Dans un instant, les lions feront leur entrée en piste. Les ouvriers ont déjà préparé la voie en installant solidement la cage centrale destinée aux fauves. Un bruit de roulement de tambour se fait entendre. Il devient plus fort annonçant le début du spectacle. Soudain, le dompteur apparaît habillé de son costume de spectacle : une veste ornée de paillettes et de boutons dorés avec des épaulettes à franges. Il tient d’une main un fouet et de l’autre un microphone pour présenter les prénoms des 4 lions qui rentrent en file indienne. Chaque fauve se dépêche de rejoindre sa place en s’asseyant sur un tabouret. Faisant claquer son fouet qui permet de marquer les ordres, les lions quittent leur tabouret et se dressent debout sur leurs pattes arrière. Au deuxième claquement de fouet, l’un d’eux s’élance et saute à travers un cercle de feu, tandis qu’un autre va bondir d’un tabouret à l’autre, alors qu’il pèse 250 kg. A la fin du spectacle, le dompteur demande à un des lions de s’étendre par terre. A travers le microphone, il lui fait comprendre qu’il vient de rentrer de voyage et a besoin de se relaxer. Le lion obéit et le dresseur, toujours vigilant et le regard en alerte, s’allonge sur son corps. C’est la fin du spectacle, le dompteur ordonne aux 4 lions de saluer le public en levant la patte avant. Tout s’est bien passé. Le maître distribue des morceaux de viande aux fauves en guise de récompense, puis salue son public, heureux d’avoir présenté un numéro de qualité.
Cette scène fait partie du spectacle dans les cirques qui présentent un numéro de dressage des fauves. « Ce n’est pas facile d’apprivoiser un lion ou un tigre, car ces types d’animaux sont difficiles à dompter. On doit bien les nourrir, et au temps du rut (moment où l’acte de la reproduction se fait sentir chez eux), il faut accoupler les mâles avec les femelles. Les séances de dressage doivent avoir lieu aux mêmes endroits où ils se nourrissent et s’accouplent pour qu’ils prennent du plaisir à s’entraîner. L’objectif est de créer une relation étroite entre soumission à l’autorité et satisfaction à leurs besoins essentiels », précise Rami Ibrahim, dresseur. Selon ses propos, pour dresser de tels animaux, il faut les prendre très jeunes. « De préférence, un lionceau de 20 jours. Il passe son temps à faire des câlins à sa mère en se frottant sur son corps. Alors, en le séparant de sa maman, le lionceau perd cette habitude et finit par s’adapter à l’environnement dans lequel il se trouve, c’est-à-dire être enfermé dans une cage », explique Sara, chargée de nourrir les lionceaux. Après la séparation, il est nourri de lait durant quelques jours, ensuite de viande hachée et de blancs de poulet. Dès que les canines du félidé apparaissent, il commence à manger de la viande crue avec os. Un lion adulte en consomme 7 kg par jour. Celui du cirque a besoin de bien se nourrir de chair, en plus, il lui faut des vaccins et des médicaments pour rester en bonne santé. Il est nécessaire aussi de lui donner un bain de temps en temps. Walid Al-Charqawi, dresseur égypto-italien et propriétaire du Cirque mondial, explique que l’âge du lion au cirque peut atteindre 25 ans, alors qu’il ne dépasse pas les 15 ans en forêt. Il ajoute que le lion vivant dans la nature ne chasse que lorsque l’occasion se présente à lui et peut rester sans manger quelques jours. « Dresser des fauves nécessite des moyens financiers énormes, sans compter le coût des soins. Pour un âne, il faut 300 L.E., une somme qui sert à nourrir durant 4 jours un carnivore. Présenter un numéro de dressage de lions a son importance dans un cirque. Cela permet de monter le prix des billets, car les spectateurs aiment voir ces puissants et majestueux animaux en direct. Le dompteur provoque du suspense en bravant les défis », souligne Al-Charqawi.
Le Liban, premier pays arabe à passer à l’acte
Des caméras ont été installées dans les cages et aux alentours pour surveiller le comportement des fauves et détecter s’ils présentent des signes de maltraitance ou d’agressivité. Al-Charqawi explique que tout animal a le droit de vivre dans la dignité et le respect et que tout acte de violence lui engendre des souffrances. « Le public est loin de s’imaginer les techniques qui sont utilisées pour amener un animal à exécuter un ordre demandé. Des dresseurs commettent des actes de cruauté. Pour certains, la torture est le mot d’ordre. Ils lient parfois les pattes de devant de l’animal avec des chaînes pour l’obliger à se dresser sur ses pattes arrière, et si l’animal refuse, il reçoit des coups de fouet. Il faut savoir que les animaux ressentent tout une gamme de sentiments primaires, telles la joie, la peur, la tristesse et la colère. Leur cerveau emmagasine les émotions agréables ou désagréables, et au moment le plus inattendu, ils peuvent les exprimer en faisant des câlins ou en s’attaquant au dompteur », explique Al-Charqawi, sans mentionner les noms de ceux qui agissent cruellement avec les animaux.
