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Parcours d’un malade pas comme les autres

Manar Attiya, Mardi, 28 avril 2020

Des premiers symptômes à l’éventuelle mise en quarantaine ou à l’autoisolement, en passant par le test PCR et la prise en charge hospitalière pour les cas les plus graves, le malade du Covid-19 n’est pas traité comme un quelconque patient, et ce, pour maximiser les chances de guérison et éviter qu’il ne contamine d’autres personnes. Focus.

Parcours d’un malade pas comme les autres

« Ne touchez ni à votre bouche, ni à votre nez, ni à vos yeux. Les masques et les gels hydroalcooliques sont indispensables ... Faites attention, le masque doit recouvrir le nez et la bouche », conseillent les médecins en guise de protection du Covid-19. Ici, à l’hôpital des maladies infectieuses d’Imbaba, plus que partout ailleurs, tout le monde est appelé à respecter les règles pour éviter la propagation de l’épidémie. Quelques personnes sont là, attendant le résultat du test PCR. Il y a ceux qui ne présentent aucun symptôme et qui veulent passer le test pour s’assurer de leur état de santé. Ceux qui sont testés négatifs rentrent chez eux, tranquilles. Ceux, positifs, doivent être hospitalisés immédiatement si leur état est grave, ou bien ils restent isolés chez eux si les symptômes sont mineurs. La plupart ne savent pas où, quand et comment ils ont attrapé le coronavirus. C’est la scène qui se déroule chaque jour au sein de l’hôpital des maladies infectieuses d’Imbaba (Guiza), l’un des hôpitaux où doivent se rendre les patients qui présentent des signes du coronavirus. Chaque jour, dans tous les hôpitaux de maladies infectieuses, le personnel soignant est chargé de faire passer des tests PCR à des milliers de personnes. Ce genre de test s’effectue seulement dans 18 hôpitaux publics répartis à travers la République, dont ceux d’Imbaba, de Abbassiya, de Hélouan et ceux des forces armées.

Sur place, le personnel est mobilisé pour accueillir les cas suspects. « Notre rôle en tant que médecins n’est pas seulement d’effectuer les tests et d’évaluer la gravité du cas, on mène aussi une petite enquête en interrogeant l’entourage du malade, ses collègues, ses proches, afin de reconstituer le parcours du malade les 14 jours qui ont précédé l’infection », précise le Dr Maher Al-Garhi, vicedirecteur de l’hôpital d’Imbaba.

Une jeune femme de 38 ans raconte son séjour de trois jours à l’hôpital. Le 24 mars, elle fait 38 de fièvre. Deux jours plus tard, le thermomètre atteint les 39, puis 40. Elle décide donc d’appeler son médecin traitant qui lui conseille de téléphoner au 105 (numéro des urgences) tout en lui faisant deux propositions : soit de rester chez elle et prendre du Paracétamol, soit de passer un test pour savoir si elle a contracté le virus. Le 27 mars, son test se révèle positif. « Après un premier examen classique (température, tension, saturation en oxygène, fréquence cardiaque), on m’a introduit profondément un coton-tige dans les narines pour extraire les glaires. Contrairement aux apparences, c’est un test très douloureux ». Elle reste sous surveillance médicale durant trois jours à l’hôpital d’Imbaba, dans l’attente des résultats.

« Je ne savais ni combien de temps j’allais être hospitalisée ni dans quelles conditions », souligne-telle. Elle a été ensuite transférée à l’un des hôpitaux consacrés à la quarantaine au Caire où elle est restée deux semaines avant de se rétablir. Son mari et ses deux enfants, qui ne présentaient aucun symptôme, ont dû également passer ce test. « Grâce à Dieu, ils n’étaient pas atteints », affirme-t-elle.

Les règles strictes de la quarantaine

En fait, l’Etat déploie des efforts consentis pour disposer du plus grand nombre d’hôpitaux : 37 établissements hospitaliers dépendant du ministère de la Santé et 113 hôpitaux universitaires avec un total de 35 825 lits (dont 5 368 lits pour les services de soins intensifs, 431 lits pour les enfants et 3 754 respirateurs artificiels), 22 hôpitaux des forces armées et 4 hôpitaux mobiles renfermant 502 lits destinés à l’isolement des malades. Les hôpitaux mobiles peuvent se rendre à n’importe quel gouvernorat en cas de besoin. Quant aux hôpitaux destinés à la quarantaine des malades, ils sont au nombre de 27 à travers le pays, dont une partie dans des villes côtières.

« Nous avons choisi ce genre de lieux en bord de mer, loin de la pollution et peu peuplés vu que ce sont des stations balnéaires vides en ce moment », explique Dr Hala Zayed, ministre de la Santé.

Au service réservé à l’isolement des malades à Agami, près d’Alexandrie, Nadia, 44 ans, fumeuse invétérée, a d’abord eu une forte fièvre (40°), puis elle a commencé à présenter d’autres symptômes : perte du goût et de l’odorat. « Je ne sais ni où, ni quand, ni comment j’ai attrapé le virus. Quelques jours avant d’être hospitalisée, j’avais passé un week-end en compagnie de mes amies dans un hôtel 5 étoiles au bord de la mer. Et toutes les personnes que j’ai côtoyées vont bien. Certaines ont passé des tests qui se sont révélés négatifs, d’autres, ne présentant aucun signe du Covid-19, ne l’ont pas fait mais sont restées confinées chez elles », raconte-t-elle.

