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Entre téléphone fixe, « click » et « block »

Samar Al Gamal, Mercredi, 06 janvier 2021

Entre la génération Z et ses aînés, ce n’est pas l’usage omniprésent d’Internet qui crée le fossé, mais surtout la façon dont la toile occupe le quotidien des plus jeunes. Bien plus qu’une simple consommation comme le croient les précédentes générations, c’est tout un mode de vie.

Entre téléphone fixe, « click » et « block »
Les relations interpersonnelles, l'exercice de l'autorité dans la famille et le monde du travail marquent les grandes différences entre les générations sucessives.

Beaucoup sont encore des enfants, mais les plus âgés d’entre eux fêtent cette année leurs 23 ans. Ils n’ont pas connu un monde sans réseaux sociaux. Ils ont littéralement grandi en ligne et n’ont aucun souvenir de la vie avant Facebook. Amazon même est né bien avant cette généra­tion Z. Du coup, le récurrent dis­cours des parents du « Vous êtes constamment sur Internet » n’a aucun sens pour ces jeunes nés après 1996. « C’est notre vie. Si c’était leur enfance, ils seraient exactement comme nous. Leurs parents leur disaient la même chose à propos de la télévision, j’imagine », explique Salma Hazem, étudiante en commu­nication et mass media. La jeune de 21 ans ajoute : « Lorsqu’ils nous disent : Nous n’étions pas comme vous, ce n’est pas une habileté de leur part. Ils n’avaient simplement rien d’autre. Ils ont donc eu le temps de lire, rendre visite et communiquer avec la nature ». Vu de cet angle, l’écart entre la génération Z et ses précédentes ne semble pas aussi large que celui des X et Y. La « géné­ration silencieuse » qualifie les per­sonnes nées entre 1928 et 1945, les « Baby-boomers » de 1946 à 1964, la « génération X » de 1965 à 1980 et la « génération Y ou milléniale » de 1981 à 1996.

Les Z sont pourtant conscients de cette différence engendrée par Internet. La vie est assimilée à un simple « click » ou « block ». Toutes les normes ou procédures classiques s’écroulent. Auparavant, un jeune chanteur devait être approuvé par une commission à la radio avant d’accéder aux auditeurs. A ce jour, il suffit de poster une vidéo sur Instagram ou YouTube. « Les profes­seurs et enseignants, et avec eux les librairies, étaient les sources pri­maires d’informations avant que les moteurs de recherche ne prennent la relève. Quelques minutes et la ques­tion à laquelle les parents étaient réticents à répondre est divulguée. Tant d’informations sont accessibles en ligne, et du coup, ils paraissent plus informés que leurs tuteurs. La famille, qui occupait la première place comme source d’information, a constamment reculé et a fini par occuper la dernière place derrière Internet, les amis et les universités », estime Dr Adel Madani, psychiatre et conseiller en relations familiales. « Ils devancent les précédentes générations en matière de quantité d’informations, mais non pas néces­sairement en qualité, puisque les informations sur Internet ne sont pas toutes précises et justes », ajoute-t-il.

Le pourquoi du comment

Imane Mandour, mère de deux jeunes garçons, estime qu’ils sont beaucoup plus aptes à assimiler, d’une aisance impressionnante, les sujets qui exigent des compétences mentales, telle la science-fiction. « Je les invite souvent à m’expliquer des films ou sujets de ce genre, que j’ai du mal à digérer », raconte-t-elle. Une conscience étendue, pour répondre à l’expansion de l’univers. « Probablement, ils se font préparer pour des choses que nous ne connais­sons pas », croit Nermine Amine, une autre maman. Elle raconte com­ment un jour, elle était furieuse pour avoir découvert que son fils trichait dans les jeux électroniques pour sur­monter des niveaux. « Je me suis lancée dans un prêche sur l’honnê­teté », dit-elle. Aujourd’hui, son fils, étudiant en informatique, se spécia­lise en cybercrime.

Bien qu’ils manquent d’expérience qui ne s’accumule qu’avec le temps, leur capacité à changer en un rien de temps et à traiter rapidement les infor­mations révolutionne la façon dont le monde pense. « Leur relation avec le temps est différente. Le rythme rapide est un mode de pensée qui s’accélère d’une génération à l’autre », estime Madani. « La patience est un art perdu avec la génération Z », dit-il. Et pourquoi ne pas agir rapidement ?, s’interrogent les Z.

