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Seniors et heureux, la difficile equation

Dina Darwich, Mercredi, 07 octobre 2020

Inactivité, problèmes de santé physique et troubles mentaux, l’allongement de l’espérance de vie n’est pas toujours une aubaine pour les seniors. Enquête à l'occasion de la Journée mondiale des personnes âgées, le 1er octobre, et celle de la santé mentale, le 9 octobre.

Seniors et heureux, la difficile équation
L'un des plus grands défis du vieillissement est de rester connecté à la société, même pour ceux qui ont une vie sociale active. (Photo : Antoine Albert)

« Mon père, âgé de 75 ans, est devenu très susceptible, à la moindre remarque, il se fâche ». « Ma mère, qui a 80 ans et vit sous le même toit que moi, manifeste des sentiments de jalousie lorsque je m’occupe de mes filles ». « Mon beau-père commence à perdre la mémoire oubliant même les noms de ses petits-enfants. Il lui arrive de prendre une double dose de son traitement contre l’hypertension, ce qui peut mettre sa vie en danger ». « En plus des problèmes de santé physique de mon père, le vieillissement a eu des répercussions sur son état de santé psychologique. Ses troubles de la mémoire sont dus à un choc émotionnel suite à la mort de mon frère atteint d’une maladie grave et quand il a appris que lui-même avait un cancer de la prostate ».

Autant de plaintes qui commencent à émerger dans les foyers égyptiens où se trouve une personne âgée. Les seniors — 60 ans et plus — sont exposés à un certain nombre de mutations physiologiques et psychologiques, qui se caractérisent généralement par un effort réduit, un manque d’activité et une cognition altérée. Avec l’augmentation de l’espérance de vie moyenne de la population mondiale à 73,2 ans en 2020, contre 47 ans en 1955 (chiffre du Worldometer), le vieillissement est devenu l’une des transformations sociétales les plus importantes au cours des dernières décennies. Le souci des cercles scientifiques est donc celui de trouver des moyens de garantir que les individus vivent leur vieillesse en bonne santé. Avec l’âge, la réalité est complexifiée par la présence simultanée de problèmes de santé physique, comme le diabète ou l’arthrose, ou des problèmes de santé psychique, comme la dépression ou l’anxiété. Cette combinaison de problématiques s’ajoute au processus naturel du vieillissement. Cela complique le portrait clinique puisque la santé mentale a un impact sur la santé physique et vice-versa. Par exemple, il est démontré que chez les personnes âgées qui souffrent de problèmes de santé physique, le taux de dépression est nettement plus élevé par rapport à celles qui sont en bonne santé. Aussi, une dépression non traitée chez un senior atteint-elle d’une maladie cardiaque peut avoir de graves conséquences.

« Il existe des troubles psychologiques très courants à cette période de la vie dont la dépression, l’anxiété, la démence et les troubles de sommeil », explique Dr Walaa Sabry, professeure de psychiatrie et traitement de la toxicomanie à la faculté de médecine de l’Université de Aïn-Chams. Les facteurs de risques dans cette période sont ramifiés, d’après la psychiatre. « Les personnes âgées doivent s’adapter à de nombreux changements au fil du temps. Elles sont amenées à vivre des événements douloureux : perte d’un proche, changement de statut social ou baisse des revenus. Tous ces facteurs de stress peuvent mener à l’isolement, la solitude ou la détresse psychologique », ajoute la psychologue. Les seniors vulnérables peuvent subir des maltraitances aux formes multiples : physiques, psychologiques, ou encore financières, dont les effets peuvent avoir des conséquences graves. Des maltraitances qui peuvent entraîner non seulement des séquelles physiques, mais aussi psychologiques graves et parfois durables.

Oisiveté, solitude et insécurité

« Enfermé entre quatre murs, la mort de ma femme a eu un impact psychique sur moi. J’ai chaviré dans l’amertume et la solitude. Mon fils vit au Canada depuis des années et j’attends son appel tous les jours avec impatience. Et ma fille, qui n’habite pas loin de chez moi, est trop occupée par sa famille. Elle ne me rend visite qu’une fois tous les dix jours. Ce temps me paraît long et la monotonie de la vie quotidienne me tue. La plupart de mes anciens collègues sont morts et à chaque fois que j’en perds un, je me dis la prochaine fois, ce sera mon tour. Des idées noires me hantent sans cesse puisque je peux mourir à tout instant », confie l’ingénieur Abdel-Moaty, âgé de 78 ans.

Ibrahim, un médecin de 80 ans, est sur cette même longueur d’onde. « Je me sens inutile dans la vie alors qu’à un certain moment de ma vie, mon agenda était surchargé. Ma clinique ressemblait à une ruche d’abeilles tellement elle grouillait de patients. Actuellement, et après avoir exercé une opération de chirurgie cardiaque, je me sens éreinté. Je manque de respect envers moi-même et je peux rester des jours sans que personne m’adresse la parole. Je ne me sens à l’aise que lorsque je m’enferme dans ma chambre, mon univers pour calmer mon esprit et retrouver tranquillité et sérénité », avance-t-il. Un autre cri semble aussi faire écho parmi cette catégorie d’âge. « Pour la première fois de ma vie, je commence à ressentir des besoins. J’occupais un poste important et mon salaire dépassait les 15 000 L.E. Une fois à la retraite, je perçois une pension de 2 000 L.E. par mois. Une somme dérisoire qui ne suffit pas à couvrir mes dépenses, surtout que je souffre de diabète et d’asthme et j’ai besoin d’environ 500 L.E. par mois pour le contrôle de ces maladies chroniques. Je commence à déprimer car après une carrière de plus de 35 ans, je n’arrive pas à subvenir à mes besoins », ajoute Fikry, ex-directeur général âgé de 62 ans.