Au pavillon réservé à l’isolement des malades, c’est un peu la découverte pour tout le monde. Une chambre toute simple que le malade ne doit pas quitter. Les draps sont en papier, les serviettes de la salle de bains sont également en papier et ce, pour être jetés après usage. Les contacts avec l’extérieur sont plus que limités. Et le personnel médical est bien équipé : lunettes, gants, masques, blouses de protection. Des infirmiers et infirmières sont chargés de prendre la température de chaque malade deux fois par jour et les médecins passent également deux fois par jour pour s’enquérir de leur état de santé. « Ils évitaient de me toucher. Et, si un des membres de l’équipe médical l'aurait fait par inadvertance, il sortait rapidement pour se désinfecter, ou changer de tenue », relate Nadia, qualifiant sa contamination de « ce cauchemar ».

« Trois fois par jour, l’infirmière nous ramenait les repas qu’elle posait à l’entrée de la chambre. Quand j’avais mal à la gorge, on me donnait un sirop chaud à base de codéine, et bien sûr, on me donnait du Paracétamol, le soir, c’est tout », ajoute-t-elle.

Pour Nadia, l’hospitalisation n’a duré qu’une semaine. « Comme mon état de santé n’était plus préoccupant, les médecins m’ont autorisée à quitter l’hôpital. Je suis rentrée chez moi avec une feuille de papier sur laquelle étaient indiquées toutes les recommandations nécessaires dont la première était de rester en isolement durant 14 jours », poursuit-elle. En rentrant à la maison, Nadia ne pouvait pénétrer dans la cuisine. Son mari s’étant chargé de préparer à manger. « Je devais aérer régulièrement ma chambre et pour changer de cadre et passer le temps, je m’asseyais au balcon durant des heures, ce qui me permettait de respirer un peu d’air frais », dit-elle en plaisantant. « Je devais rester isolée dans ma chambre, ne pas partager de couverts avec ma famille et utiliser une salle de bains à part, dans la mesure du possible, sinon, prendre soin de bien la nettoyer en désinfectant les robinets à chaque fois.

Et tout cela pour éviter de contaminer mon mari et mes quatre enfants », précise-t-elle. Il fallait donc suivre à la lettre les instructions : utiliser des désinfectants à base de chlore ou d’éthanol à 75 %, l’alcool et le chlore étant les meilleurs produits désinfectants, comme l’a indiqué le représentant de l’OMS en Egypte, Jean Jabbour.

Les soins intensifs, une épreuve

Nadia a eu la chance de ne pas avoir de grosses complications. Pour d’autres, en revanche, le passage aux soins intensifs est nécessaire. Partout, derrière les parois vitrées des chambres, tout le long des couloirs, des vies en souffrance s’accrochent en silence aux respirateurs. Au-dessus de chaque porte, un voyant rouge prévient les soignants de la présence du Covid-19. Au service des soins intensifs de l’hôpital Abou- Khalifa à Ismaïliya, la moyenne d’âge des patients était, à la mi-mars, de 54 ans, le plus jeune en a 32 et le plus vieux 80. C’est un virus qui peut toucher tout le monde. Face à la mortalité liée au coronavirus et touchant particulièrement les personnes âgées et les plus fragiles, l’inquiétude est grande. Le ministère de la Santé a décidé de placer les patients dont l’âge varie entre 50 et 55 ans et dont la vie n’est plus en danger dans les cités universitaires et les maisons de jeunesse, mais toujours sous surveillance médicale.

La majorité des malades guérissent, le cas de cette femme de 70 ans en est la preuve. « Je suis encore en convalescence. C’est un virus qui fatigue énormément », explique cette femme âgée. « Hadja Neamat souffrait d’une insuffisance respiratoire qui s’est transformée en un syndrome de détresse respiratoire aiguë. L’aggravation a commencé à se produire entre le 8e et le 10e jour de la contamination », explique le chef du service des soins intensifs de l’hôpital Abou-Khalifa. Ce dernier donne encore quelques informations sur les cas les plus critiques : « Pour les cas les plus sévères, où les poumons ne fournissent plus assez d’oxygène aux organes vitaux, on a besoin de les mettre sous respirateur artificiel ».

Aujourd’hui, le cas de Hadja Neamat est maîtrisé, elle n’est plus au service de soins intensifs et a obtenu l’autorisation de quitter l’hôpital et poursuivre sa convalescence à la maison, mais en respectant quelques consignes : porter un masque, désinfecter les surfaces qu’elle touche et téléphoner à son médecin tous les jours pour lui donner de ses nouvelles, et ce, jusqu’à jeudi prochain.

« Les mots me manquent pour dire mon admiration aux médecins, infirmiers et infirmières qui se battent chaque jour pour sauver les vies », conclut cette femme .

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