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Sur les rythmes de « Chik Chak Chok »

Dina Bakr, Mardi, 02 mars 2021

Une fête ou un mariage sans danse orientale ? C’est tout simplement impensable en Egypte. Malgré tous les préjugés qui les entourent, la danse du ventre et les rythmes du tabla restent intrinsèquement liés à notre culture. Et c’est aussi un excellent exutoire.

Sur les rythmes de « Chik Chak Chok »
Oshy Rayan, professeure de danse, veut changer l’image péjorative de la danse orientale.

C’est le moment de lâcher prise, oublier les tracas quotidiens, le travail et les règles strictes imposées par une société conservatrice qui interdit aux femmes de danser devant des hommes étrangers. De temps en temps, Safiya et ses amies organisent une soirée dansante entre femmes pour évacuer le stress et faire le vide. Ces quinze femmes ont décidé de prendre congé de leurs familles et de leurs obligations en s’absentant pendant quelques heures pour se retrouver entre amies, toutes maquillées, et danser au rythme de leurs chansons préférées. Les unes portent des tenues de danse orientale, d’autres des djellabas du Saïd (Haute-Egypte), du Delta (Basse-Egypte) ou tout simplement des ceintures à paillettes nouées autour des hanches. « Cette rencontre nous permet de briser la monotonie du quotidien et faire le vide », dit Safiya d’un air joyeux. Chacune exécute des mouvements alliant sensualité et féminité. Il y a celle qui virevolte gracieusement en bougeant les bras, celle qui fait des ondulations du ventre et des tremblements du bassin, une troisième qui remue les hanches avec vigueur. On dirait une rencontre intime pour apprendre la danse. Les rires fusent de partout. L’atmosphère est détendue et apaisante.

Safiya, qui travaille dans une entreprise de construction, veut améliorer à tout prix son humeur. Très concentrée sur les mouvements d’ondulation de son corps, elle danse au rythme de la musique. Toute ouïe au son produit par la darbouka, elle tente de reproduire les mouvements des danseuses professionnelles. « J’ai une mémoire à dominante visuelle et je m’inspire de tous les styles de danse pour progresser dans ma danse. Depuis mon enfance, j’adore regarder les films en noir et blanc qui montrent les performances de Tahiya Karioka, les talents de Samia Gamal et le professionnalisme de Naïma Akef. Actuellement, j’observe les mouvements des doigts et des mains de Gawhara qui danse sur de vieilles chansons. Les mouvements de son corps qui s’entremêlent aux gestes de ses mains sont gracieux », ajoute Safiya. Cette dernière essaie d’imiter les mouvements des anciennes et modernes danseuses tout en suivant le rythme de sa chanson préférée Aziza, de Carole Samaha, qui lui permet d’exhiber en quelques minutes ses talents de danseuse. Elle retient son souffle pour exécuter une série de gestes de ses danseuses préférées.

Prendre des cours, pourquoi pas ?

Avoir l’oreille musicale est important pour apprendre la danse orientale, car remuer la partie inférieure du corps ne suffit pas pour dire qu’une femme sait danser. « J’ai appris un tas de choses concernant la danse orientale durant les 6 mois de cours que j’ai suivis au club. Il faut connaître les mouvements basiques pour savoir comment faire bouger les bras et les mettre en accord avec les mouvements de la partie inférieure du corps comme le déhanché sur le côté, tout en bougeant avec grâce et légèreté », explique Dalia, 47 ans, femme au foyer. A force de s’entraîner, elle s’est améliorée, ce qui lui a permis de participer au Festival de danse orientale organisé au club. On dit que les Egyptiennes savent tellement bien se trémousser et que c’est peut-être un savoir inné dès leur naissance. Mais d’après Dalia, il faut s’entraîner énormément et prendre des cours pour développer cet art. En fait, la danse orientale permet d’évacuer le stress et sa musique incite à l’évasion. « Je peux m’éclater en dansant dans ma chambre. Sur le rythme de la chanson Chik Chak Chok, je peux danser durant des heures. En fait, danser régulièrement me permet de perdre du poids et d’être heureuse en exécutant des mouvements d’ondulation sur le rythme d’une musique », souligne-t-elle.

Manal, gérante d’une école de danse à Madinet Nasr, raconte son expérience. « L’idée, lorsque j’ai ouvert cette académie en 2010, était d’enseigner aux enfants le ballet, le dessin et d’autres activités pour développer leurs compétences. En 2013, les mamans qui accompagnaient leurs enfants aux classes de ballet m’ont demandé si elles pouvaient suivre des cours de danse », explique Manal, directrice de l’académie. Cette dame de 50 ans a décidé de donner des cours de danse orientale pour satisfaire les clientes. Bien que ces cours aient été programmés 3 ans après la création de l’académie, ils ont connu un grand succès par rapport aux autres activités programmées au départ. « Je gagne 4 fois plus avec la danse orientale qu’avec les autres activités et les adeptes de cette danse ne cessent d’augmenter », confie Manal.

Contrer les idées reçues

Sur les rythmes de « Chik Chak Chok »
Il existe aujourd’hui divers moyens pour apprendre la danse orientale, tels que les écoles et Internet.

