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Ils iront jusqu’au bout !

Chahinaz Gheith, Dimanche, 21 juillet 2013

Les partisans de Morsi n’abdiquent pas. Réunis sur la place Rabea Al-Adawiya à Madinet Nasr, ils se disent prêts à défendre coûte que coûte la légitimité du président déchu dont ils réclament le retour. Reportage.

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Des milliers d'Egyptiens sont descendus à Rabea Al-Adawiya pour soutenir le président déchu et protester contre l'armée.(Photos : Mohamad Hassanein)

La place Rabea Al-Adawiya grouille de monde. Les haut-parleurs crépitent devant la mosquée de Rabea, au coeur du quartier de Madinet Nasr. Bien qu’il paraisse impossible que Morsi, encore aux arrêts, puisse retrouver son fauteuil au palais présidentiel, ses partisans ne veulent pas lâcher prise. Vingt jours se sont écoulés depuis l’éviction de Morsi, et ces derniers campent toujours aux abords de Rabea. Plusieurs cortèges de pro-Morsi partis de dix-huit mosquées du Caire à l’appel des Frères musulmans ont convergé vers ce faubourg, devenu en quelque sorte leur place Tahrir. Objectif : dénoncer ce qui est, d’après eux, un coup d’Etat militaire et faire revenir Morsi au pouvoir, symbole de la légitimité.

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Des fidèles prient et implorent le retour de Morsi.

Des barricades de briques et de bennes à ordures ont été dressées à l’entrée de la place. Des cordons de bénévoles, munis de casques et de matraques, filtrent soigneusement les entrées et vérifient les cartes d’identité des passants. Sous des bâches gigantesques déployées au-dessus des terre-pleins, des milliers d’hommes sont en train de dormir, d’autres lisent le Coran. A même le sol, devant les entrées des immeubles, les partisans de Morsi investissent les derniers centimètres carrés de la place Rabea, agaçant ainsi les habitants de ce faubourg. Dans les rues, on peut apercevoir de grandes banderoles « anti-coup » en anglais, « Al-Sissi le traître, Al-Sissi le chien. Dégage ! » sans oublier les t-shirts blancs marqués du slogan « Martyr potentiel », les bandeaux verts autour du front, sur lesquels est affiché « Morsi, président légitime », « A bas le régime militaire ! », ainsi que les cercueils placés par terre symbolisant les manifestants tués devant le siège de la garde républicaine.

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Sur une estrade, des jeunes scandent. « Nous obéissons à Dieu et à son prophète », « Le Coran est notre Constitution ! », « C’est Morsi le président ! », « Le peuple veut briser le coup d’Etat ».

Hassan Abdallah, agriculteur venu de la province de Daqahliya, a dressé une tente devant la mosquée de Rabea. Il affirme qu’il ne bougera pas tant que Morsi, dont il a accroché un portrait derrière lui, ne sera pas revenu au pouvoir. « Je suis là pour défendre ma religion et mon président Mohamad Morsi. Et je ne quitterai pas cet endroit, ou alors ce sera dans un cercueil. Regardez les millions de pro-Morsi. Nous sommes bien plus nombreux que les opposants au président. La vraie Egypte, c’est ici. Morsi c’est l’islam », s’exclame-t-il tout en assimilant « le coup d’Etat » à une guerre contre l’islam.

Dans la foule, des rumeurs enflammant les esprits circulent, comme celle sur l’interdiction de l’adhane (l’appel à la prière) à la mosquée d’Al-Azhar et la fermeture de cette dernière pour la première fois dans l’Histoire, afin d’empêcher les oulémas d’Al-Azhar soutenant la légitimité de rejoindre le sit-in de Rabea Al-Adawiya. « Rendez-vous compte, en plus de quarante ans, c’est la première fois que le concours du Coran, organisé chaque année pour célébrer Laïlat Al-Qadr, soit annulé », s’indigne Hassan Abdallah, tout en ajoutant : « Moubarak, au moins, avait certaines lignes rouges. Mais eux, ils se permettent tout ». Il est optimiste, car un cheikh avait annoncé sur la tribune de Rabea qu’il a eu une vision du prophète leur annonçant la victoire.

Où est passée ma voix ?

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Les partisans de Morsi rompent leur jeûne à l'heure de l'iftar.

