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Cuisiner, la recette gagnante des réfugiées

Manar Attiya, Dimanche, 20 octobre 2019

Le Centre des femmes africaines au Caire accueille des réfugiées de 23 pays. Intégration sociale et échanges culturels sont les objectifs des ateliers de cuisine africaine. Reportage.

Cuisiner,  la recette gagnante des réfugiées
(Photo : Mohamad Abdou)

Sur les tables, les couleurs et les saveurs des différentes spécialités africaines se mélangent. Il y a les plats à base de riz blanc, à la tomate, ceux rehaussés d’épices et de piment fait maison, d’autres à base de viande ou de crevettes, avec une pointe de gingembre doux. Sans oublier la mangue, le tama­rin, les multiples épices, etc. Les femmes, toujours les mains occupées à cuisiner, s’échangent les secrets des recettes traditionnelles de leurs pays.

Ce voyage culinaire a lieu au Centre des femmes africaines à Zamalek, au Caire. Unique en Egypte et même en Afrique, le lieu a ouvert ses portes en mai 2015. Cet organisme communau­taire féminin à but non lucratif accueille des femmes réfugiées et des Egyptiennes. « Notre mission est de faciliter l’intégration sociale des femmes africaines et d’améliorer leurs conditions de vie en Egypte », explique Dr Amna Fazâa, directrice du secteur d’entraînement et du développement humain.

C’est elle qui a eu l’idée d’ouvrir ce lieu unique et est en charge de la pro­grammation des activités, dont celle autour de l’art culinaire. « Il s’agit de les aider à sortir de l’isolement et les outiller, afin de favoriser leur autono­mie. Tisser des liens, vivre en harmonie, partager leurs difficultés, échanger leurs expériences et trouver des solu­tions à leurs problèmes », résume ainsi Dr Amna Fazâa, l’action menée au Centre des femmes africaines de Zamalek. Et pour cela, la cuisine, prin­cipale activité de ces femmes, est un excellent moyen de délier les langues et de mettre tout le monde à son aise.

Un mélange de cultures

Cuisiner, la recette gagnante des réfugiées
(Photo : Mohamad Abdou)

« Les ateliers culinaires constituent un véritable échange interculturel entre ces réfugiées », témoigne Yvette Touré, d’origine guinéenne. Chaque femme y prépare une spécialité culinaire de son pays. Selassie, d’origine ghanéenne, revisite une recette avec un mélange d’ingrédients provenant du Ghana. Elle crée des sauces avec une multitude d’épices inspirées de son enfance à Accra, la capitale du Ghana. « L’amour des épices fait partie intégrante du goût des Ghanéens. Je prépare des plats d’Afrique de l’Ouest et j’insiste sur le fait que tout le monde y goûte », explique-t-elle. Selassie célèbre l’héri­tage culinaire de son pays. Elle prépare ses recettes en s’inspirant de petits plats que préparait sa mère, comme le ban­kou, un plat à base de farine de manioc et de maïs bouilli, ou encore un ragoût à base de kontomire (taro), un tubercule répandu dans les régions tropicales, que l’on fait frire dans l’huile de palme. Selassie invente aussi de nouvelles recettes comme cette sauce à base de mangues et de piment Scotch Bonnet, un piment parfumé et très piquant, dont on se sert pour assaisonner la viande et que l’on sert avec des cacahuètes concassées provenant d’Afrique de l’Ouest.

Des plats sénégalo-maliens sont aussi concoctés, comme le mafé (sauce ara­chide), le célèbre thiéboudienne (riz au poisson sénégalais) ou le yassa (plat au poulet ou au poisson à base d’oignons avec de la moutarde et du citron). Des plats moins traditionnels qu’il n’y paraît, selon Alexandre, d’origine séné­galo-malienne: « Le thiéboudienne, le yassa et le mafé sont des plats urbains apparus il y a une cinquantaine d’an­nées au Sénégal qui se préparent avec du riz cuit façon risotto, mais à la vapeur et non mouillé comme à l’ita­lienne. Ils sont simples à réaliser ». En revanche, le nédolé camerounais (plat à base de feuilles vertes amères, cousin de l’amenvivé au Bénin, ou de l’aloma au Togo) demande plus de dextérité et de patience: 24 heures de préparation. « Aujourd’hui, grâce à notre cuisine, on peut donner une autre image de l’Afrique, c’est toute notre culture que l’on pourrait présenter en Egypte et faire découvrir aux Egyptiennes », note Fatéma, une Togolaise, avec enthou­siasme.

