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En première ligne face au corona

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 07 avril 2020

Depuis la flam­bée épidémique du Covid-19, une armée de médecins, d’in­firmiers et de soignants s’oc­cupe de patients infec­tés par le virus et tente de l’empêcher de proliférer. Les équipes médi­cales se retrou­vent ainsi sur le front d’une guerre qu’elles mènent avec bravoure. Témoignages.

En première ligne face au corona

« Je suis désolé, je ne peux pas répondre à vos questions tout de suite, car je me suspecte moi-même d’être infecté par le Covid-19 et j’attends le résultat de mon test, que je dois recevoir demain ». Tel était le texte envoyé par Hossam Fathi, contacté pour une interview. Deux jours plus tard, le jeune médecin a téléphoné pour annoncer que le résultat du test était négatif et qu’il était prêt pour l’entre­tien. Il se trouve en ce moment à l’hôpi­tal d’Esna, en Haute-Egypte, inauguré en novembre dernier et qui fait partie des 50 établissements hospitaliers répartis sur tout le territoire égyptien où les patients atteints du Covid-19 sont mis en quarantaine.

Lui, comme les autres médecins et le personnel paramédical – infirmiers, soi­gnants et aides-soignants– sont en contact direct avec des personnes atteintes du Covid-19 et vivent donc dans la crainte permanente d’être infec­tés. « Depuis le début de cette crise sanitaire, une vingtaine de nos confrères ont été contaminés par le virus. Dernièrement, au gouvernorat d’Is­maïliya, l’un de nos confrères est mort, devenant le premier martyr égyptien dans cette guerre. Même en prenant toutes les précautions nécessaires, nous sommes les plus vulnérables », dit Hossam Fathi.

Le risque d’être contaminé constitue le grand danger auquel les membres de l’équipe médicale doivent faire face. En Egypte, comme dans tous les pays tou­chés par le coronavirus, ces derniers travaillent sans relâche depuis quelques mois, et ce, dans des conditions qui sont loin d’être faciles, soumis au stress et à une grande charge de travail. Ils sont devenus les héros de la lutte contre le coronavirus en cette période de crise qui frappe toute l’humanité.

Hossam n’a pas bougé de l’hôpital depuis le 15 mars, jour où il a accueilli le premier cas. Il a perdu la notion du temps. Il ne sait plus quel jour on est, ni même l’heure. « Ce n’est pas grave, l’important pour moi est de faire tout mon possible pour sauver des vies », dit Hossam, originaire du Caire et qui est venu à titre bénévole. Ses parents ne l’ont su qu’une semaine plus tard, alors qu’il avait déjà entamé sa mission de soins à l’hôpital d’Esna. Sa mère et son père lui ont demandé de revenir à la maison, mais il a réussi à les convaincre qu’il ne pouvait pas se soustraire à son devoir. Etre orthopédiste n’a pas empê­ché Hossam d’avoir un rôle, car le ministère de la Santé avait annoncé que les médecins de toutes les spécialités seraient convoqués. « Nous étions tous préparés, car quelle que soit la spécia­lité d’un médecin, après avoir terminé ses études à la faculté de médecine, il passe une année de pratique générale dans toutes les spécialités », explique Hossam.

Le jeune médecin ajoute que cette décision était nécessaire pour compen­ser le manque de médecins, surtout dans les services de soins intensifs. Dans l’hôpital où travaille Hossam et dans les autres réservés aux personnes placées en quarantaine, tous les blocs opératoires ont été transformés en Unités de Soins Intensifs (USI) et chaque groupe de médecins travaille sous la direction d’un urgentiste.