Si certains voient dans le retour de Morsi une protection, voire une victoire de l’islam, d’autres pensent que l’affaire va plus loin qu’un simple soutien à la personne de Morsi. Il s’agit selon eux de défendre un principe, car Morsi a été élu dans le respect des règles et de la loi. Le fait de les changer en cours de route constitue un déni de démocratie. « Je ne suis pas un membre des Frères musulmans, mais je suis là pour défendre ma voix que j’ai donnée à Morsi. Je me suis rendu aux urnes plusieurs fois pour voter. J’ai voté aux élections législatives, présidentielles et lors du référendum sur la Constitution. Je resterai ici tant que Morsi ne sera pas revenu au pouvoir. N’est-ce pas la démocratie ? Respecter le choix de millions d’Egyptiens qui ont voté pour lui. Imaginons que l’on organise demain de nouvelles élections et que je me trouve de nouveau insatisfait de la perfor­mance du prochain président, cela me donnera-t-il le droit de réclamer son départ après un an ? Quelle procédure appliquera-t-on désormais contre l’anarchie totale si les règles de base de la démocratie ne sont pas respectées ? », martèle Mohamad Salah, étudiant à la faculté d’ingénie­rie. Il tient à rappeler que Morsi, accusé de dérive autoritaire, a été démocratiquement élu, ce qui fait de lui l’unique représentant légitime du pays. « Et non pas ce vieux juge choisi par les militaires. Les militaires nous ont volé la révolution. En quelques heures, ils ont arrêté Morsi, émis des mandats d’arrêt contre les Frères musulmans, fermé leur journal et leurs chaînes de télévision. C’est ça la liberté prônée par les révolutionnaires ? Moi, j’appelle ça un coup d’Etat avec un maquillage civil ! », grogne son camarade Karim Moustapha.

Un avis partagé par Dr Abdel-Hafiz Al-Sawi, professeur d’université, qui insiste sur le fait que « l’armée égyptienne n’est pas revenue dans le jeu politique, car elle ne l’a jamais quitté. Nous sommes dans le coup d’Etat et les manifestations du 30 juin n’étaient qu’une mise en scène ». Il ajoute que tout a été orchestré, des coupures d’électricité à la pénurie d’essence et de gaz en passant par l’insécurité dont souffrait le peuple. Bizarrement, toutes ces choses ont cessé après la destitution de Morsi.

« On voulait priver le peuple des services de base pour le pousser à agir. Prenez en considéra­tion que les ministres de l’Electricité, du Pétrole et de l’Intérieur n’ont pas été exclus du nouveau gouvernement. Ils ont été récompensés. Amnesty International s’est même étonnée de l’étrange atti­tude des forces de l’ordre égyptiennes pendant que Morsi était au pouvoir. Elles n’intervenaient pas dans certaines manifestations alors qu’elles étaient à proximité, laissant la violence empirer. Comment peut-on accepter que l’armée soit à la tête du pays ? Ils nous ont promis la liberté, et la première chose qu’ils ont faite c’est de fermer les chaînes de télévision islamistes et d’arrêter des centaines de Frères musulmans. C’est ça leur démocratie ? », ajoute Mahmoud, un ingénieur de 26 ans. Originaire de Zagazig, la ville natale de Morsi, il dit subir depuis quelques jours des menaces de la police et des services de sécurité. « Ils ont vu ma mère et lui ont dit que si je n’arrê­tais pas de soutenir Morsi, ils brûleraient notre maison. Ils s’étaient calmés depuis l’élection pré­sidentielle mais aujourd’hui, ils veulent se ven­ger », dit-il.

Les médias du mensonge

Il est déjà midi. Le jeûne dans une chaleur tor­ride, en ces jours du Ramadan, n’a pas dissuadé les partisans du président déchu de venir des divers gouvernorats pour rejoindre les marches et le sit-in à la place de Rabea Al-Adawiya. Des dizaines de milliers d’entre eux, essentiellement des Frères musulmans et des salafistes, mais aussi des Egyptiens se définissant comme « démocrates », s’y sont massés dès la fin de la matinée pour la prière hebdomadaire du vendredi. La plupart n’avaient d’autre choix que de s’asseoir sur le bitume brûlant, la tête protégée par un bout de carton. Les uns brandissent des drapeaux, chantent des hymnes patriotiques, scandent des slogans pro-Morsi, et les autres circulent entre les ven­deurs de jus de fruits et de drapeaux avant de se poster devant l’estrade. Et pour éviter de succom­ber à la chaleur étouffante de l’été, quelques jeunes arrosent la foule à l’aide de brumisateurs de fortune. « N’aie pas peur, nous sommes en train d’asperger les gens ici de pesticides pour la gale », dit Iman, une jeune fille voilée, tout en riant.

Professeur d’anglais, celle-ci vient chaque jour à Rabea avec son mari médecin pour soutenir les sit-inneurs. « Je vous supplie, n’écrivez que la vérité ! Nous en avons assez de ces médias du mensonge et de la haine qui ne cessent de déformer notre image », lance-t-elle en assurant que chaque jour apporte un nouveau mensonge. « Une fois, ils disent que nous souffrons de la gale et des maladies endémiques, une autre c’est le djihad sexuel et l’histoire des appartements ou des tentes qui se louent à Rabea, à 20 L.E. la demi-heure. Il y a aussi la chambre souterraine utilisée par Safouat Hégazi et les dirigeants des Frères musulmans pour torturer les gens et les forcer à rester sur place, après avoir confisqué leurs cartes d’identité. La belle affaire ! Le massacre de la garde républicaine. Ils disent que ce sont les Frères musulmans qui l’ont fait pour blanchir l’armée », explique Iman, tout en signalant qu’il ne faut pas aussi oublier la rumeur qui dit que les manifestants de Rabea sont venus seulement pour manger les veaux de Hazemoune distribués gratuitement. Et pour me prouver que c’est faux, elle me signale la tente de ces derniers avec leur slogan célèbre « Vivons dignement ». Une grande tente où les repas gratuits distribués ne sont que des fèves, du fromage et du pain.

Des discours enflammés

Soudain, une voix s’élève de la tribune : « Aujourd’hui, dans fachret al-akhbar (appellation ironique pour parler du bulletin d’informations mensongé diffusé par les médias), nous avons la fatwa du guide spirituel Mohamad Badie, qui nous a autorisé à ne pas jeûner pour investir notre énergie dans le djihad et pouvoir continuer notre mobilisation jusqu’au retour de la légitimité ». En effet, ces manifestants ne sont pas coupés du monde, la fermeture de leurs médias a été rapidement compensée par la diffusion, en direct, de leur rassemblement par des chaînes satellites arabes installées à l’étranger, comme Al-Qods, Al-Yarmouk, Al-Jazeera, etc. La mobilisation continue au même rythme. Les Frères musulmans ont même réussi à créer une nouvelle chaîne appelée Ahrar 25 (les libres du 25) pour que tout le monde — et les Egyptiens en premier — puisse suivre le rassemblement aux alentours de la mosquée Rabea Al-Adawiya. Quant à la tribune, les orateurs, différents prédicateurs et dirigeants des Frères musulmans, se succèdent quotidiennement pour encourager les manifestants à rester mobilisés. « C’est un combat de longue haleine. Nous avons devant nous deux vendredis encore qui devraient être un tournant », déclare Mohamad Al-Beltagui, l’un des leaders des Frères musulmans. En fait, ces dirigeants recherchés par la police sont installés à Rabea, protégés par une foule immense. Autrement dit, cet espace occupé par des dizaines de milliers de personnes devient une zone de protection pour ces leaders islamistes. « Je veux dire aux forces armées que ce coup d’Etat est une honte et une trahison, que le peuple égyptien n’acceptera jamais cela et que ce n’est pas à nous de dire qui doit gouverner l’Egypte, mais aux urnes. Al-Sissi, tu n’es qu’un traître. Nous avons péché par naïveté. Nous aurions dû éliminer tous nos ennemis dès le premier jour », a déclaré Safouat Hégazi.

Un silence quasi total s’installe lorsque l’imam, qui avait pris place sur un podium devant la mosquée Rabea Al-Adawiya, débute son prêche. Durant près d’une heure, il alterne menaces et appels au calme, capable dans une même phrase de prôner le dialogue avec « l’ennemi », sans jamais citer l’armée ou la police, et de promettre « la vengeance contre les oppresseurs ». « Dieu ! Sauvez-nous ou laissez-nous mourir en martyrs », a-t-il sangloté à la fin de son discours.

Convaincus, voire sûrs du retour de Morsi, les partisans de ce dernier refusent de quitter la place. Ils considèrent que ce « coup d’Etat » n’a pas eu lieu et ne sont pas prêts à faire des concessions, y compris la tenue d’une élection présidentielle anticipée sans le rétablissement de Mohamad Morsi. Une situation d’impasse absolue. « Nous allons poursuivre notre résistance. Nous sommes prêts à rester un mois, deux mois, un an et même deux », a déclaré Safouat Hégazi, devant les manifestants réunis devant la mosquée de Rabae Al-Adawiya. « Certaines femmes ont proposé d’emmener des fours pour cuisiner les kahks de l’Aïd », a-t-il dit, en référence à la fête du petit baïram .

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