Sahar, chargée de la vie sociale au centre, prend note de toutes les idées proposées par les femmes africaines. « L’une de mes tâches est d’accompa­gner les bénévoles dans la mise en place des ateliers et des animations culinaires». Et d’ajouter: « Je fais en sorte de favoriser des liens sociaux entre les personnes de différentes cultures, et les encourager à participer aux différentes activités, surtout la cui­sine », résume cette dernière.

Socialisation, entraide et solidarité

Cuisiner, la recette gagnante des réfugiées
Le centre présente ses services à toutes les femmes africaines. (Photo : Mohamad Abdou)

Le Centre des femmes africaines accueille trois fois par semaine (samedi, lundi et dimanche) une centaine de femmes africaines venues de 23 pays dont le Soudan, le Soudan du Sud, le Tchad, l’Ethiopie, le Ghana, la Tanzanie, ou encore la Libye, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie. C’est un lieu de rencontre, de socialisation, d’entraide, de solidari­té et d’action pour toutes les femmes de diverses origines, à commencer par celles qui ont quitté leur pays malgré elles. C’est le cas des réfugiées souda­naises qui ont fui les affrontements entre le Mouvement de libération du peuple soudanais et les forces armées soudanaises dans les Etats du Nil bleu, du Sud-Kordofan et d’Abiye, ou la vio­lence à Darfour. Les femmes natives du Soudan du Sud sont depuis plusieurs décennies venues se réfugier en Egypte et considèrent que la situation dans leur pays n’est pas propice à leur retour, comme les réfugiées érythréennes qui ont demandé l’asile en raison de viola­tions des droits de l’homme.

Cuisiner, la recette gagnante des réfugiées
La mission est de faciliter l’intégration sociale des femmes africaines et d’améliorer leurs conditions de vie en Egypte. (Photo : Mohamad Abdou)

Au moment où quelques partici­pantes s’installent dans le parc du centre, une dizaine de bénévoles font le va-et-vient pour accueillir les femmes qui viennent d’arriver et pren­nent le temps d’écouter leurs pro­blèmes. Dans un autre coin du jardin très verdoyant, un groupe de femmes préparent le café africain traditionnel : Un arabica camerounais au goût d’amande, un robusta gabonais issu de plantations. Le robusta togolais est aux arômes floraux par exemple. Certainement, chaque café a un goût particulier et chaque pays a une manière de préparer le sien.

Izina, femme burundaise de la ville de Yandara, explique que l’altitude joue un rôle au Burundi: complexité aroma­tique intense avec des arômes de pomme verte et de chocolat. Quant à Kalima, femme rwandaise de 42 ans, elle explique que le Rwanda produit princi­palement du café arabica avec un carac­tère très vif. Les cafés rwandais sont majoritairement connus pour leurs arômes de pamplemousse, d’abricot et de cannelle à la fois. Pendant que quelques femmes goûtent aux différents cafés, d’autres femmes assistent à un séminaire important sur le café tradi­tionnel du continent africain.

« Au Rwanda, les caféiers sont plan­tés à plus de 1700 mètres d’altitude, surtout lorsqu’il s’agit du bourbon rouge, un café d’exception, très fort à la fois complexe et savoureux en tasse », explique avec précision Sara, 40 ans, originaire de la ville d’Adama, au centre de l’Ethiopie. La préparation commence par faire griller les grains verts à l’inté­rieur de la pièce, jusqu’à ce qu’ils com­mencent à brunir et deviennent extrême­ment parfumés. La fumée remplit la pièce d’une odeur de café agréable. Une fois les grains de café torréfiés, ils sont broyés à la main au mortier et au pilon. Le café est ensuite versé dans un réci­pient spécial contenant de l’eau bouillie et laissé quelques minutes sur une flamme nue jusqu’à ce qu’il bouille. « On ajoute au café du sucre et parfois du sel ou du beurre traditionnel. Pour nous, les Ethiopiens, le café n’est pas seulement une boisson délicieusement savoureuse, c’est un ingrédient essentiel de la culture éthiopienne », dit-elle avec beaucoup de fierté.

Etre une femme en Afrique, c’est avant tout être une bonne cuisinière. « C’est savoir préparer tous nos plats d’Afrique, ces petits plats qui donnent le sourire à nos hommes », conclut l’une des femmes .

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