Ils estiment d’ailleurs que leur mode de pensée est « l’esprit cri­tique ». Un oui et un non car ceci est simplement coutume, c’est loin d’être accepté par cette génération. « Souvent, ils nous invitent à couper court dans les discussions et aller direct au résultat. C’est leur mode de vie », explique Mandour. Ceci ne les empêche pas d’être de grands négo­ciateurs. Ils sont prêts à se lancer dans des discussions infinies, récla­mant une explication du « pourquoi » des directives des précédentes géné­rations, voyant dans les coutumes ou encore dans une accumulation d’ex­périences dues à l’âge une justifica­tion suffisante pour prescrire le che­min à prendre par les plus jeunes. May Cholkamy, mère d’une fille et un garçon Z, estime que sa généra­tion « a accordé à leurs enfants un intérêt deux fois supérieur à celui que nous avons reçu de nos parents. Nous avons investi en eux en termes d’éducation, de sport et de voyage. Et nous avons pensé qu’ils seraient plus équilibrés et plus reconnais­sants, mais la vérité est qu’ils se sentent dignes d’un tel traitement et estiment que les parents devraient donner encore plus ».

Ici et maintenant

Des limites ? Ainsi chaque généra­tion voyait ses précédentes. Le défi est qu’avec la génération Z, les limites et les frontières disparaissent. Ces jeunes ont grandi dans un monde diversifié. Ni la race, ni l’orientation sexuelle, ni la religion ne sont les caractéristiques d’identification à l’instar de leurs aînés. Leurs amis sont partout dans le monde et leurs inspirations aussi. La traditionnelle intervention dans le choix des amis n’est plus d’ordre. Ils se rencontrent en ligne et Snap est toujours l’outil de communication de choix. Un face-à-face, mais qui ne doit pas tou­jours avoir lieu au même endroit physique. Un face-à-face à des mil­liers de kilomètres séparant les parti­cipants, via Facetime, Skype et Messenger. D’une génération où le téléphone fixe n’était pas dans chaque maison et où l’on était obligé d’aller chez le voisin pour faire ou recevoir un appel, et donc socialiser, au téléphone dans les voitures puis les portables, la jeune génération est née avec un appareil entre les mains et est simplement habituée à se figer sur un écran.

« Inefficace la tendance des parents d’empêcher leur fille de sor­tir avec ses copines car, dans leur tête, c’est Groppi des années 1970 où elles pourront probablement rencon­trer des garçons », s’indigne Shahd, la jeune de 22 ans. Elle estime que sa génération est plus audacieuse et apte à prendre plus de risques et sait vivre le moment présent, le « Here and Now », ici et maintenant, sans être hantée par la peur. Fini le temps de la recherche d’un Contrat à Durée Indéterminée (CDI). Le travail est simplement un moyen d’arriver à une fin, être mieux rémunérés. Ils chan­geront de direction en un rien de temps. Le changement est bien accueilli.

Si la génération Y a contribué à mettre davantage l’accent sur la flexibilité et la collaboration et à repenser les hiérarchies tradition­nelles, la Z peut changer une straté­gie en une seconde. Et contrairement à leurs homologues du millénaire qui ont souvent besoin d’aimer ce qu’ils font, la génération Z comprend que le travail est effectué pour des raisons financières. C’est une génération d’entrepreneurs. Ses membres voient régulièrement des histoires de richesse illimitées dues au boom technologique, Steve Jobs ou Bill Gates, ou des histoires récurrentes d’adolescents créant des applications pendant leur temps libre qui en font des millionnaires du jour au lende­main. La génération Z sait qu’il y a de l’argent à gagner. Ils n’ont pas peur de poursuivre leurs idées et croient qu’ils ont ce qu’il faut pour réussir. De quoi créer une forte com­pétition non traditionnelle. « Compétition et comparaison », dit Adam Moataz, né en 2001. « L’espace est grand ouvert, mais l’échec est dissimilé. Seule l’expé­rience réussie est cadrée et souvent on se trompe et assimile les gloires en ligne et la gratification instanta­née à l’ensemble de la réalité », assure Adam. Que veulent-ils main­tenir de leurs parents ? Ils étaient unanimes à privilégier le « contact humain » et l’exploration de la nature aux côtés de la découverte du monde à partir d’un écran dans leur chambre.

D’un point de vue démographique, une nouvelle génération se crée environ tous les 20 ans, mais en sociologie, une génération est plus liée à un contexte social. Le Covid-19 a remodelé le paysage social, politique et économique du monde. Au lieu de se tourner vers un monde d’opportunités, la génération Z, qui représente près de 30 % de la popu­lation mondiale, se tourne mainte­nant vers un avenir incertain.

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