Sur le front

En cas de fièvre, de difficultés respi­ratoires, de toux sèche, d’insuffisance respiratoire chronique ou d’autres symptômes plus graves liés au Covid-19 comme la pneumonie, le patient doit passer un test PCR. Si le résultat est positif, il doit être transporté vers un des hôpitaux réservés à la quarantaine. Là, comme l’explique Hossam, les cas sont répartis sur deux niveaux, selon l’état des malades: soins intensifs ou soins modérés. Les médecins commen­cent par s’enquérir des antécédents médicaux de chaque patient, puis ils entament le traitement suivant le proto­cole indiqué par le ministère de la Santé, consistant à traiter le patient avec des antiviraux associés à certaines espèces d’antibiotiques, et ce, dans des cas bien précis. Le plus important est de renforcer le système immunitaire du malade et de lui remonter le moral, une chose très importante selon Hossam pour l’aider à se rétablir. Certaines per­sonnes ont besoin d’une modification du protocole en fonction de leurs anté­cédents médicaux et de leur état de santé général.

Afin d’éviter au maximum les contacts, toute l’équipe médicale de l’hôpital a la possibilité de se connecter, de s’organiser et d’échanger des infor­mations à travers la « télémédecine », un système informatique interne. Mais les médecins échangent aussi des infor­mations avec leurs confrères ailleurs en Egypte ou à l’étranger. « Si le traite­ment est basé sur un protocole précis, cela ne nous empêche pas d’échanger nos expériences avec d’autres méde­cins se trouvant dans différents hôpi­taux en Egypte, ainsi qu’avec des groupes scientifiques hautement spé­cialisés dans le monde. Par ailleurs, on suit attentivement toutes les études et recherches concernant le développe­ment de la maladie. On peut décider de changer de protocole dans certains cas bien précis, mais après avoir obtenu l’autorisation du ministère de la Santé », explique Hossam. Il ajoute que les malades sont soumis régulière­ment à plusieurs tests, à une prise de la température, une surveillance des voies respiratoires et des fonctions vitales.

Après quelques jours de traitement et après avoir passé des tests, certains cas deviennent négatifs. Les médecins les séparent alors des cas positifs. « Des agents pathogènes et le contact sont la cause de la contagion. Alors tout notre travail consiste à prendre les précau­tions sanitaires nécessaires pour que cela n’arrive pas », explique Elham Mohamad, spécialiste des maladies infectieuses. Cette dernière n’a pas attendu d’obtenir la permission de sa famille pour se mettre au travail. Elle n’a pas quitté l’hôpital d’Esna depuis 20 jours. Après avoir terminé 15 jours de travail d’affilée, elle était autorisée à prendre un congé, mais a décidé de continuer à travailler pendant deux autres semaines. « Nous sommes dans une période très critique; mon équipe et moi sommes chargées de protéger tout le personnel de l’hôpital de la contagion », dit Elham. Au début, elle a organisé des cours pour ensei­gner aux médecins, infirmiers, employés, techniciens et agents de sécurité comment se protéger et éviter la transmission du virus. Quant aux médecins et infir­miers, ils ne se déplacent pas sans leurs combinaisons de pro­tection, qui les couvrent de la tête aux pieds. Ils portent aussi des bottes, des gants, des masques et des lunettes de protection.

Une mission sacrée

Le stress, la fatigue et l’isole­ment sont autant de fardeaux qui pèsent sur les équipes de santé ou « l’armée blanche », comme on les surnomme. Elles sont appe­lées à faire des gardes de 12 heures et ont le droit de se reposer le même nombre d’heures, comme l’explique Mohamad Hamza, médecin qui travaille lui aussi à l’hôpital d’Esna depuis le 15 mars, date à laquelle il a reçu des étrangers et des Egyptiens infectés par le virus sur un bateau de croisière. « On peut travailler 24 heures sur 24 sans se rendre compte du temps qui passe. On oublie même de manger ou de dormir », dit Hamza. Il ajoute que tous les membres de l’équipe sont quasiment isolés de leurs familles depuis près de trois semaines et qu’ils arrivent difficilement à se libérer quelques minutes pour téléphoner à leurs familles pour prendre et donner des nouvelles. « La voix de mes parents et les prières qu’ils m’adressent par téléphone chaque jour me donnent la force de continuer », dit Hamza.