Pourtant, la danse orientale continue d’avoir une image péjorative. Trop sensuelle, elle suscite l’engouement des hommes à cause des tenues qui laissent entrevoir les seins, les bras et les jambes des femmes et est considérée comme provocatrice. « Mes parents ont accepté que je donne des cours de danse orientale seulement dans un club sportif, comme les autres activités pratiquées dans ce lieu : yoga, zumba ou aérobic », dit Marwa. Cette jeune dame brunette, qui donne des cours de danse orientale aux abonnées du club qui le désirent, tient à mettre l’accent sur l’importance des règles à suivre. Elle observe les mouvements de ses élèves et fait attention à ce qu’ils ne comportent aucune vulgarité. « Parfois, il y a des femmes qui écartent les jambes en dansant, je les invite à serrer les jambes afin de ne pas imiter les danseuses de boîtes de nuit », explique Marwa. Elle ajoute qu’elle éprouve du plaisir à transmettre ce savoir-faire accumulé lors de son rattachement à la Troupe des arts populaires lorsqu’elle était étudiante en informatique.

Oshy Rayan, qui enseigne la danse et le bambo (un mélange d’aérobic et de danse orientale) dans une salle de gym à Garden City, a changé l’image de la danse orientale qui fait l’objet de mépris. « Lorsque j’enregistre des vidéos sur YouTube, j’enseigne les techniques de la danse, habillée de vêtements pudiques. Résultat, les pères et les maris conservateurs acceptent que leurs filles et leurs femmes apprennent la danse orientale qui est en fait une danse d’origine égyptienne », explique Oshy. Elle fait référence aux dessins qui figurent sur les murs de l’Egypte Ancienne. Elle ajoute que la danse était un rituel qui accompagnait les rites funéraires et les cérémonies religieuses. Cette jeune entraîneuse de danse orientale est suivie par plus de 5 millions de personnes sur la toile. Elle pense avoir contribué à combattre les préjugés et les idées reçues.

La nuit de henné, un must

D’après elle, la danse orientale lui a fait découvrir d’autres facettes de cet art. Des mamans et même des jeunes mariées viennent s’entraîner pour animer leur nuit de noces, ainsi que des maris qui, pour leur plaisir, demandent à leurs femmes d’apprendre à danser. « Je suis des cours de danse orientale pour apprendre le déhanché sur le côté et d’avant en arrière, et ce, pour faire plaisir à mon fiancé. En me voyant danser et faire des mouvements d’ondulation, cela le rend heureux », s’exprime Salma, 28 ans, pharmacienne. Elle a même prévu dans son trousseau de mariage 3 tenues différentes de danse pour épater son bien-aimé. Elle pense que la danse orientale étant envoûtante et sensuelle, elle permet d’instaurer une réelle intimité avec le conjoint. De même, il s’agit d’une nécessité pour animer la nuit de henné, cette soirée qui précède les noces. Une ancienne habitude qui s’est revitalisée et est devenue très courante en Egypte durant les dernières années. Durant cette cérémonie, la future mariée devrait animer la scène en changeant plusieurs tenues. Les amies de la mariée et les proches dansent aussi comme compliment à la mariée. Noha raconte que, le jour de son henné, toutes ses amies et ses proches sont venues danser sur le rythme d’une musique orientale. « Les femmes et les jeunes filles en ont profité pour s’éclater. Mes tantes n’ont pas arrêté de danser, ce qui n’a pas été le cas à la soirée du mariage. Elles portaient des robes de soirée formelles et n’ont pas bougé de leur place, se contentant de lancer des sourires à droite et à gauche », raconte Noha. Elle ajoute que ce genre de rencontre entre femmes dans les familles conservatrices permet à la gente féminine de se sentir à l’aise et de danser en robes courtes et à bretelles et montrer leurs talents en ce qui concerne la maîtrise de cet art.

Booster le moral

Et ce n’est pas tout. Mohamad Hani, psychiatre et conseiller des relations conjugales, dit que la danse est une source de joie et de bien-être, du fait du plaisir qu’elle procure. Elle aide à la sécrétion d’une substance que l’on appelle la sérotonine. « Cette substance intervient dans le cerveau, agit sur le système nerveux central et induit diverses actions, notamment dans la régulation de certains comportements comme l’humeur et l’émotivité », explique Dr Hani. Par ailleurs, Dr Ahmad Hassan, oncologue, déclare avoir introduit l’activité de la danse pour remonter le moral des malades atteints de cancer, et ce, lorsqu’il travaillait à l’hôpital Bahia. « Il s’agit d’une activité facultative pour les malades qui ont besoin d’un soutien psychologique, mais elle ne fait pas partie du protocole du traitement. Il y a quelques années, j’occupais le poste de responsable administratif à l’hôpital Bahia. J’ai pris la décision de chercher des bénévoles pour faire profiter les malades d’une animation, alléger leurs souffrances et les aider à supporter le traitement lourd du cancer. Booster le moral des malades pour que leurs traitements agissent efficacement a une grande importance pour moi », explique Hassan. Il ajoute que lorsqu’il a quitté l’établissement hospitalier de Bahia, cette expérience a pris fin. « Le divertissement pour obtenir un effet positif du traitement est une vision qui n’est pas prise en compte dans les milieux hospitaliers, surtout les hôpitaux publics », précise Hassan.

Et même s’il existe encore une image réductrice de la danse orientale, les vidéos publiées sur la toile attirent des millions de suiveurs qui veulent apprendre à danser. Plusieurs stars sur Internet attirent un large public comme l’Egyptienne Oshy Rayan, la Libanaise Pamela Koueik et la Russe Anestazia. « Chacune a un style de danse particulier. Elles sont toutes parfaites, mais je préfère l’Egyptienne, car elle enseigne la danse en passant étape par étape, très subtilement et au rythme de la musique », conclut Esmat, étudiante à la faculté des langues.

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