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Ces papas qui élèvent seuls leurs enfants

Chahinaz Gheith, Mercredi, 01 juillet 2020

Qu’ils soient séparés, divorcés ou veufs, les pères qui élèvent seuls leurs enfants sont une petite minorité, et le plus difficile pour eux reste de dépasser les préjugés et prouver qu’ils sont capables de le faire. Témoignages de papas qui méritent d’être reconnus pour ce qu’ils font à l’occasion de la Fête des pères.

Ces papas qui élèvent seuls leurs enfants

Depuis le décès de son épouse il y a dix ans, Emad Nour Al-Dine, 48 ans, élève seul ses deux fils. Il a appris à vivre avec ce quotidien, et toutes les contraintes qui s’ensuivent. Aujourd’hui, Ali et Moustapha sont tous les deux à l’université. Ils n’ont jamais manqué de rien. Avant son décès, sa femme s’occupait pratiquement de tout. « Ce fut une période difficile. Les jours qui ont suivi le départ de ma femme, je me suis senti perdu et angoissé et parfois je me suis demandé si j’allais tenir encore longtemps. Aider mes enfants à surmonter la mort de leur mère n’était pas évident. J’ai eu beaucoup de mal à comprendre ce que je devais faire et ne pas faire. J’ai pris conscience de ce qu’on appelle la charge mentale et comment gérer toutes les tâches ménagères, les repas, les courses … En plus des enfants, des ados et leur éducation, tout cela n’a pas été simple », confie Emad qui a essayé de se remarier et d’installer une femme à la maison, mais ses deux tentatives se sont soldées par un échec. Depuis, il a changé son boulot à la Bourse, il travaille comme comptable avec des horaires plus précis. Il a tenu à voir ses garçons grandir au quotidien, leur inculquer ses valeurs et passer tout son temps avec eux. Dévoué 100 % à ses enfants, il essayait, avec l’aide de sa mère âgée, de poursuivre les rituels qu’avait institués sa femme et de jouer à la fois le rôle de père et de mère. Son devoir de parent est d’amener ses enfants à devenir des citoyens autonomes avec les armes pour s’en sortir dans la vie : une bonne éducation.

Mais au-delà de la douleur liée à la mort de sa femme et la simple gestion matérielle des enfants, ce papa s’est vu investir d’une nouvelle obligation, psychologiquement lourde à gérer : les enfants n’ayant plus que lui pour veiller sur eux, depuis ce jour tragique, il sent qu’il n’a plus le droit de mourir. « J’y pense sans cesse. Le moindre mal de ventre m’angoisse. Je ne peux pas concevoir l’idée de les laisser livrés à eux-mêmes », lance-t-il, tout en ajoutant qu’il n’est jamais complètement tranquille lorsqu’ils ne sont pas avec lui, encore plus ces jours-ci à cause de la pandémie de Covid-19. Son téléphone, toujours à la main, pour être sûr d’être joignable en cas de problème les concernant. Il ne le lâche que lorsqu’ils sont près de lui. Mais en dépit de ses angoisses, qu’il essaye tant bien que mal de maîtriser, ses deux fils mènent une vie équilibrée et sont épanouis.

Hossam Zakariya, un homme d’affaires de 36 ans, a, quant à lui, divorcé alors que ses deux filles n’avaient que 2 et 8 ans. Bien que ces filles aient été le fruit de l’amour, cela n’a pas suffi à souder le couple.

Ils se disputaient sans cesse, même devant leurs filles. Quelques mois après la séparation, la femme décide de se marier avec un autre, laissant la garde de ses filles à son ex-époux.

« Je viens d’une famille où tout le monde est soit séparé, soit divorcé. Mon père était absent, et j’ai toujours voulu éviter cela à mes filles. Quand mon ex-épouse et moi avons décidé que nous voulions des enfants ensemble, j’ai décidé de leur donner la vie que je n’avais pas eue », raconte-t-il. « Mon boulot me permettait d’avoir un emploi du temps très souple et avec l’aide d’une nounou géniale, j’ai pu m’occuper de mes filles sans problème majeur, en dépit de quelques mésententes avec ma femme », souligne Hossam, persuadé qu’être un papa célibataire est plus simple quand on a un garçon !

Craignant que son comportement ne compromette l’équilibre de ses filles, il a entrepris une psychothérapie pendant quelques mois. Ces séances lui ont permis de comprendre qu’il n’était pas une maman et qu’il ne le sera jamais. « Ce n’est pas facile d’élever des filles. Pour chaque décision, je me posais la question de savoir ce qu’aurait fait une maman. J’ai passé longtemps à me documenter sur Internet et à lire beaucoup d’ouvrages et des théories sur l’éducation. Or, les filles ont trop besoin de modèle maternel, j’ai eu recours donc à ma soeur pour être une référence, voire leur maman de substitution », confie-t-il.

