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Et au milieu du désert, une forêt

Dina Bak, Mardi, 22 octobre 2019

Le « Sérapéum », planté dans les années 1990 dans le gouvernorat d’Ismaïliya, est la première forêt d’Egypte irriguée par les eaux usées partiellement traitées. Grâce aux efforts du personnel, les arbres ont bien poussé, contribuant notamment à protéger les cultures. Une véritable bouffée d’oxygène pour la région.

Et au milieu du désert, une forêt
(Photo : Mohamed Adel)

Des rangées d’arbres bordent de part et d’autre la route rocailleuse qui mène à la forêt, formant ainsi une ceinture verte. C’est à 90 km de la capitale Le Caire que se trouve la forêt « Sérapéum », qui porte le même nom que le village, situé dans le gouvernorat d’Ismaïliya. Sur 500 feddans, de nombreuses variétés d’arbres ont été plantées, dont certaines au départ absentes du sol égyptien, comme le cyprès, le jatropha, le jojoba, le pin, ainsi que des espèces locales, comme l’eucalyptus et l’acacia. Certains arbres, en plein coeur du désert, atteignent 50 m de haut.

Le Sérapéum a été la première forêt d’Egypte irriguée par de l’eau de drainage sanitaire. « Je travaille dans cette forêt depuis plus de 20 ans. Avant, c’était le désert total. La plantation d’une forêt est complètement différente de celle d’un terrain agricole. Faire quelques kilomètres à pied est normal pour se rendre à l’autre bout de la forêt, prendre soins des arbres, vérifier le système d’irrigation goutte-à-goutte et débarrasser le sol des mauvaises herbes pour permettre aux arbres de pousser rapidement. C’est une tâche laborieuse qui demande de longues heures de travail, de 8h jusqu'à 20h », explique Achraf, 47 ans, ouvrier. Au fil du temps, lui et son collègue Nour ont fini par faire partie de cette forêt. Leur patience, leur opiniâtreté et leur assiduité au travail ont fait qu’ils ont été engagés comme ouvriers permanents. Or, commencer une carrière en plein désert est un vrai défi. Le terrain était aride et hostile, et les deux hommes passaient la journée à travailler, tête nue, sous un soleil accablant, sans aucun arbre autour pour se mettre à l’abri. Un dur labeur pour eux. Aujourd’hui, ils se réjouissent. « La forêt a eu un impact positif non seulement sur l’environnement, mais aussi sur le climat. Aujourd’hui, ces grands arbres servent de brise-vent. Avant, les tempêtes de sable et la poussière nous obligeaient à faire des contrôles permanents pour voir si les supports servant à tenir droit les petits arbustes s’étaient pliés ou avaient dévié de leur place », explique Achraf. Cette forêt n’est pas la seule forêt d’Egypte.Il en existe 33, dont celles d’Hurghada, de Louqsor, d’Abou-Rawach, de la ville de Sadate, et d’autres dans plusieurs villes du pays.

La forêt de Sérapéum se caractérise par l’abondance des arbres et leurs différentes variétés, dont les espèces locales, qui attirent les regards des visiteurs. A l’entrée du bâtiment administratif est installée une maquette holographique avec le plan de la forêt ainsi que l’emplacement des variétés d’arbres qui y sont plantées et les bassins de traitement des eaux usées. Tout près se trouve aussi un laboratoire, que l’Université de Munich a équipé dans un but de recherche scientifique. Plus loin, des pépinières regroupent des plants d’arbres qui n’ont jamais été cultivés en Egypte. « Les premiers plants d’arbres ont été ramenés des pépinières du ministère de l’Agriculture situé dans la capitale. Notre mission était de les accommoder au climat en les exposant quelques jours sur des stands avant de les planter dans le sol sableux, bien arrosé d’eau, pour que les plants adhèrent au sol et ne meurent pas », explique Nour. Le système d’arrosage goutte-à-goutte a exigé l’installation d’un réseau d’irrigation composé de canaux principaux et secondaires ainsi que de valves qui bloquent automatiquement le système d’arrosage, une fois les arbres saturés d’eau. Après l’installation de ce réseau, qui couvre toute la forêt, les ouvriers ont marqué à la chaux les espaces nécessaires entre les arbres. « Un agencement respectueux des espaces nécessaires entre les arbres est plus que vital. Une distance de 3 m permet à chaque arbre de bien pousser, tandis que dans un verger, l’espace à respecter entre les arbres fruitiers est de 25 cm », explique Ragaeï Saafane, ex-directeur de la forêt.

