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Le rêve du bonheur en ligne

Chahinaz Gheith, Mardi, 24 septembre 2019

Applications, sites de rencontres, pages Facebook ... Beaucoup de célibataires en quête d'amour cherchent désormais l'âme soeur sur le Web. Un nouveau mode virtuel qui porte parfois ses fruits, mais qui comporte aussi des risques. Focus sur les nouvelles pratiques matrimoniales.

Le rêve du bonheur en ligne
Les réseaux sociaux sont devenus des terrains fertiles pour les rencontres amoureuses.

« Se marier par Internet ? Mais c’est la fin du monde ! », s’ex­clame une septuagénaire, répon­dant à sa petite-fille qui s’extasiait en lui racontant comment ses amies ont trouvé l’âme soeur sur le Web. La mémé n’en revient pas. Il y a 50 ans, son mari était venu demander sa main sans même l’avoir rencontrée. Depuis, les choses ont bien changé ... Aujourd’hui, c’est face à un écran que les couples se découvrent et se forment. Si, pendant longtemps, les gens se sont mariés en obéissant aux traditions, certains privilégient désormais l’épanouis­sement personnel et les expériences rela­tionnelles. Des relations virtuelles qui commencent souvent par des liens ami­caux qui se tissent par les échanges de mails ou des chats. Dans la vie quoti­dienne, on se rencontre puis on apprend à se connaître. Avec Internet, on apprend à se connaître puis on se rencontre, disent les adeptes du virtuel, arguant que cela peut tout à fait marcher.

C’est le cas du couple Ahmad et Menna, qui s’est formé grâce à une plateforme de blogs, cette nouvelle tendance de la com­munication virtuelle. Ahmad a été séduit par ce qu’écrivait Menna sur son blog, ses élans romantiques, sa finesse d’analyse. Sans trop hésiter, il l’a contactée par e-mail et a demandé de la voir. « Je voulais sim­plement connaître cette personne qui m’intri­guait. Je n’avais pas en tête l’idée d’une aven­ture amoureuse », assure-t-il, tout en ajoutant que tout a changé après la première entrevue : trois semaines plus tard, ils décident de convoler en justes noces. Et comme chacun avait besoin de connaître encore l’autre, ils se sont lâchés sur le clavier, ont sympathisé et discuté de tout et de rien. Ahmad confie que la période de connais­sance a été marquée par des échanges d’e-mails intensifs, d’environ 50 par jour entre eux, une connexion 24 heures sur 24, par messagerie instantanée et Webcam. Avec le temps et l’habi­tude, les liens se sont installés et les affinités se sont tissées à l’image des discussions conven­tionnelles tout en faisant preuve d’humour et d’esprit. « C’est finalement cette franchise qui nous a accrochés. Sur Internet, il n’y a pas de censure, les frontières n’existent pas, nous ne sommes pas gênés par une présence inoppor­tune. Ainsi, nous avons agi sciemment comme si nous avions remplacé les lieux de rencontres traditionnels par des contacts via le cybers­pace », confie Menna.

Trouver l’âme soeur juste par un clic ? Pas si évident donc. Selon l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), l’Egypte compte plus de 13 mil­lions de célibataires ayant dépassé l’âge de 35 ans, ce qui constitue une véritable bombe à retar­dement. Et bien qu’il n’existe, jusqu’à présent, aucune statistique des mariages par Internet en Egypte, il semble que le nombre des personnes qui ont trouvé l’âme soeur grâce au clavier de leur ordinateur est en recrudescence. En effet, l’Internet a complètement révolutionné les canaux classiques. Marieuse traditionnelle, mariage de salons, rencontres dans les cafés, chez des amis ou dans les lieux de travail n’ont plus la cote. La mode est maintenant aux ren­contres en ligne. Il semble que les anciens espaces de rencontre sont aujourd’hui dépassés par l’évolution technologique, qui a imposé les rencontres virtuelles, où les internautes se « sky­pent » (en référence au logiciel de téléphonie gratuite sur Internet) pendant des heures, tchat­tent par Webcam et s’envoient leurs podcasts respectifs. D’après la CAPMAS, près de 15 millions d’Egyptiens explorent chaque jour les sites de rencontres sur Internet, espérant trouver l’âme soeur.

