Prise de panique après le décès de son mari (un Egyptien musulman), une femme vietnamienne avait peur de se trouver obligée de quitter le pays, sans ses enfants, ou de se voir privée de sa part d’héritage, son mari ayant légué un lot de terrain. Certaines personnes lui avaient dit qu’en tant qu’étrangère, elle ne pouvait ni posséder de terrain, ni continuer à avoir une résidence après la mort de son mari. Ce cas a été posé devant Inji El-Alem, une étudiante en droit à l’Université du Caire. Après avoir fait ses recherches, la future avocate est arrivée à aider cette dame pour qu’elle puisse régler son problème : d’abord, la loi n’interdit pas la possession de terrains aux étrangers, sauf dans certains endroits stratégiques, par exemple près des frontières. Alors, cette dame peut hériter de ce terrain, car c’est une terre agricole située loin des endroits interdits par la loi. De plus, et selon la loi, elle peut obtenir la nationalité égyptienne, car elle y a vécu plus de 10 ans.
Inji et d’autres étudiants reçoivent de tels cas et leur apportent assistance. Ils cherchent toutes les informations possibles qui peuvent les aider à trouver une solution, puis les présentent aux personnes concernées suivant les cas. Levant le slogan « Vos droits, notre combat », les étudiants de l’Institut de Droit des Affaires Internationales (IDAI) de l’Université du Caire ont, en effet, lancé une initiative portant le nom de « Clinique juridique », qui vise à aider ceux qui ont besoin d’aide juridique. A noter que l’IDAI est une filière de droit, fondée en 1988, délocalisée de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est le fruit d’un accord de coopération conclu avec l’Université du Caire et soutenu par l’Institut français d’Egypte et l’ambassade de France en Egypte. « Notre but est d’aider les gens de toutes catégories en leur présentant des informations concernant les lois et les procédures pour qu’ils puissent prendre connaissance de leur droit et leur situation au sujet de leur problème », explique Inji. Pour le cas que cette dernière vient de régler avec une copine, Inji explique que la dame n’avait aucune connaissance des lois égyptiennes et ne savait même pas comment s’adresser à un avocat. Ce qui a fait d’elle une proie facile auprès de la famille de son mari, qui attendait que la période de sa résidence expire pour qu’elle rentre chez elle et ne revienne plus en Egypte, laissant derrière elle ses enfants et son héritage. « Ainsi, on a pu lui faire savoir ses droits et on lui a facilité la communication avec un avocat et un traducteur, car elle ne parle pas l’arabe », continue fièrement Inji.
D’une pierre deux coups
D’après Clara Zaki, étudiante en 4e année, cette clinique ne présente pas de consultations, mais juste des informations. Elle explique que l’équipe reçoit les cas à travers leur page Facebook ou par l’intermédiaire de connaissances, puis deux des adhérents s’occupent de chaque cas. Ces futurs avocats commencent à fouiller dans toutes les directions possibles, anciens livres de loi, livres universitaires, faire des recherches sur Internet ou demandent même conseils auprès des professionnels. Puis une fois la solution trouvée, elle doit passer par des professionnels, soit des enseignants ou d’autres avocats, avant de la proposer à la personne concernée. « Travailler sur chaque cas ne doit pas dépasser la période de 14 jours au maximum, dont 5 pour la première étape durant laquelle les adhérents cherchent les informations nécessaires et 5 pour revoir la solution avec les professionnels », dit Clara, l’une parmi les deux directeurs de l’antenne de la Clinique juridique de la Sorbonne en Egypte. Selon elle, la solution doit être expliquée à la personne concernée par le problème par téléphone ou à travers une rencontre personnelle, mais jamais sur un papier, car les étudiants ne possèdent pas officiellement le droit de donner leurs avis dans des affaires juridiques. Mais au cas où on enverrait une solution écrite, continue Clara, il faut mentionner très clairement que tout ce qui y est inscrit est une activité estudiantine. « Grâce à l’aide des enseignants, et surtout des étudiants de l’IDAI basé au Caire, nous avons pu mener à bien ce projet d’envergure. Les étudiants de la Clinique juridique de la Sorbonne en Egypte sont donc disponibles pour apporter des informations juridiques à tout requérant égyptien (mais pas que) sur des problématiques diverses allant du droit des affaires au droit de la famille et des personnes, en passant par le droit des étrangers, le droit social, le droit des femmes ou encore l’arbitrage et la médiation ». Ainsi est présentée sur le site officiel la vision de la Clinique juridique.