Faire face au scepticisme de l’entourage

Les cas comme Emad et Hossam sont plutôt rares, car les pères, qui prennent en charge leurs enfants, après un veuvage ou un divorce, représentent encore une petite minorité, une goutte d’eau dans un océan. Lors d’une séparation, ce sont plutôt les mères qui, d’habitude, prennent la garde. Le père a généralement droit à cette garde suite à un accord avec la mère ou lorsque celle-ci est mariée et ne souhaite pas avoir la garde principale ou bien lorsqu’elle est considérée comme inapte à s’en occuper. Peu commune donc l’image de papas en train de câliner leurs enfants, de les nourrir, de jouer ou encore de faire du sport avec eux. Le plus difficile est aussi que leur entourage est souvent sceptique, méfiant quant à l’aptitude des pères à éduquer leurs enfants. Pourtant, nombreux sont les pères frustrés qui ont le sentiment que leur rôle est considéré par la société comme moins important que celui des mères. Ils évoquent un sentiment d’injustice et ont l’impression que leur implication n’est pas reconnue à sa juste valeur.

D’ailleurs, si la plupart d’entre nous connaît l’origine de la Fête des mères et sa date, il en est autrement de la Fête des pères, oubliée du calendrier. Il est à noter que la Fête des pères a été instituée aux Etats- Unis le 19 juin 1910. Quelques années plus tard, cette fête est célébrée un peu partout dans le monde, le troisième dimanche du mois de juin. Au départ, l’idée vient d’une dame habitant Washington qui se nommait Sonora Smart Dodd. Cette personne assistait à une messe le jour de la Fête des mères en 1909. Elle avait été élevée par son père qui était seul avec ses enfants depuis le décès de sa femme. Elle eut alors l’idée d’honorer cet homme qu’elle admirait et décida donc de célébrer la Fête des pères l’an suivant.

« La vision du père, qui travaille, apporte l’argent et la sécurité, la mère, l’amour et l’éducation, reste ancrée dans notre société et trouve encore un certain écho dans notre façon de célébrer ces fêtes. Les gens ont tendance à comprendre les sacrifices que font les mères. Il y a une idée précise de ce qu’elles ont offert à la famille. Ainsi, le lien avec le père est comme secondaire à l’encontre de la mère dont le lien est plus stable, plus indéfectible », explique Dr Lamia Saad, sociologue. De même, on a tendance à croire que la présence de la mère est bien plus importante que celle du père.

Le juste équilibre, un leurre ?

Des stéréotypes qui créent un sentiment d’injustice auprès de certains pères et qui ignorent que le plus important est l’amour que l’on donne à un enfant. Selon le psychiatre Ahmad Chawqi, on considère encore qu’un enfant en bas âge ne peut grandir correctement qu’en présence d’une figure maternelle. Une idée de plus en plus débattue. « Ce qui importe, c’est que la figure d’attachement première soit fiable. Si c’est le cas, peu importe que ce soit le père ou la mère », assure Dr Chawqi, tout en précisant que même si la mère a disparu de la vie des enfants, il est important de l’évoquer.

Car toute tentative d’effacement reviendrait à nier une part de l’enfant lui-même. L’enfant se construit dans le juste équilibre de l’amour et du dévouement, mais aussi de l’acceptation du manque et de la frustration. Dévoués à leurs enfants, certains pères solos mettent leur vie affective entre parenthèses au risque d’enfermer leurs enfants dans une bulle familiale. Plus il tarde à avoir une vie amoureuse, plus cela risque d’être douloureux et conflictuel. « Le plus grand service à rendre à un enfant est de laisser une place à l’homme, sinon, quel modèle adulte le père solo lui donnera-t-il si ce n’est celui d’un homme sacrifié sur l’autel du devoir parental ? », explique le psychiatre.

Elever son enfant seul est difficile, mais malgré tout, c’est un bonheur pour Ahmad, divorcé de 42 ans. Il dit avoir pleuré de joie le jour où il a obtenu la garde exclusive de son fils de quatre ans. Il l’admet volontiers : il ne s’attendait pas alors à tout ce que cela impliquait. Aujourd’hui, sa priorité est son fils : Omar. Et pour Ahmad, quand on est célibataire, le mettre en pyjama, le préparer au CP, lui apprendre à pédaler à vélo, c’est deux fois plus de bonheur.

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