Santé de la forêt, santé des travailleurs

Selon Saafane, les conditions climatiques jouent un rôle important dans la durabilité de cette forêt. « Prenons l’exemple de cet arbre, un eucalyptus citron, planté il y a 7 ans. Il a poussé quatre fois plus rapidement qu’il ne le ferait dans le climat tempéré d’un pays comme l’Allemagne », explique-t-il. Avoir du soleil toute l’année signifie une bonne photosynthèse. Il ajoute que ces arbres régulent les précipitations et les phénomènes de réverbérations des rayons du soleil sur le sol. Si les rayons du soleil tombent sur les arbres, la chaleur est mieux absorbée que sur un sol dégarni, où la réverbération est maximale.

Le Sérapéum étant une forêt irriguée par les eaux usées, il existe, du côté sud, 6 bassins d’assainissement avec un cycle de traitement binaire durant 15 jours. L’eau est d’abord débarrassée des déchets, de la saleté et des résidus organiques, puis elle est déversée dans une station où des moteurs munis de ventilateurs servent à y ramener l’oxygène. Ensuite, l’eau est acheminée vers d’autres bassins renfermant des algues qui éliminent les bactéries nuisibles. Enfin, l’eau est conduite dans les bassins qui servent à irriguer toute la forêt.

C’est Mamdouh Riyad, ex-directeur de l’administration centrale du reboisement au ministère de l’Agriculture, qui a proposé, dans les années 1990, l’idée de planter cette forêt et d’utiliser les eaux usées de la ville d’Ismaïliya, provenant du bassin de drainage situé à proximité. Un moyen de s’en débarrasser autrement qu’en la déversant dans le Canal de Suez ou dans les lacs, ce qui est nuisible pour la pisciculture. Selon Abdel-Ghani Al-Guindi, porte-parole du comité des études agricoles au Conseil suprême des universités, sur les 7 milliards de m3 d’eaux usées produites en Egypte chaque année, 2 milliards et demi à 3 milliards sont traitées partiellement et utilisées pour l’irrigation forestière au Sérapéum et ailleurs.

Et ce n’est pas tout. Il fallait aussi rationaliser la consommation de cette eau en utilisant un système d’irrigation goutte-à-goutte et éviter l’arrosage par submersion, pour ne pas contaminer les nappes souterraines, car il s’agit là d’eau partiellement traitée. En effet, si arroser une forêt produisant du bois avec des eaux pareilles ne pose aucun problème, les vergers et potagers avoisinants peuvent être souillés. Côté assistance, l’Organisme de drainage sanitaire veille à la maintenance de tous les équipements du réseau d’irrigation. « L’organisme nous envoie souvent des techniciens pour la maintenance des moteurs et des chimistes pour prélever des échantillons, afin d’analyser l’eau, dès son arrivée au bassin et après la filtration, pour vérifier le taux des minéraux et s’assurer que les composantes contenues dans l’eau d’irrigation sont conformes aux normes », souligne Ali Qénawi, directeur de la forêt.