Peu importe la méthode utilisée pour dresser un animal, tout acte de violence est considéré comme une violation aux droits des animaux. 28 pays européens et asiatiques ont interdit les animaux sauvages ou domestiques aux cirques, à l’exemple de l’Autriche, de la Belgique, de la Bolivie, de Chypre, de la Grèce, de Singapour et du Liban. Ce dernier est le premier pays arabe à interdire les animaux au cirque. « Cela fait 15 ans que notre cirque existe au Liban et progressivement, nous avons commencé par exclure les animaux du cirque. Au début, nous avons respecté les règles qui interdisent les animaux en voie de disparition comme les lions d’espèces rares, lion blanc et lion d’Asie, le léopard de neige et l’ours de Sibérie », explique Izak Abou Sari, directeur général au Cirque du Liban. Depuis 2017 donc, le cirque libanais travaille sans animaux. Les responsables ont offert tous les animaux au zoo. « Nous avons refusé de les vendre à d’autres cirques craignant qu’ils ne soient victimes de violence ou que le propriétaire n’ait plus les moyens de subvenir à leurs besoins en cas de faillite », explique Izak Abou Sari. Et d’ajouter : « Nous avons décidé d’en finir avec le cirque traditionnel tout en nous adaptant à la technologie et en nous appuyant sur les performances artistiques et sportives des artistes libanais et français qui travaillent dans le cirque ».
En effet, beaucoup d’études ont été effectuées pour compenser la présence des animaux au cirque. La grande production, le glamour des effets sonores et l’hologramme sont des outils qui ont fasciné les spectateurs et qui par la suite ont permis au Cirque du Liban de se déplacer dans différents pays à travers le monde et présenter des numéros de grande qualité, dans un contexte moderne.
Une cause oubliée
En Egypte, le cirque de la famille Al-Hélw a été créé en 1889. Mohamad Ali Al-Hélw désirait imiter les étrangers, surtout les Italiens qui venaient présenter des spectacles avec des chevaux et des éléphants. Il a commencé par acheter un éléphanteau afin de le dresser. Au début du XXe siècle, les 2 frères Al-Hélw ont demandé au roi Farouk de leur prêter les 2 lions qu’il possédait afin de les dresser et présenter de nouveaux numéros pour attirer les spectateurs. Depuis, la famille Al-Hélw s’est familiarisée avec les fauves, affrontant chaque jour l’imprévisibilité de ces animaux sauvages. En 2016, un lion a dévoré son dresseur devant les spectateurs à Alexandrie. Les enquêtes ont révélé que le dompteur avait une longue expérience avec les fauves, mais à un moment donné, le lion n’a plus supporté d’être soumis aux ordres, ceci étant contraire à sa nature sauvage. Il n’est donc pas conseillé d’élever un lion, car à tout moment, ce fauve peut reprendre sa véritable nature et devenir agressif ou féroce. Marcher dans la savane, chasser les animaux les plus faibles, vivre à son aise dans un environnement sauvage sans avoir un endroit fixe où dormir, c’est ça la vie d’un animal sauvage. En perdant sa liberté, il subit des pressions et sa réaction peut être imprévisible à tout moment.
La loi 53 de l’année 1966 interdit la violence à l’encontre des animaux ou le fait de les contraindre à faire des gestes ou des mouvements qui ne sont pas appropriés à leur nature. Une chose que l’on ne respecte pas dans les cirques. En 2014, lors du Forum international pour les droits des animaux tenu en Egypte, des organisations de la société civile ont réclamé des cirques sans animaux. « Les animaux de cirque subissent de mauvais traitements. La situation est catastrophique et il n’y a aucun contrôle. Nous avons préparé un dossier contenant les lignes directrices concernant les animaux de cirque et ceux dans les entreprises similaires afin d’imposer des critères de contrôle et de surveillance dans les cirques en Egypte, mais depuis, aucune décision n’a été prise », se plaint Dina Zolfoqar, activiste qui milite pour les droits des animaux. Elle ajoute que les dresseurs de fauves ont le droit de posséder des lions et des tigres. A noter que le service de la faune et de la flore au ministère de l’Agriculture est chargé de recenser les animaux de cirque, mais ne s’intéresse pas à leur qualité de vie. « L’exigüité des cages pousse certains dresseurs à vendre les lionceaux aux photographes qui travaillent dans les stations balnéaires situées dans le littoral nord. Ces photographes retirent les griffes des lionceaux pour que les gens puissent prendre des photos avec ce jeune félidé sans se faire griffer », affirme Dina Zolfoqar.
Or, interdire l’utilisation des fauves dans les cirques n’est pas une chose facile. « Tout un business tourne autour des fauves. Beaucoup de dompteurs possèdent des fermes d’élevage d’ânes, qu’ils abattent pour nourrir leurs animaux de cirque. Quant aux peaux, elles sont exportées en Chine et sont vendues à 800 dollars l’unité. Elles servent à fabriquer des médicaments », conclut Zolfoqar.
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