Il ajoute que dans cette période diffi­cile où ils tentent de combattre le virus mortel, ils essaient de sauver des vies et, en même temps, protéger la leur, tout en restant loin de leurs familles. Alors, ils se soutiennent mutuellement en se rappelant les uns les autres. « Chacun prend soin de l’autre et si l’un de nous montre des signes de fati­gue, on lui demande d’aller dormir », affirme Hamza. Et d’ajouter que les médecins se comportent de la même manière avec les infirmiers et aussi avec les patients, qui paniquent par­fois, car ils ont peur de mourir et se sentent seuls, loin de leurs familles. « On apporte un soutien moral à nos patients, on les booste et on téléphone à leurs proches pour les tranquilli­ser », ajoute-t-il.

Les infirmiers et infirmières jouent eux aussi un rôle crucial. Ce sont eux qui passent le plus de temps au contact des patients. « On donne à manger et à boire aux malades, on les accompagne aux toilettes et on les aide à se dou­cher, c’est pourquoi les infirmiers et infirmières ont peur de la contagion », explique Sabrine Gaber, infirmière au front depuis l’apparition du premier cas de Covid-19 en Egypte, au mois de février. Elle ajoute cependant que tous oublient cette peur en travaillant en équipe, car la volonté de servir un patient et l’aider à guérir passe avant tout. Elle souligne qu’il faut avoir une bonne capacité relationnelle avec les patients, très émotionnelle et parfois difficile à gérer. Il est également important de gagner leur confiance pour qu’ils suivent les directives.

Leur vie sociale est suspendue et ils font preuve d’un immense dévoue­ment. Tenter de passer cette période critique avec le moins de pertes pos­sibles, tel est l’objectif des membres des équipes de santé. « Certains cas sont sérieux et on ne pourra rentrer chez nous que lorsque cette crise sera passée. Et si on sacrifie notre santé et peut-être notre vie ici, c’est pour empêcher que cette situation ne se transforme en tsunami incontrôlable », dit Mohamad Hamza.

Il souligne que les équipes sont en mesure d’offrir un bon service médical pour le moment, car les cas de Covid-19 sont limités. Toutefois, si leur nombre venait à exploser, il devien­drait impossible de gérer la situation, car il n’y a suffisamment ni de personnel, ni de lits et d’équipe­ments. « Au début de la crise, il y avait une infirmière pour chaque malade et lorsque le nombre a augmenté, une infir­mière s’occupait de deux malades. Plus le nombre de malades augmentera, plus les soins accordés aux malades diminueront », dit Hamza en suppliant les citoyens de les aider en respectant les mesures de protection et en restant chez eux.

Reconnaissance pour le personnel médical

Le corps médical a fait un travail remarquable. Dans un article publié dans le journal Al-Masri Al-Youm, le journaliste Mohamad Ali estime que les médecins, les infirmiers et les chercheurs méritent qu’on leur témoigne notre gratitude pour les efforts qu’ils déploient chaque jour. Le président de la République a décidé cette semaine d’augmenter de 75% la prime réservée aux professions médicales, y compris pour les médecins travaillant dans les hôpitaux universitaires, ainsi que de verser des primes excep­tionnelles, financées par le fonds Tahya Masr, à tous les employés tra­vaillant actuellement dans les hôpitaux de quarantaine, les hôpitaux des mala­dies pulmonaires et infectieuses et les laboratoires centraux au niveau de la République. Un fonds réservé aux risques auxquels sont confrontés les membres des professions médicales sera également mis en place.

De nombreuses initiatives naissent chaque jour dans le but de remercier le corps médical, dont les membres se battent pour sauver la société du coro­navirus. Une photo de la pyramide illuminée en rouge, avec une phrase de remerciement adressée aux membres des équipes de santé, « Thank You To Those Keeping Us Safe » (merci à ceux qui nous gardent sains et saufs), domine actuellement les réseaux sociaux. « Je suis fier de mon statut de médecin et je trouve que toute la société apprécie notre travail, que l’on met en avant chaque jour dans les médias et sur les réseaux sociaux », dit Hossam, et c’est aussi l’avis de nombre de ses confrères. Ils ne s’interrogent pas sur la date à laquelle ils pourront rentrer chez eux. Ils attendront encore quelque temps avant de se jeter dans les bras des personnes qui leur sont chères .

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