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55 ans de bonnes ondes

Dina Bakr, Mardi, 14 mai 2019

La station radio Al-Qorän Al-Karim fête cette année son 55e anniversaire. Première du genre en Egypte et dans le monde arabe, elle fait partie du quotidien des Egyptiens et est devenue, au fil des ans, une référence d’un islam modéré. Focus à l’occasion du Ramadan.

55 ans de bonnes ondes
Dr Ahmad Al-Qadi (au centre) animant le programme Courrier de l'islam.

Il est 7h, des versets cora­niques sont diffusés à la radio apportant une dose de piété et de ferveur dans les magasins, les moyens de transport et les foyers. Commencer sa journée en écoutant le Coran est une habitude chez les Egyptiens de confession musulmane. « En me rendant au travail en voi­ture, je mets la radio sur la station Al-Qorän Al-Karim. Quand mes filles m’accompagnent, elles veulent écouter de la musique, je leur demande d’abord d’écouter un peu de Coran, une bénédiction en début de journée », dit Omniya, une pro­fesseure de 40 ans. Elle ajoute que la station lui sert de repère. Chaque matin, son poste radio se déclenche automatiquement et les versets cora­niques lui servent de réveil matin. Cela lui apporte de la sérénité. Ceci la met aussi d’aplomb pour com­mencer sa journée de travail. Elle ajoute que, durant le mois du Ramadan, lorsqu’elle entend la voix du cheikh Mohamad Réfaat, cela veut dire que le moment de l’iftar est imminent. Et sans regarder sa montre, il suffit à Omniya d’en­tendre tel ou tel cheikh durant la journée pour savoir l’heure qu’il est.

C’était en 1964 que la station Al-Qorän Al-Karim a commencé à diffuser les 30 parties du livre sacré par radio. « L’idée de créer cette station radio est venue lorsque, à l’époque, une publication du Coran a été mise en vente dans les mar­chés, à prix abordable, mais renfer­mant des interprétations erronées de plusieurs versets du Coran. Ainsi, le Haut Conseil des affaires islamiques, en coopération avec le ministère de la Communication, ont adressé une demande à l’ancien président Gamal Abdel-Nasser pour consacrer une station pour la diffu­sion des versets coraniques avec des interprétations, afin d’éviter des contresens », raconte Hassan Soliman, ex-président de cette radio, précisant que des théologiens s’étaient alors réunis pour réaliser cet objectif.

Par la suite, au cours de la même année, la station a été inaugurée. Au début, elle diffusait des versets coraniques 14 heures par jour. Mahmoud Khalil Al-Hossari, Moustapha Ismaïl, Abdel-Basset Abdel-Samad, Mahmoud Ali Al-Banna et Mohamad Seddiq Al-Menchawi ont eu pour mission de réciter les 30 parties du Coran et ont été les premiers à psalmodier le Coran à la radio. L’Egypte est, en effet, réputée pour détenir les plus belles voix de récitateurs de Coran. Les radios de Nidaë Al-Islam à La Mecque, Al-Qorän Al-Karim en Syrie, celles des Emirats et de Bahreïn ont profité à leurs débuts des enregistrements vocaux des cheikhs égyptiens pour les diffuser par ondes. « Les voix de plusieurs récitateurs égyptiens sont devenues célèbres à travers le monde. L’un de leurs atouts est le dialecte égyptien qui est proche de la langue du Coran », souligne Adel Abdel-Qader, président par intérim de la station Al-Qorän Al-Karim.

Plus qu’une radio

Deux ans après son lancement, en 1966, l’administration a commencé à introduire des programmes tout en gardant la priorité à la diffusion du Coran. Actuellement, la station transmet sur onde moyenne 864 mégahertz, 24h sur 24. 79 % du temps de diffusion est consacré à la lecture du Coran et 21 % aux pro­grammes relatifs à l’interprétation du Coran de façon simple, tout en se basant sur les principes de l’islam. « Nos programmes sont inspirés du contenu du Coran. Notre objectif est que l’auditeur puisse avoir l’in­terprétation correcte des paroles divines et éviter toute fausse lecture ou sens erroné qui se sont propagés dans la société. Récemment, et pour plus de crédibilité, on invite des spécialistes en théologie qui trai­tent des sujets sur la citoyenneté et les devoirs envers la religion et la patrie pour renforcer l’unité natio­nale », précise Hassan Soliman.

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Dr Hagar Saadeddine.

Pour Samiha, une femme au foyer, c’est une vraie école. « En voiture, je branche toujours mon poste sur cette radio pour apprendre à réciter correctement le Coran. Car toute fausse lecture peut en changer le sens. Et quand je dois faire des courses, mon portable est toujours branché sur les ondes de cette radio », dit-elle.

Et ce n’est pas tout. La radio Al-Qorän Al-Karim réagit souvent aux événements, faisant face au terrorisme des Frères musulmans ou d’autres courants radicaux qui pré­tendent appliquer les préceptes de l’islam, alors qu’ils transgressent l’esprit modéré de la religion. Par exemple, Héwar Al-Aql (le dialogue raisonnable) est un programme qui aborde les sujets d’actualité ou d’autres mal interprétés et qui nui­sent à l’islam.

Plus généralement, différents sujets ayant trait à la vie et à la reli­gion sont posés par les auditeurs au cours des émissions d’interprétation du Coran. L’un des présentateurs, Ahmad Abdel-Zaher, explique que l’objectif premier est de transmettre les vrais préceptes de l’islam en se basant sur les règles du Livre sacré et la Sunna. « Par exemple, on explique à ceux qui disent que la femme musulmane est privée de ses droits puisqu’elle hérite de la moi­tié de la part de l’homme que c’est ainsi parce que la femme n’a aucune obligation financière. Par contre, il existe 18 cas où la femme hérite autant ou plus que l’homme. Le partage est fait selon les concepts d’obligation et non de discrimina­tion », souligne Abdel-Zaher.

Classique mais crédible

En revanche, il y a des auditeurs qui reprochent à la radio Al-Qorän Al-Karim l’absence des cheikhs cha­rismatiques qui animent des pro­grammes intéressants sur les chaînes satellites privées. Héba Mohamad, pharmacienne de 50 ans, estime que les thèmes et les discours trop clas­siques ne répondent pas à l’évolu­tion dont témoigne la société. Cependant, les responsables de cette antenne voient les choses autrement. « On invite uniquement les cheikhs qui ont poursuivi leurs études dans les universités islamiques, afin de donner plus de crédibilité à toute information religieuse et enrayer toute opportunité aux islamistes de propager dans la société leurs idées obscurantistes qui se basent sur des hadiths qui n’ont pas été accrédi­tés », déclare Sabet Noureddine, présentateur du programme Al-Dine moamala (la religion est un compor­tement). Ce programme a été parmi les premiers d’Al-Qorän Al-Karim dont Ezzat Harak fut le premier pré­sentateur. Il vise à instruire le musulman selon une approche d’éthique humaine. Ce titre a été utilisé dans plusieurs programmes religieux à la télé. En fait, Al-Qorän Al-Karim a précédé les chaînes satellites dans la transmission en direct des prières vers d’autres pays. « En 2000, nous avons fêté en Egypte les 14 siècles de l’islam en transmettant les prières des tarawihs tous les 3 jours dans différentes mosquées, à l’exemple de Amr Ibn Al-Ass en Egypte, Zaitouna en Tunisie, Mohamad Al-Khamès au Maroc, Abdallah en Jordanie, Rachédiya aux Emirats et Al-Isteqlal à Jakarta, et les dix derniers jours du Ramadan aux mosquées de La Mecque et Médine », relate Hagar Saadeddine, ex-présidente d’Al-Qorän Al-Karim. Elle est fière de cette période et ajoute que la radio a été la première à aborder fiqh Al-Marä (juriprudence religieuse de la femme).

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Dr Hassan Soliman.

Al-Qorän Al-Karim a introduit aussi la prière diffusée par cheikh Mohamad Métwalli Al-Chaarawi. « Les autres radios prétendaient que sa voix était trop rauque, mais mes collègues et moi avons senti dans sa voix la foi qui l’habite. Un peu plus tard, des radios et chaînes de télé ont fini par nous imiter et le présenter régulièrement sur leurs antennes », souligne Hagar.

Selon l’administration des recherches de l’Organisation natio­nale des médias, Al-Qorän Al-Karim est la radio qui bénéficie de la plus large audience, soit 92 %. Et si cette radio conserve ce taux important d’audience, c’est parce qu’elle a su se renouveler tout en respectant les préceptes de l’islam.

Quelques hauts responsables ont laissé leurs empreintes tels que le défunt Mohamad Al-Chennawi, troisième président de la station, qui a apporté du nouveau aux pro­grammes. Il a introduit les feuille­tons sans recourir à la musique. Al-Chennawi a utilisé les gazouille­ments d’oiseaux et des ibtéhalat (hymnes religieux) pour compenser l’absence de la musique. Aucun instrument de musique n’est enten­du dans cette radio. « Celui qui veut écouter Al-Qorän Al-Karim ne cherche pas la musique. Il faut écouter le Coran attentivement pour s’imprégner des paroles divines et retrouver la paix spiri­tuelle », décrit Soliman.

Aujourd’hui, l’évolution de la technologie a permis à cette station d’être suivie à travers le monde grâce au satellite qui permet d’émettre des ondes sur télé. « On écoute la radio Al-Qorän Al-Karim durant les jours fériés. Et même si nous nous sommes intégrés dans la société occidentale, nous avons conservé notre foi en tant que musulmans », conclut Elham, qui habite au Canada.

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