Protéger les cultures

La santé des travailleurs est également prise en compte. « De temps en temps, un groupe médical vient nous faire des prélèvements sanguins pour s’assurer qu’on est en bonne santé et que la présence de cette eau traitée partiellement n’a pas affecté notre santé », indique Nour. Il ajoute que le personnel est appelé à suivre certaines consignes en manipulant les équipements d’arrosage. Et dans la forêt, chacun doit faire attention à ne pas tremper ses pieds dans l’eau. Une difficulté existe pourtant, celle de faire comprendre aux villageois que cette eau est non potable et nocive pour la santé des êtres humains et des animaux. « Les habitants des villages voisins, situés non loin de la forêt, amènent leur bétail pour brouter les mauvaises herbes, et ce, malgré l’interdiction de le faire. Malheureusement, combattre ces attitudes est difficile, car les gens ont des difficultés à comprendre les risques qu’ils encourent », rapporte Ali Qénawi.

La forêt a plusieurs avantages. Salem, un fermier qui possède 5 feddans dans un village voisin, déclare qu’elle protège ses légumes. Avant qu’elle n’existe, les tempêtes de sable détruisaient ses cultures et même ses oliviers donnaient des olives immangeables. Planter des arbres permet de fixer les dunes. Et ce n’est pas tout. Récemment, le ministère de l’Agriculture a fait abattre, pour la première fois, des arbres, conformément au cycle d’abattage du bois, qui varie entre 15 et 25 ans. Suite à une annonce dans un quotidien, les arbres sur une surface de 176 feddans du Sérapéum ont ainsi été coupés et vendus à 3 commerçants de bois d’Ismaïliya, de Guiza et d’Alexandrie. Ismaïl Al-Fayoumi, commerçant à Ismaïliya depuis 18 ans, a acheté, à lui seul, la production de 140 feddans. « Pour la première fois, je bénéficie de la production d’une forêt. Cette quantité m’a permis de recevoir plus de commandes des usines qui fabriquent des caisses en bois pour contenir les carrelages et les poissons fumés. D’autres ateliers en ont besoin dans le domaine de la papeterie ou pour fabriquer les tabliyas (sorte de tables rondes et basses que l’on trouve dans les maisons rurales, ndlr) et je vends aussi du bois pour les charbonneries », indique Al-Fayoumi. Ce commerçant comptait auparavant sur la production des fermes privées, qui ne possèdent toutefois pas d’aussi grandes quantités d’arbres qu’une forêt.

En fait, le bois produit en Egypte est utilisé pour fabriquer des emballages ou pour fournir l’industrie, mais il ne rentre pas dans la fabrication de meubles. « Les spécificités techniques et physiques des arbres ne conviennent pas à la fabrication de meubles, car il est difficile d’obtenir, avec ce bois, des diamètres de 5 à 10 m, mensuration nécessaire pour la fabrication de meubles de grandes dimensions », affirme Al-Guindi.

D’un autre côté, le coût d’importation du bois tendre (résineux) a atteint 1,4 milliard de dollars en 2018. L’Egypte importe 5 millions de m3 de bois par an. Plusieurs propositions sont en voie de discussion afin de profiter au maximum de ces forêts. « Il y a l’idée de remettre une partie de la forêt avec le droit d’usufruit à un investisseur pour bénéficier des revenus, qui serviront au développement de la forêt et à compléter le budget de l’Etat dans ce domaine », affirme Jihane Al-Menoufi, présidente du secteur du développement agricole auprès du ministère de l’Agriculture. Elle fait en outre référence à la nécessité d’exploiter les forêts pour le tourisme environnemental.

Selon Al-Guindi, il y a entre 11 000 et 13 000 feddans de forêts en Egypte. Un chiffre modeste par rapport à la superficie du pays, qui est d’un million de km2. « Il faut donner un élan aux accords internationaux, qui appellent à la nécessité de verser une somme de 10 dollars par feddan en guise de crédit carbone. Cette somme, bien que dérisoire, permet d’encourager les investisseurs, afin d’améliorer la production agricole et diminuer le taux des importations de bois », conclut Al-Guindi.

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