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Ecoles religieuses : Un conformisme toujours en vogue

Hanaa Al-Mekkawi, Mercredi, 11 novembre 2020

Existant en Egypte depuis plus d’un siècle, les écoles religieuses parviennent encore à attirer de nombreux élèves et à concurrencer d’autres genres d’établissements. Bon rapport qualité/prix, enseignement de bon niveau, fermeté, rigueur et discipline sont les mots-clés de cette réussite.

Ecoles religieuses : Un conformisme toujours en vogue
Soeur Marguerite la directrice, les professeurs et une promtion de Notre Dame de la Délivrande d'Héliopolis.

« Comment oublier ce coeur qui bat la chamade par peur d’être puni, d’avoir enfreint à la discipline ! Tous les regards pesaient sur nous : surveillants, professeurs ou soeurs. Les rangs, les cours, les récrées, les activités et même les toilettes, tout était hyper surveillé. Tout devait être fait comme il faut, marcher, s’assoir, manger, parler ou rire. Pas de place au moindre faux pas. Et toujours, ce sourcil ou cet index levés pour dire attention ». C’est non sans nostalgie que Fadwa et ses amies, aujourd’hui la cinquantaine, évoquent leurs souvenirs d’écoliers dans un établissement religieux. « Une éducation qui peut paraître banale pour ceux qui ne sont pas passés par une expérience aussi sévère, mais nous, on l’a appréciée au fil des ans, surtout après s’être lancées dans la vie active », dit Fadwa, qui a fréquenté l’école de Notre Dame de la Délivrande. Cette dernière n’a pas hésité à inscrire ses enfants, une fille et un garçon, dans des écoles religieuses pour la même raison : avoir une éducation distinguée. En fait, ces écoles, qui existent en Egypte depuis le XlXe siècle (voir sous-encadré), présentaient un système éducatif aux familles de la classe moyenne et aisée et aux communautés étrangères, garantissant à leurs enfants un enseignement de qualité et une bonne éducation. L’autre choix était les écoles publiques, qui n’étaient pas nombreuses et n’ont pas beaucoup de choses à offrir aux enfants.

Aujourd’hui, malgré la grande diversité des écoles et la concurrence, certains parents apprécient les écoles religieuses car ils considèrent qu’elles sont plus strictes. « J’ai voulu que mes enfants reçoivent la même éducation que j’ai reçue moi-même et mes parents aussi avant moi », dit Karim. Sa femme, qui n’a pas fréquenté ce genre d’établissements, a accepté après avoir entendu parler de la bonne éducation qu’on y reçoit. Chérine, 45 ans, a fait la même chose : « Pour mes parents, l’éducation des soeurs était semblable à celle qu’ils me donnaient à la maison. Tout était strict. Je trouvais ça normal au début, jusqu’au jour où j’ai commencé à travailler. Cela dit, cette éducation a bien forgé notre caractère et nous a bien formés ». Et c’est pourquoi Chérine a inscrit sa fille dans la même école.

Une mission, une vocation

Pour le pédagogue Anwar Abdallah, l’attrait des écoles religieuses est dû à la discipline et la solidarité entre musulmans et chrétiens. « Ces écoles donnent un exemple idéal pour apprendre à connaître l’autre et le respecter », dit Abdallah. « Ils sont sévères, mais à la fois tendres », dit Raouf, élève au cycle secondaire dans une école religieuse. « Les pères ne tolèrent pas la moindre erreur en ce qui concerne les principes, la discipline et le comportement. A part cela, ils sont de vrais pères et frères pour nous », dit-il.

« On a une mission et une vocation, celle de construire l’homme quelles que soient sa classe sociale et ses capacités mentales. Les écoles réunissent des élèves chrétiens et musulmans qui vivent et grandissent ensemble et sans aucune distinction d’origine, de race ou de religion. Dans les années 1950, on avait aussi des élèves juifs et c’est le cas encore aujourd’hui », dit père Romani, recteur de l’école de la Sainte Famille, Jésuite. D’après lui, former une personne, lui donner la possibilité de réfléchir, de penser aux autres, de respecter autrui, c’est une priorité. « On apprend aux élèves à mieux connaître Dieu à travers leur connaissance des autres et d’eux-mêmes ». Père Romani donne un exemple d’une excursion à vélos organisée chaque année par les élèves de 3e préparatoire. Ils parcourent à vélo des centaines de kilomètres, aller-retour, pour découvrir et évoluer leurs forces physique et mentale. Cela crée un esprit d’équipe et de partage car les revenus de cette excursion sont présentés chaque année sous forme de don à une cause.

