Héba, une non-voyante au chevet de ses pairs
Consciente des besoins particuliers des aveugles et malvoyants, Héba Kholeif, 42 ans, atteinte de cécité, est devenue membre au conseil d’administration de l’Association Doniétna (notre vie). Une ONG qui s’intéresse au développement des enfants en situation de handicap : cécité, surdité, déficiences motrices, retard de langage et difficultés de communication, « Il s’agit également d’apprendre aux parents comment se comporter avec leur enfant en situation de handicap et l’aider à progresser en effectuant des tâches adaptées à ses besoins pour être plus autonome et s’intégrer dans la société », souligne-t-elle. Or, ce n’est pas la première fois que Héba apporte sa contribution en fournissant un soutien à ses pairs. Une fois son diplôme en poche (licence de lettres anglaises), elle fut l’une des premières personnes atteintes de cécité à travailler à la Bibliothèque d’Alexandrie. Elle a même contribué à la création de la bibliothèque sonore Taha Hussein mettant à disposition des aveugles et malvoyants des livres enregistrés.
« Dans mon travail, j’ai rencontré des parents qui avaient des problèmes de communication avec leurs enfants. Ils ne savaient pas comment se comporter avec eux ou même les placer dans un service adapté pour bénéficier d’une activité et devenir des citoyens comme les autres. Je voulais aider ces parents en détresse, mais je ne disposais d’aucune connaissance scientifique de base pour leur apprendre ce qu’il faut faire et ne pas faire », souligne-t-elle.
Héba s’est donc démêlée pour avoir une bourse en Angleterre pour préparer une thèse de magister en gestion et enseignement des handicapés dans les pays en développement. Plus tard, un protocole de coopération a été signé entre la Bibliothèque d’Alexandrie et l’Association Réayet Banat Al-Nour (protection des filles de la lumière) au sein de laquelle Héba a créé une unité de détection précoce des enfants atteints de déficiences visuelles dès l’âge d’un an jusqu’à 7 ans. « Ces personnes nécessitent un entraînement spécifique, pour savoir comment exploiter de manière plus poussée et systématique d’autres sens comme le toucher, l’odorat, le goût et évaluer leurs performances. On présente des modèles d’objets en trois dimensions qu’elles peuvent trouver dans leur environnement quotidien pour pouvoir les reconnaître au toucher. On veut changer cette vision que l’aveugle ignore tout parce qu’il ne voit pas », explique Héba, qui dénonce les stéréotypes véhiculés, notamment dans le cinéma : des lunettes noires, une canne ou un brave chien les guidant. Un cliché qu’elle souhaite ne plus voir. Pourquoi ne pas donner des exemples de non-voyants actifs, qui travaillent comme les autres, des personnes épanouies dans leur vie professionnelle. De même, elle conseille aux parents de laisser leurs enfants malvoyants ou atteints de cécité totale d’accomplir de petites tâches comme mettre de l’ordre dans leurs chambres et assurer leur propreté individuelle. « La plupart des ONG, qui s’intéressent aux non et malvoyants, attachent de l’importance à organiser des excursions ou présenter des aides financières aux parents d’enfants en situation de handicap visuel ou autres, mais le côté apprentissage ne fait pas partie de leur priorité », précise-t-elle. Surtout, Héba souhaite que les handicapés bénéficient d’une formation qui soit à la hauteur de celle qui est présentée à l’étranger. Lorsqu’elle préparait sa thèse de magister en Angleterre elle a eu l’occasion de conduire une voiture à 2 chauffeurs dans un espace consacré à cette expérience pour les non-voyants. « Ce fut intéressant pour moi d’apprendre comment une voiture fonctionne », ajoute Héba. Et en tant que membre dans la société civile, elle essaye de trouver des astuces pour intégrer les non-voyants dans la société. « Je suis d’accord avec l’inclusion scolaire des enfants handicapés, mise en place par le ministère de l’Education, mais cela demande des adaptations pédagogiques compatibles avec chaque cas et chaque type de handicap », conclut-elle.
Soha, la battante qui sait foncer
Confiance en soi, optimisme et bonne humeur. Tels sont les traits de caractère de Soha Abou-Gharara, 33 ans, atteinte d’achondroplasie, une maladie génétique causée par une anomalie de la croissance de l’os ou du cartilage de l’os (une forme de nanisme qui se distingue par une disproportion du corps, notamment des membres supérieurs et inférieurs courts et une tête souvent grosse). Cette jeune femme occupe aujourd’hui le poste de coordinatrice dans le secteur culturel à la Bibliothèque d’Alexandrie. Trouver un emploi, alors qu’elle est diplômée de l’Académie maritime, mention excellente, en marketing et commerce international, ne fut pas chose facile. « J’ai passé 4 ans à faire des va-et-vient incessants dans les sociétés privées. On m’acceptait pour une période d’essai de quelques mois et quand j’abordais le problème du recrutement, la réponse était : Je ne peux pas vous faire de promesse, je préfère travailler avec des hommes, ou vous avez un handicap et votre assurance sociale pourrait me coûter cher », dit Soha d’un air pince-sans-rire. Actuellement, elle remercie Dieu de n’avoir pas travaillé dans l’une de ces entreprises.
Décrocher un poste à la Bibliothèque d’Alexandrie sans piston lui semblait être un rêve irréalisable. Tenace, Soha a tout de même postulé, et a fini par obtenir un entretien d’embauche. « Tout le monde a été surpris par ma promptitude à agir, élaborer des idées et les développer. Une personne m’a interrompue et m’a demandé si je pouvais travailler avec mon problème de santé. J’ai répondu spontanément : quel problème de santé ? Puis, la directrice des ressources humaines a mis fin à l’entretien avec subtilité », poursuit-elle. Le lendemain, Soha a reçu un coup de fil de la directrice des ressources humaines lui apprenant qu’elle était embauchée. « Elle m’a dit qu’elle avait apprécié ma réponse sur mon état de santé, une preuve de motivation et de volonté de dépasser mon handicap ». Au cours de ses 8 ans de travail à la Bibliothèque d’Alexandrie, Soha a fait preuve de compétence et a même été promue à un poste supérieur. « Je n’ai jamais voulu faire partie de la catégorie des handicapés qui gagnent des salaires et ne marquent pas le travail de leur empreinte personnelle. Je lutte constamment pour avoir mes droits, et en même temps, je veux prouver que je suis à la hauteur des responsabilités qu’on m’a données », affirme Soha.
Tout cela l’a poussée à s’inscrire à un stage organisé au Japon en décembre dernier par l’UNCRPD.
(Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations-Unies). « Nous étions 10 handicapés de différents pays à avoir été choisis. Ce stage nous a permis d’échanger des expériences, de passer en revue les lois dans chaque pays et d'essayer d’en réformer quelques-unes afin de mieux protéger celles et ceux qui sont en situation de handicap », raconte Soha qui garde un bon souvenir de ce voyage qui a duré 2 mois. A son retour, les responsables lui ont fait savoir qu’elle avait bien présenté son pays, ce qui l’a rendue très fière d’elle-même.
Rania, la coqueluche des réseaux sociaux
Elle ne s’attendait pas à trouver autant d’échos sur la Toile, et du jour au lendemain, elle est devenue une figure sociale (influencer) importante avec plus de 65 000 followers. Rania Wasfi est une jeune fille âgée de 34 ans, atteinte d’un déficit complet en hormone de croissance dû à une anomalie de développement de la glande hypophyse dès la naissance. Le poids et la taille de Rania sont donc bien en-dessous des normes établies pour son âge, c’est ce qui explique sa petite taille qui ne dépasse pas les 60 cm. Cheveux bien coiffés, un visage aux traits fins légèrement maquillé, elle porte des lunettes de vue.
Son introduction dans une plateforme électronique a commencé par la publication de deux photos, sur une page Facebook intitulée Miss Basket, l’une la montrant avant le régime et l’autre après avoir maigri, accompagnée d’une petite phrase « Je veux devenir célèbre ». Des milliers de commentaires ont été postés sur la page l’encourageant à apparaître de nouveau sur les réseaux de communication, car elle procure de l’énergie positive. « C’est vrai que je suis clouée sur une chaise roulante mais mon assistant et chauffeur à la fois arrive à me soulever lors de mes déplacements car je ne pèse que 24 kilogrammes alors que d’autres handicapés sont malheureux. Ils restent coincés dans leurs fauteuils roulants, ne pouvant aller nulle part car l’accessibilité aux bâtiments et lieux publics n’est pas possible pour eux », s’exprime Rania. Elle prie pour les personnes faibles, transmet ses meilleurs voeux de santé et de bonheur à tout le monde et demande aux gens de rester malgré tout optimistes car chaque problème peut se résoudre.
Elle ne cesse de recevoir des messages de motivation et d’autres de remerciements émanant de personnes dont les enfants présentent un déficit en hormone de croissance tout à fait comme elle. « Ces parents souhaitent que leurs enfants agissent comme moi », dit-elle en esquissant un léger sourire.
Mais apprendre à s’accommoder, à se contenter de ce que Dieu a voulu n’a pas été facile pour elle. A l’âge de 29 ans, Rania a fait une dépression et a dû aller consulter un psychiatre. Elle ne supportait plus de dépendre des autres pour effectuer de simples gestes de la vie courante (aller au WC, faire sa toilette, s’habiller …) alors que sa famille était aux petits soins pour elle. Ajoutés à cela, les regards dédaigneux des gens et les remarques déplaisantes de certains sur son physique ont fini par l’enfoncer dans la déprime. « Le psychiatre qui m’a aidée à surmonter la dépression m’a conseillé de monter un projet. J’ai commencé par fabriquer des accessoires, mais tout mon corps a été mis à rude épreuve, surtout mon dos et mes vertèbres cervicales à force d’avoir la tête penchée et le dos courbé toute la journée », dit Rania qui n’a travaillé que 6 mois. Elle confie que son corps est devenu fragile suite à plusieurs opérations subies pendant l’enfance pour réparer ses os. Dernièrement, Rania a commencé à publier des histoires de femmes battantes pour donner de l’espoir à celles et ceux qui souffrent d’un handicap ou désespèrent de la vie. « Etre une source d’inspiration et un facteur de motivation pour les autres m’a aidée à voir ma vie autrement », conclut Rania.
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