Selon Tareq Sorour, professeur en droit pénal à l’Université du Caire, ce genre d’activités existe à l’étranger depuis le début du siècle dernier dans les facultés et les écoles de droit, y compris la faculté de droit à la Sorbonne. Une activité qui a une double vocation pédagogique et sociale : ceci permet d’abord aux étudiants de mettre à l’épreuve leurs connaissances et les approfondir, mais aussi d’apporter une aide aux personnes qui ont besoin de conseils et n’ont pas les moyens de s’adresser à un cabinet d’avocat. « Cela ressemble à ce qui se faisait avant à la faculté royale de droit, l’Université Fouad 1er, actuellement l’Université du Caire. L’article 11 de la loi de septembre 1923 exigeait des étudiants de droit d’accompagner leurs professeurs dans les tribunaux, d’observer toutes les procédures et mesures pénales et de présenter par la suite un rapport à leurs enseignants », explique Sorour dans une rencontre avec les étudiants. Il précise que ce concept est identique à celui qui se fait aux facultés de médecine, lorsque les étudiants examinent des patients gratuitement et donnent leur avis en présence de leurs professeurs.
67 étudiants
Cette clinique a été fondée à la Sorbonne en 2015, et suite à une visite de son directeur, Adam Malek, à l’IDAI, ce dernier a proposé d’ouvrir une antenne identique en Egypte. Ainsi, la Clinique juridique de la Sorbonne en Egypte a vu le jour au coeur de l’Université du Caire en 2019. Actuellement, l’équipe est composée de 67 étudiants, dont 50 adhérents et 16 administrateurs. Ils prennent en charge des cas divers et présentent des services juridiques gratuits à ceux qui n’ont pas les moyens ou qui ont besoin d’une personne pour les guider dans le cadre d’une procédure pénale. D’après Yéhia Romeh, étudiant en 3e année, l’un des deux directeurs de la clinique et le plus jeune au sein de l’équipe, la participation dans cette clinique offre à l’étudiant la possibilité de mettre en application tout ce qu’il a appris dans les livres. « Il y a une grande différence entre la théorie et la pratique. Lorsqu’on lit un cas mentionné dans un livre et que l’on essaye de lui trouver des solutions suivant nos connaissances, ce n’est pas la même chose lorsqu’on a la personne en face de nous. Cela me permet de discuter avec elle tout en cherchant, par divers moyens, à trouver une solution permettant de l’aider vraiment », dit-il. Il ajoute qu’il a essayé d’adhérer à la clinique dès le début, mais comme il était en 2e année, il a essuyé un refus, car on n’y accepte que les étudiants en 3e année. Mais vu les efforts qu’il avait déployés, il a été accepté parmi les adhérents en tant que responsable de communication jusqu’à ce qu’il soit devenu l’un de ses deux directeurs. Apprendre de manière concrète est l’objectif de tous les étudiants qui rejoignent la clinique car, selon Inji, c’est une occasion d’apprendre des choses que les livres ne présentent pas. De plus, étant étudiants qui étudient à la base le droit français avec des codes et lois égyptiens, travailler avec les cas qui se présentent à la clinique leur permet d’approfondir leurs connaissances dans le Code pénal égyptien. « Les lacunes en matière de droit n’apparaissent pas que lorsqu’on est directement confronté à des cas », explique Yéhia, tout en ajoutant que cela va permettre aux étudiants d’avoir une expérience pratique du droit, et donc un meilleur apprentissage. Une autre raison pour laquelle ce dernier, Clara et les autres participent à la clinique, c’est pouvoir aider les gens et présenter un service à la société. « On a découvert qu’un grand nombre de citoyens n’avait pas suffisamment d’informations concernant leurs droits ou les mesures à prendre ou à suivre au cas où ils auraient besoin d’une aide en matière juridique », dit Clara.
Cependant, l’un des défis auquel les étudiants doivent faire face, c’est l’absence de la loi égyptienne électronique, ce qui leur fait perdre beaucoup de temps en fouillant les vieux livres de droit. De plus, il existe un petit nombre d’avocats qui prétendent présenter leur aide à titre gratuit, avec souvent la mauvaise intention de réduire leur taux de taxe. « Mais beaucoup d’avocats nous contactent et se portent volontaires pour aider sincèrement des personnes démunies et sans recevoir le moindre sou », affirme Yéhia.
En effet, cette clinique juridique n’est pas la seule en Egypte, il existe des étudiants qui font des activités pareilles dans d’autres universités. « On va essayer de faire plus de propagande à travers notre page Facebook et avec notre contact direct avec les gens dans les divers rassemblements. L’objectif serait d’atteindre le plus grand nombre de gens et d'aider ceux qui pourraient avoir besoin de nous », dit Clara, en affirmant que l’année dernière, ils ont reçu 26 cas, et que tous ont été résolus.
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