Evoluer mais garder les mêmes principes

Ainsi, au fil des ans, ces établissements ont réussi à lier leur existence à la discipline. Ils ont parfois la réputation d’être autoritaires, stricts, d’avoir des méthodes exagérées ou démodées, quoique demandées. Des méthodes qui persistent, mais qui ont certainement évolué, sans pour autant toucher aux principes et règles essentielles imposées dès le premier jour, comme l’explique soeur Marguerite, directrice de l’école de Notre Dame de la Délivrande d'Héliopolis, fondée il y a 120 ans. « On continue de la même manière et on maintient tout ce qui touche à la discipline et au comportement comme étant une priorité. Nous sommes restés autoritaires et fermes sur les principes généraux, mais moins avec d’autres pour éviter de stagner, alors que tout change autour de nous. Alors on tente de maintenir l’équilibre ». Soeur Marguerite ajoute que l’éducation a lieu aussi par le biais d’activités sociales et charitables et des camps organisés à l’école où les soeurs se rapprochent des filles pour mieux connaître leurs façons de penser et gérer leurs angoisses.

Au niveau de l’enseignement, beaucoup d’écoles religieuses ont inauguré des sections internationales pour permettre à ceux qui cherchent un enseignement différent, mais désirent profiter de l’éducation des religieux, d’y trouver une place.

Cependant, ces établissements font face à un certain nombre de difficultés. D’après Medhat Ezzat, membre au Secrétariat général des écoles catholiques en Egypte et directeur de l’école de Notre Dame à Zeitoun, le nombre d’élèves diminue. « On avait 4 classes pour chaque année, maintenant, on n’en a que 2 avec une capacité de 30 élèves et parfois moins en classe au lieu de 40, ce qui signifie que la situation a changé. Les problèmes financiers sont à la tête des défis, on n’a pas le droit d’augmenter les frais de scolarité, contrairement aux écoles privées », explique Ezzat, qui ajoute que cette situation a un impact sur le niveau des services présentés, y compris au niveau des professeurs car on ne peut pas payer de bons salaires, alors on ne peut pas empêcher les professeurs de donner des leçons particulières.

Pourtant, c’est là un argument qui, pour certaines familles, est en faveur de ces établissements. « Ma fille est au Sacré-Coeur, mon fils chez les Jésuites, ça reste de bonnes écoles qui donnent une éducation et un enseignement de qualité, avec des frais de scolarité raisonnables par rapport aux autres établissements. Le rapport qualité/prix est très correct », estime Mona, mère de deux enfants.

Mais il y a aussi des défis propres à l’essence même de ces établissements. D’un côté, le fanatisme de certains qui se reflète parfois par leur refus de laisser leurs enfants chez les religieux ou qui les envoient avec des idées qui ne conviennent pas à l’esprit général de l’éducation de ces écoles, basé sur le principe de ne jamais traiter autrui d’après sa religion. De l’autre, il y a ceux qui estiment qu’un environnement non mixte ne convient plus par les temps qui courent, ou que les religieux sont déconnectés de la vie en société.

Malgré tout, les écoles religieuses ont toujours la cote et gardent l’image d’établissements qui offrent, en plus de l’enseignement, une véritable éducation, une discipline, mais aussi où règne un véritable esprit de tolérance. « J’ai passé 14 ans dans mon école sans jamais entendre la question : tu es musulmane ou chrétienne ? La première fois qu’on m’a posé cette question, c’était à l’université », raconte ainsi Hadir, ancienne élève à l’école Sainte-Jeanne Antide à Alexandrie.

Plus de 100 ans de présence en Egypte

La volonté du khédive Mohamad Saïd (1854-1863) et du khédive Ismaïl (1863-1879) de s’ouvrir sur l’Occident a poussé ces deux souverains à soutenir les écoles dépendant des missions étrangères, surtout celles qui proviennent de France. A cette époque, les missions catholiques faisaient également beaucoup d’activités parascolaires. Les missions françaises ont profité des subventions et exonérations de droits de douane et de taxes sur la propriété pour fonder leurs écoles religieuses.

Les Pères jésuites ont fondé leur école de la Sainte Famille (1879) qui a ouvert ses portes aux élèves de différentes nationalités. Tandis que les Frères des écoles chrétiennes ont fondé leur première école, Sainte-Catherine, à Alexandrie en 1847. Ensuite, les Frères ont créé leurs écoles dans plusieurs autres gouvernorats, et un grand nombre de prêtres sont arrivés en Egypte pour travailler dans des établissements scolaires et collèges tels que le Collège de La Salle au Caire et le collège Saint-Marc à Alexandrie. L’expansion des écoles religieuses a été rapide dans un premier temps : en 1947, on en comptait 121 écoles réparties dans les quatre coins de l’Egypte. Aujourd’hui, elles sont une trentaine d’écoles religieuses francophones et leur totalité est de 170 écoles à travers le pays. En 1948, la loi 38 a mis ces établissements scolaires sous le contrôle du ministère de l’Education, et en 1956, ces écoles ont été obligées de suivre les programmes scolaires imposés par l’Etat en plus des langues étrangères.

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