Une société en mutation

Il existe désormais de nombreuses pages sur Facebook et Twitter ainsi que des sites qui proposent leurs services aux personnes des deux sexes, celles qui sont à la recherche de l’âme soeur ou même qui veulent prendre une deuxième épouse. « Jeune femme, 34 ans, charmante, intelligente et cultivée, cherche jeune homme en vue du mariage. Pas sérieux, s’abstenir ». Cette petite annonce, dite de rencontre, revient sans cesse sur les sites spéciali­sés de mariage. Pour ren­contrer quelqu’un, c’est simple, comme pour vendre un appartement ou acheter une voiture, passer une annonce est entré dans les moeurs. Les jeunes qui ont épuisé les méthodes clas­siques (entourage, famille, collègues, etc.), pour trouver leur douce moitié, n’hésitent pas à la chercher de façon plus pointue : un éven­tail d’outils (sélection par profil sociodémogra­phique et intérêts communs, des tests de com­patibilité …) offerts par les sites de rencontres en ligne, permettant de faire une présélection plus rationnelle et moins impulsive. Parmi ces sites on peut citer : Nefsi Atgawez sah (je vou­drais me marier comme il faut), visité par plus de 62 000 abonnés, Abir la marieuse (12 000 visiteurs), Look for Marry (25 000 visiteurs) et l’application Harmonica, qui a enregistré en un an et demi de sa création plus de 150 000 visiteurs. Entre désespoir, critères spécifiques sollicités et ce désir de mariage immédiat, les petites annonces amoureuses ne cessent d’af­fluer.

Dr Samia Khédr, sociologue à l’Université de Aïn-Chams, pense que l’arrivée de nouveaux moyens de communication, qui isolent les individus et le défaut de lieux appropriés au relationnel, les comportements ont évolué et les tabous sont tombés. De simple outil de communication, Internet est devenu un inter­médiaire efficace, un accélérateur de ren­contres qui a pris une place prépondérante dans la quête d’un partenaire. Sans oublier encore l’élévation de l’âge moyen du mariage (30-35 ans), la vie professionnelle très chargée qui ne laisse pas beaucoup de temps aux sorties, ainsi que l’augmentation du nombre de divorces (250 cas par jour) et la peur de la solitude, tout cela a contribué au succès des sites de ren­contres.

Chaïmaa Ali, membre de l’application élec­tronique intitulée Harmonica, pense que l’at­tractivité de ces genres de sites, surtout ceux qui sont gratuits, est une réponse à un réel besoin d’aller vers les autres, en brisant la soli­tude et en créant un lien social face à une société de plus en plus individualiste. Elle cite l’exemple de Harmonica comme étant une application basée sur l’approche psycholo­gique, voire un processus impliquant celui ou celle qui choisit d’effectuer un test de person­nalité. « Après avoir défini des critères de complémentarité, nous faisons une sélection de profils correspondants et nous mettons des personnes compatibles en contact. Et à elles de démarrer une correspondance, d’échanger des photos et de faire plus ample connaissance. L’avantage est de mieux cerner les personnali­tés au départ, et donc de perdre moins de temps dans les choix initiaux », explique-t-elle, tout en ajoutant que Harmonica essaye d’offrir le service le plus sûr et le plus complet pos­sible. Concernant la sécurité, l’équipe fait un gros travail de surveillance et de modération.

Déceptions, impostures et arnaques

Le rêve du bonheur en ligne

Mais la société égyptienne accepte-t-elle les relations construites sur Internet, qui parfois se terminent par la bague au doigt ? Dr Medhat Abdel-Hadi, conseiller des relations conjugales, pense que la toile n’offre pas de solution miracle. Tous ceux qui ont franchi le pas s’accordent à dire que le Net n’est qu’un outil, un simple moyen de communication pour approcher la personne désirée. Restent le contact direct, en chair et en os, et tout ce qui s’ensuit pour former un vrai couple. « Le virtuel renferme une dimen­sion de rêve qui risque de s’évaporer au contact de la réalité, si on reste à ce stade, on idéalise l’autre et l’on s’éloigne de la réalité », prévient-il, tout en assurant qu’Internet, en tant qu’espace échappant au contrôle de l’entourage, permet à beaucoup d’y mener une vie imaginaire, ou parallèle. Les contacts s’opèrent sur les sites, mais, très vite, ce sont des comptes Skype ou Facebook qui abritent les échanges, manières de tête-à-tête virtuels entre adultes consen­tants. Et d’ajouter : « En général, tous préfèrent ne pas annoncer devant la socié­té que leur mariage s’est fait via les réseaux sociaux pour éviter un jugement ou un regard négatif ».

De son côté, cheikh Seif Ragab, profes­seur à la faculté de charia et de droit, ne trouve aucun mal à s’unir via les réseaux sociaux, affirmant que l’utilisation de cette forme technologique dans le mariage est légitime tant que ce dernier est conforme à la loi islamique. Mais, plusieurs religieux rejettent catégoriquement ce genre de contact virtuel entre les deux sexes allant même jusqu’à diaboliser ses dangers qui ouvrent la porte au mal, au libertinage et laisse libre cours aux refoulements sexuels.

Lassée d’attendre le prince charmant qui tardait à se manifester, Norhane, 38 ans, commence à tchater pour dénicher l’âme soeur. Malheureusement, elle a vu ses espoirs s’envoler au fur et à mesure des réponses. « Les réseaux sociaux sont un circuit de drague. On n’est pas couvert par l’anonymat et nombreux sont ceux et celles qui jonglent entre un site et un autre, endossant des identités différentes. J’ai reçu près d’une centaine d’appels. Mais entre le dragueur impénitent, celui qui ne sait pas parler et celui qui demande à me rencontrer avant même de me connaître, j’ai eu ma dose », se plaint-elle. Et d'ajou­ter : « Ne jamais donner son numéro de téléphone ni son adresse. Et surtout ne pas envoyer de photo à celui qui, au premier contact, en ferait la demande ! Laissez plutôt du temps au temps ».

Quant aux parents, ils acceptent rare­ment cette méthode de rencontre, qui leur fait peur et qui, selon eux, présente de gros risques. Certains estiment que la liberté et l’anonymat qu’offre Internet sont parfois synonymes d’impostures. Pour les parents, sur Internet, nul ne connaît l’autre, il y a donc risque d’usurpations d’identités ou encore d’ar­naques. Des profils douteux, des messages ten­dancieux, des rendez-vous un peu trop entrepre­nants sont à redouter. « Diminuer son âge, ajouter quelques centimètres à sa taille et des galons à son activité professionnelle, truquer un cliché, se créer une identité sur mesure qui per­met de passer de femme à homme et vice-versa, dissimuler son statut … marié(e), etc. Quel que soit le site, la tricherie existe et la peur de tom­ber sur un maniaque est toujours présente. Mais dans la vraie vie, les menteurs sont toujours rattrapés par la réalité », souligne Abdallah, un père à la soixantaine qui conseille à son fils, pour un mariage long et heureux, de rencontrer sa conjointe sur son lieu de travail ou lors d’un rendez-vous organisé par des connaissances. Tareq Radwane, un homme d’une quarantaine d’années déjà marié et cherchant une deuxième épouse, dit avoir eu une mauvaise expérience en donnant ses coordonnées à un site Internet. « Ils tentent de tirer avantage des personnes qui les contactent, surtout s’il s’agit de gens mariés », reconnaît-il, tout en avouant avoir fini par se rabattre sur une marieuse traditionnelle. « Au moins, elle a l’avantage d’être discrète », réplique-t-il. Un avis partagé par Oum Sayed, une marieuse professionnelle qui voit que les sites électroniques affectent négativement son travail. Contactée, grâce au bouche-à-oreille, par les familles désireuses de marier leur fils ou leur fille, elle se rend chez elles, présentant la photo du candidat au mariage ou celle de la fille si elle consent pour lui trouver l’âme soeur. « Le mariage via Internet est voué à l’échec. Beaucoup de sites se situent à la limite de l’es­croquerie et certains s’apparentent même à de la prostitution organisée », conclut Oum Sayed, pour qui le virtuel ne peut pas détrôner le réel.

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