Une situation qui requiert une plus grande attention envers les seniors dont le nombre est en progression partout dans le monde. Selon un dernier rapport publié par l’OMS, la population mondiale vieillit rapidement. De 2015 à 2050, la catégorie des personnes âgées de plus de 60 ans va pratiquement doubler, passant de 12 % à 22 %. En valeur absolue, on s’attend à ce que leur nombre passe de 900 millions en 2015 à 2 milliards en 2050. D’après cette même source, plus de 20 % des seniors souffrent d’un trouble de santé mentale ou neurologique. Dans la population âgée, ces troubles sont responsables de 17,4 % des années de vie ajustées sur l’incapacité. En Egypte, selon les chiffres d’une étude récente effectuée en 2019 par la CAPMAS, le nombre des personnes âgées a atteint 6,5 millions (3,5 millions d’hommes et 3 millions de femmes), soit 6,7 % de la population.

Rester connecté à la société, un vrai défi

« Il faut être attentif aux signes de troubles de santé mentale chez les personnes âgées, car ils ont un impact important sur leur qualité de vie », explique la psychiatre Walaa Sabry. Il existe des symptômes que l’entourage peut détecter, et ce, pour éviter que l’état de la personne ne se détériore. La dépression, par exemple, se distingue par une humeur triste ou une perte d’intérêt ou de plaisir pour des activités appréciées par la personne âgée. Symptômes : plaintes et douleurs somatiques, modification de l’humeur et du comportement. Il ne faut pas penser, selon la psychiatre, qu’il s’agit là d’un changement de l’attitude dû à l’âge mais plutôt d’un problème qui nécessite une consultation car la situation pourrait s’aggraver.

Des challenges s’imposent pour que la personne franchisse cette période délicate de sa vie. L’un des plus grands défis du vieillissement est de rester connecté à la société, même pour ceux qui ont une vie sociale active. Les changements de carrière, la retraite, la maladie, la mort et les déménagements en dehors de la zone locale peuvent les éloigner de leurs amis proches et des membres de leur famille. Il est important de trouver des moyens de communiquer et de se connecter avec les autres. Car la présence d’un groupe de personnes peut soutenir une personne lorsqu’elle vieillit et éviter les sentiments de solitude, de dépression et d’impuissance, selon la psychiatre. La solution, selon Dr Alaa Al-Sarsy, professeur de psychologie à l’Institut du service social à Port-Saïd, est qu’il existe de nombreuses approches thérapeutiques et des conseils à suivre pour réduire ou éviter les troubles psychologiques chez les personnes âgées. Par exemple, une sorte de thérapie de groupe, groupe de souvenirs ou groupe de solidarité dans lequel des personnes âgées se retrouvent durant dix semaines à raison d’une séance d’une heure par semaine. Les membres de ce groupe partagent leurs souvenirs d’une manière organisée sur l’enfance et à travers les différentes étapes de la vie. Ce groupe constitue donc un lien qui unit ces personnes âgées et leur permet de renforcer leur capacité à parler et à exprimer leurs sentiments, leurs émotions et à échanger leur expérience, ce qui conduit à réduire le degré de dépression, à améliorer leur humeur et à accroître l’estime de soi.

Contre la vieillesse, des idées pour tenir bon

D’ailleurs, il existe aussi des programmes de soutien que l’entourage et les amis de la personne âgée peuvent présenter pour changer le stéréotype négatif concernant cette étape de la vie et donner plutôt une nouvelle image en ce qui concerne les rôles et les fonctions qu’ils peuvent exercer comme s’occuper de leurs petits-enfants, élever des animaux domestiques, s’initier à de nouvelles habilités sociales, technologiques ou autres pour arriver à s’intégrer.

A 78 ans, Karima, une dentiste à la retraire, confie que depuis qu’elle a cessé son activité professionnelle, sa seule préoccupation est de prendre soin d’elle-même. « Je tente de remplir le vide de mon quotidien en cherchant des personnes qui ont non seulement le même âge que moi mais aussi le même background. Au cours de mes 13 ans de retraite, j’ai réussi à tisser de profondes amitiés à travers les rencontres périodiques qui ont lieu au club Ahli où je suis membre. On organise des promenades, on échange les recettes, les noms des médecins et aussi les nouvelles, et on célèbre ensemble le succès et les noces de nos petits-enfants. C’est ainsi que je suis arrivée à résister au poids de la vieillesse », explique Karima qui a même participé à un défilé pour personnes âgées.

Et récemment, une nouvelle méthode a été ajoutée suite à une étude menée par l’Université de la Caroline du Nord aux Etats-Unis sur un échantillon de 140 personnes dont l’âge moyen a atteint 77 ans et plus. Celle-ci a démontré que pratiquer des jeux informatiques a un effet positif sur l’état psychologique des personnes âgées. Selon les résultats, ceux qui ont exercé ces jeux étaient plus heureux et en meilleure santé que leurs homologues qui ne jouaient pas. Les non-joueurs étaient également plus susceptibles de souffrir de dépression et d’autres émotions négatives. Les seniors savent donc ce qui leur reste à faire : jouer !

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