme Mariam, ont peint sur les murs des locaux des paysages relaxants pour les yeux. Des phrases motivantes sont inscrites aussi sur les murs comme ce message qui invite tout père à embrasser sa fille chaque jour, car la présence physique n’est pas suffisante.

Entre les vieux amis, le nouveau venu est toujours le bienvenu dans la famille Wanas. (Photo : Mahmoud Madh Al-Nabi)
Des va-et-vient incessants, des saluts, des débats. De petites salles meublées sont mises à la disposition des visiteurs pour faire de la lecture ou jouer aux jeux de l’oie, de pêche et du carré magique. « L’objectif principal de Beit Fatem est de limiter l’usage des appareils intelligents et permettre aux visiteurs de discuter avec des personnes en chair et en os, d’échanger mutuellement leurs expériences et de s’enrichir tant au niveau émotionnel que spirituel », explique Taher la raison pour laquelle la connexion Wi-Fi n’est pas de rigueur.
Il y a aussi des personnes qui viennent chercher le calme. Le logo de Beit Fatem ayant la forme d’une petite maison en bois à deux faces, l’une rouge et l’autre verte, est utilisé par le visiteur. Si ce dernier montre le côté rouge, cela veut dire qu’il ne désire pas faire de nouvelles connaissances. Le côté vert indique qu’il aspire à tisser des liens d’amitié. De même, Beit Fatem organise des ateliers de dessin et d’écriture avec un abonnement financier, ainsi que les boissons qui sont payantes pour parvenir à payer le loyer de cet endroit.
Amitiés et valeurs humaines
A la terrasse, une vingtaine de visiteurs a déjà pris place. Hommes et femmes, jeunes ou vieux sont assis sur des chaises, les uns à côté des autres, en plein air. Taher prend la parole en saluant tout le monde. Il indique aux visiteurs qu’ils ne sont pas seuls dans la vie et qu’ils peuvent dire ce qu’ils veulent tout en précisant que si quelqu’un veut aborder un sujet tabou ou évoquer un problème personnel, il ne regrettera pas de l’avoir fait, car il est interdit de porter un jugement critique à l’égard de cette personne. « Beit Fatem veut mettre à l’aise ses visiteurs et présenter un genre de soutien social qui n’est pas forcément scientifique, mais c’est un moyen pour pallier le manque d’amis. Beit Fatem donne la possibilité de rencontrer des gens et nouer des liens d’amitié », indique Taher. On écoute souvent avec intérêt la famille Wanas, même si c’est la première rencontre car les témoignages sont spontanés et les personnes timides ne sont pas toujours silencieuses.
« J’ai passé 30 ans de ma vie en étant convaincue qu’il n’existe pas d’amitié entre un homme et une femme. Des préjugés qui ont eu un impact négatif sur mon intégration dans la société », relate Dina Moënes, professeure d’anglais. Cette expérience regrettable l’a incitée à suivre la page de la famille Wanas, ce qui lui a permis de mieux comprendre la relation entre un homme et une femme. « A Beit Fatem, j’ai découvert de nouvelles valeurs comme la franchise, l’amitié et l’acceptation d’autrui. Des valeurs humaines qui m’ont donné la chance de voir la vie autrement », affirme-t-elle. Etre sur la même longueur d’onde avec les membres d’une vraie famille est parfois difficile pour d’autres raisons, comme la différence d’âge parmi les frères et soeurs. Hani, 23 ans, comptable, confie avoir été une personne très timide et mal comprise. « Ma soeur a 18 ans de plus que moi, mon frère 13. Les deux me trouvent bizarre car je suis d’une autre génération. Il n’y avait pas de communication entre nous car chacun avait sa propre vision des choses », confie Hani qui se sent à l’aise. « En fait, j’avais un quotidien monotone, et à présent, j’ai des amis intimes qui m’ont aidé à trouver un emploi », explique-t-il. Il ajoute que la famille Wanas lui offre un cadre prospère pour l’amitié. Avoir un endroit convivial où les amis peuvent se rassembler n’est pas une simple affaire. « Au sein de cette communauté, les amis s’acceptent tels qu’ils sont et ne sont pas obligés de déployer des efforts pour être appréciés par autrui », affirme Wafaa, infirmière, originaire de Kafr Al-Cheikh. Elle déteste les stéréotypes négatifs qui diminuent de l’importance de la femme dans la vie active. Elle raconte qu’au début de sa carrière dans la capitale, ses oncles paternels n’étaient pas d’accord qu’elle se rende au Caire seule. « J’ai défendu mon droit à une vie autonome en citant les bons exemples des membres de notre entourage », souligne-t-elle. A Beit Fatem, elle n’a pas eu besoin de présenter des arguments pour pouvoir vivre comme elle veut et elle est ravie de trouver des amis qui partagent ses joies comme ses tristesses.
Hala Yousri, sociologue et consultante en relations familiales, explique que la famille au sens large du mot rassemblait trois générations qui habitaient sous le même toit, aujourd’hui, elle se limite au père, à la mère et aux enfants. « La bonne compagnie compense l’absence des membres de la famille. En fait, discuter avec les autres offre une nouvelle vision qui aide à résoudre les problèmes du quotidien. Cela atténue les pressions sociales et permet de prendre les choses du bon côté », explique Yousri, qui rappelle que l’homme ne peut pas vivre isolé dans la société.
Lien court: