«It is not a military coup, it’s Egyptians will … Obama & Patterson support terrorism in Egypt … Obama .. keep your hands away from Egypt ... We decide our future … ». Pendant leur récent soulèvement du 30 juin 2013, les manifestants égyptiens, défilant place Tahrir, berceau de leur toute première révolution du 25 janvier, et en face du palais présidentiel d’Al-Ittihadiya, brandissaient ce genre de pancartes écrites en anglais et scandaient des slogans contre Obama et l’ambassadrice américaine. Selon toute vraisemblance, les révoltés, plus que jamais déterminés à prendre leur destinée en main et à façonner leur avenir, ont solennellement désobéi à la voix de la Maison Blanche contestant leur rébellion et soutenant le régime des Frères musulmans en Egypte. Les manifestants sont allés au-delà de la contestation verbale et ont pointé des doigts les médias américains, notamment la chaîne américaine CNN, les accusant d’avoir assimilé leur mouvement massif de révolte, ayant entraîné l’éviction de Mohamad Morsi par l’armée, à un « coup d’Etat ».
En effet, dans la nuit du 4 au 5 juillet, les téléspectateurs voyaient fréquemment le mot « coup » défiler dans le bandeau d’informations en bas des écrans de télévision.
La couverture pro-Morsi de la chaîne, dans la soirée du 4 juillet, est sortie au monde entier avec une analyse amère de la situation. Pour étayer sa vision, la chaîne a eu recours à un allié du camp des pro-Morsi. Interviewé par la chaîne, Guéhad Al-Haddad, porte-parole des Frères musulmans, a estimé qu’il s’agissait d’un coup d’Etat militaire. Plus tard dans la soirée, Mohamed ElBaradei a tenté de démentir les propos de Haddad. Ce fervent opposant au régime de Moubarak, et dont la candidature au poste de premier ministre a été rejetée par les salafistes pour son « extrême laïcité », est actuellement l’adjoint de Adly Mansour, le président intérimaire. Dans une interview accordée à la même présentatrice, ElBaradei a déployé un effort colossal pour la convaincre que l’armée s’était soumise à la volonté populaire. « Nous n’avions pas le luxe d’organiser un référendum populaire. Il fallait choisir entre deux scénarios : basculer dans une guerre civile ou prendre des mesures exceptionnelles », lui a-t-il expliqué.
A Tahrir, plusieurs révolutionnaires ont brossé le portrait d’Obama et l’ont défiguré avec un grand X rouge. Les photos de l’ambassadrice américaine, Anne Patterson, accusée de « courtiser » les Frères musulmans, ont été hissées aux côtés de celles du président Morsi, dont le portrait était également défiguré avec de grands X rouges. « Ces slogans scandés dans toutes les places d’Egypte étaient un message direct adressé dans la langue maternelle d’Obama pour dire au président américain que le peuple égyptien est vigilant, qu’il comprend bien les jeux des coulisses, et qu’il refuse le manque d’objectivité des médias américains », lance un jeune manifestant.
D’ailleurs, une certitude était ancrée dans la conscience collective des Egyptiens dans ce tumulte que l’Egypte a vécu ces dernières semaines, à savoir la mauvaise posture dans laquelle se trouvait la première puissance mondiale, à savoir les Etats-Unis.
Des manifestants accusant CNN et BBC de soutenir
les islamistes.
En effet, CNN et BBC ont préféré faire leur couverture en direct à partir de la place Rabea Al-Adawiya, lieu de rassemblement des pro-Morsi, où des dizaines de milliers de militants, entre autres le guide suprême de la confrérie, Dr Mohamad Badie, appelaient « au djihad (guerre sainte) contre les traîtres qui ont renversé Morsi ». S’adressant à la foule, Badie, non sans persistance, hurlait : « Nous occuperons les places jusqu’au retour du président Mohamad Morsi que nous porterons sur nos épaules ». Il a aussi appelé le peuple égyptien à descendre dans la rue pour soutenir « son président légitime ». Dénonçant le coup d’Etat militaire, Mohamad Badie a toutefois indiqué être prêt à s’entendre avec l’armée, une fois que Mohamad Morsi aura repris les commandes du pays.
« La couverture de CNN et BBC montre que ces deux chaînes sont politisées. Elles n’ont fait aucun effort pour montrer le point de vue de l’autre camp, formé de 33 millions de manifestants, selon le décompte de certains sites Internet, et qui campait dans toutes les places et rues d’Egypte revendiquant la destitution de Morsi », analyse Yasser Abdel-Aziz, expert en médias.
Plus encore, CNN ne s’est pas contentée de son reportage de la nuit du 4 juillet, mais d’autres titres ont commencé à résonner, surtout dans la journée du 8 juillet à 10h. « Plus de 40 personnes sont mortes lorsque l’armée a ouvert le feu sur les pro-Morsi ». Guéhad Al-Haddad a affirmé que des tirs ont été lancés au moment où des islamistes effectuaient leur prière devant un bâtiment de la garde républicaine. « Nous appelons tous les braves patriotes égyptiens à se joindre à nous dans un sit-in pour défendre notre pays des traîtres conspirateurs, auteurs du coup d’Etat militaire », a-t-il ajouté sur son compte Twitter. CNN a alors rapporté que les forces de sécurité égyptiennes ont ouvert le feu sur des partisans du président destitué, Mohamad Morsi, tôt lundi matin, tuant plus de 40 personnes.
Les médias français de la partie
Ces slogans représentent un message direct adressé dans la langue maternelle d'Obama.
Et ce n’est pas tout. Les médias français ont rejoint cette thèse adoptée par leurs homologues américains. Les journalistes de TF1 (chaîne de télévision généraliste nationale française, créée le 6 janvier 1975) ont manqué eux aussi de professionnalisme et n’ont pas pu garder leur neutralité. La journaliste, son cameraman et leur technicien ont choisi de tourner à partir d’un bureau situé à la rue Simon Beaulivar, à quelques mètres de la place Tahrir, épicentre des révolutions de 2011 et de 2013. Alors qu’ils s’apprêtaient à monter pour effectuer le montage, un manifestant en tenue noire démodée, un ouvrier dans une usine peut-être, les a poursuivis, bâton à la main : « Où allez-vous ? Il est interdit de monter. Aucune chaîne étrangère n’a le droit de filmer les manifestants sur la place. Eloignez-vous d’ici. Vous ne montrerez jamais ce rassemblement énorme de manifestants et vous ne parlerez que de ceux de Rabea ». Les journalistes ont alors sombré dans un long silence mêlé de honte. En fin de compte, les trois journalistes sont parvenus à monter au 7e étage de l’immeuble, dans un appartement appartenant à une personne barbue, membre des Frères musulmans, qui le loue en partie à ce genre de chaînes étrangères pour filmer en direct et faire le montage.
« CNN .. shame on you », « Ces chaînes veulent-elles faire de l’Egypte un nouvel Iraq ? Veulent-elles voir le spectre d’une autre Syrie se dessiner dans le monde arabe ? Nous ne sommes ni l’Iraq ni la Syrie. Au contraire, notre armée a été la seule institution à nous protéger pendant les deux révolutions, du 25 janvier 2011 et du 30 juin 2013 », parle avec anxiété Noha Ibrahim, employée, qui brandissait une pancarte hostile aux médias étrangers.
« Ils expriment seulement un seul point de vue et prennent le parti des Frères. C’est une orientation occidentale qui renforce le mouvement des Frères musulmans. Le lexique utilisé aurait dû être plus exact. Il fallait dire que le coup d’Etat était en réaction à une volonté très forte de citoyens voulant à tout prix démettre Morsi de ses fonctions de chef de l’Etat », s’exclame l’expert en médias Yasser Abdel-Aziz.
Des journalistes démissionnent
La démission de certains journalistes travaillant à la chaîne qatari Al-Jazeera est une preuve que la couverture médiatique de ces derniers jours était politisée. Plusieurs nouveaux collaborateurs du bureau d’Al-Jazeera Misr Mobasher, diffusée à partir de l’Egypte, ont décidé de quitter la chaîne ainsi que d’autres travaillant au siège principal à Doha. Ils voulaient se démarquer du ton et de la politique empruntés par celle-ci. Al-Jazeera est critiquée par une partie de l’opinion publique en Egypte comme dans d’autres pays du Printemps arabe, pour sa ligne éditoriale, jugée favorable aux islamistes. Le responsable de la chaîne a estimé que les démissionnaires, dont il n’a pas précisé le nombre, « n’ont pas pu s’adapter à la ligne éditoriale d’Al-Jazeera qui refuse de se soumettre aux pressions et qui poursuit sa couverture avec professionnalisme, abstraction faite du pouvoir en place ».
Ces slogans représentent un message direct adressé dans la langue maternelle d'Obama.
« Adopter une seule vision ou version des faits est un manque de professionnalisme. Il fallait mettre en avant les deux points de vue », s’indigne Racha, une manifestante.
Une autre chaîne, la BBC, a titré le 3 juillet, en gros caractères : « Morsi balayé par un coup d’Etat ». Plus tard dans la journée, l’un de ses conseillers décrivait les événements de la journée comme un coup d’Etat militaire. Pour consolider l’hypothèse du coup d’Etat, les journalistes de la BBC ont rapporté avoir constaté une présence accrue de l’armée avec des blindés dans les rues de la capitale. En réaction à la couverture étrangère, les chaînes égyptiennes privées ont été sous le choc.
Raison pour laquelle Amr Al-Kahki, présentateur à la chaîne Al-Nahar, s’est trouvé obligé de s’exprimer en anglais pendant une bonne quinzaine de minutes. Il expliquait la différence entre le coup d’Etat militaire et la révolte populaire, dans une tentative de persuader les téléspectateurs du vieux continent et de l’Oncle Sam que le mot juste est « révolte populaire » et non pas « coup d’Etat militaire », tout en expliquant en anglais la différence entre les deux. D’autres chaînes égyptiennes ont, au cours de leur couverture cette semaine, diffusé leurs bandeaux d’informations en anglais. « Nous adressons notre message aux Etats-Unis et aux médias occidentaux. Nous utilisons leur propre langue. C’est notre seul moyen pour faire passer le message du peuple », a dit Al-Kahki, en direct.
« Les chaînes étrangères se réfèrent aux définitions littérales des livres d’histoire, selon lesquelles un coup d’Etat signifie que l’armée destitue un président, en nomme un autre (civil), suspend la Constitution et prend le contrôle des différents organes de l’Etat. Surtout si ces actions sont entreprises en dehors de tout cadre constitutionnel ou légal », explique Yasser Abdel-Aziz.
A l’intérieur d’un hôtel modeste qui s’appelle Ismaïliya, situé en plein centre de la place Tahrir, au 8e étage, un grand nombre de reporters étrangers, de cameramen et de techniciens font acte de présence. Ils travaillent pour plusieurs chaînes francophones et anglophones : France 24, France 2, TV5 et d’autres. James filme dans un studio. Gallagher enregistre son film au grand balcon. Nicolas prépare son montage. Le reporter, travaillant pour France 2, s’est donné la peine de présenter les deux optiques, pro et anti-Morsi. Nicolas a réussi à brosser le portrait de deux Egyptiens des deux camps opposés. Il a interviewé un médecin pro-Morsi et une chef d’entreprise, qui s’avère être du camp détracteur du président destitué. Voici un extrait du reportage : « Ils ont le même âge, ils sont issus du même niveau social, ont obtenu une éducation similaire et pourtant, ils ont des opinions totalement différentes ». « Ils apportent des réponses divergentes aux mêmes questions. On donne les deux visions. On présente les faits », note Nicolas. Les journalistes sont nombreux. Trois campent en témoins sur la place Tahrir. Les trois autres se trouvent au quartier de Rabea Al-Adawiya, situé à Madinet Nasr, fief des pro-Morsi. Gallagher nous a montré le reportage en direct sur son ordinateur portable. Pour le médecin, Morsi est le premier président démocratiquement élu. Il fallait le laisser achever son mandat. Alors que la chef d’entreprise, aux cheveux blonds et qui s’exprime en un français correct et qui tient à l’autre version, donne avec amertume ce résumé de la situation : « Nous vivons un calvaire au quotidien en Egypte. Entre coupures fréquentes d’électricité, chômage, inflation croissante et pénuries d’essence … ».
Lien court: