« Les conductrices roulant sur l’autoroute sont devenues les proies des malfaiteurs. Les cas de viol et d’enlèvement pour trafic d’organes se sont multipliés ». « Une nouvelle drogue, portant le nom de Strawberry quic, circule dans les cours d’école. En forme de bonbon, elle sent la fraise et les élèves qui y ont goûté ne peuvent plus s’en passer et se retrouvent à l’hôpital dans un piteux état ». « Une étudiante de l’Université d’Assiout disparue retrouvée morte et violée ». Ce genre de rumeurs circule et se répand à grande vitesse sur les réseaux sociaux. Et le tour est joué, ceux qui montent au créneau et relaient sans vérifier l’authenticité des informations ne manquent pas. La rumeur provoque un tollé. Le bouche-à-oreille fonctionne, boosté par la nouvelle technologie. WhatsApp, SMS et Internet via les blogs et les réseaux sociaux ont largement contribué à amplifier son impact. La blogosphère a trouvé du grain à moudre.
L’info sur l’étudiante d’Assiout ne cesse de faire des remous, avec des manifestations d’étudiants et des groupes de mobilisation sur Facebook pour pleurer la victime imaginaire. Et la liste est infinie. Des textes similaires circulent sur une grande échelle, des messages sur Facebook et des réactions qui provoquent un état de panique dans la société. Résultat : angoisse, état de vigilance et pression pèsent au quotidien.
Infondées, non vérifiées, voire truquées, les fausses informations ou fake news déclenchent certes des clics, mais aussi des polémiques desservant l’information sous couvert de manipulation. Transmises la plupart du temps par un organisme, un individu ou un site, les rumeurs s’épanouissent grâce aux nouvelles technologies médiatiques où les réseaux sociaux jouent les caisses de résonance. En effet, les commérages, les on-dit et les bruits qui courent ont toujours existé, mais depuis l’avènement des réseaux sociaux qui permettent une propagation éclair, les rumeurs et autres fausses informations sont de plus en plus nombreuses et donnent lieu parfois à des drames. C’est une machine infernale. Citons, à titre d’exemple, cette rumeur qui s’est propagée en 2016 à Minya au sujet d’une liaison entre un chrétien et une musulmane. Du coup, une horde de 300 hommes, de confession musulmane, n’a pas hésité à incendier 7 maisons de chrétiens.
Des centaines de rumeurs tous les jours
Comment réagir ? Se taire ? Nier ? Diffuser des démentis dans la presse ? Retourner le buzz à son avantage ? Parfois, ces réactions n’ont pas les effets escomptés et aggravent la situation. Autrement dit, la rumeur prend de l’ampleur, tout comme le potentiel énorme des déséquilibres qu’elle génère, notamment sur le plan social. Au niveau des rumeurs touchant la politique du pays, l’objectif est de semer les troubles et la panique au sein de la société. Raison pour laquelle le président Abdel-Fattah Al-Sissi a parlé en juillet dernier — lors de la cérémonie de remise de diplômes dans une école militaire — du fait que l’Etat a été exposé à plus de 21 000 rumeurs en trois mois, soit 233 rumeurs par jour. Toutefois, selon une étude faite par le député Ahmad Badawi, du comité de la communication, ce chiffre a bondi à plus de 53 000 rumeurs en deux mois concernant des nouvelles sur la hausse des prix ainsi que des décisions non prises par le gouvernement. Le député a aussi déclaré la présence de 3 000 sites électroniques qui publient des mensonges et de fausses informations contre l’Egypte. A noter que les secteurs les plus ciblés par les rumeurs sont surtout l’approvisionnement, l’enseignement, l’économie, la santé et l’assurance sociale. Quelques rumeurs ont ciblé la faisabilité et l’utilité des projets créés par l’Etat, dans le but de les discréditer et minimiser leurs effets. A titre d’exemple, la consécration d’une somme de 140 milliards de L.E. réservée par l’Etat aux projets de drainage dans la Nouvelle Capitale administrative. L’entreprise responsable de la Nouvelle Capitale a, par conséquent, transmis un communiqué officiel révélant que cette somme était plutôt attribuée à tous les services, y compris les réseaux d’eau, le drainage, les routes, l’infrastructure intelligente, les installations publiques et les autres services.
Les réseaux sociaux,
de vraies caisses de résonance
Les sources officielles ont également contredit de nombreuses rumeurs ayant touché au secteur des antiquités, lorsque l’on a fait circuler une information erronée autour de la disposition du ministère des Antiquités à vendre toute la zone des pyramides à un pays arabe contre une importante somme d’argent. Il y a eu aussi la rumeur concernant l’obtention de la nationalité égyptienne contre une somme de 7 millions de L.E., qui a été catégoriquement démentie. Sans oublier la rumeur de la fermeture des kouttabs (écoles coraniques), et à laquelle le ministre des Waqfs a répondu négativement, puisque le nombre des kouttabs a plutôt augmenté au cours des quatre dernières années.
En fait, tous les secteurs ont été touchés de près ou de loin par les effets néfastes des rumeurs électroniques qui ne cessent de bruiter le Web ou les réseaux sociaux. Et le pauvre citoyen est devenu un poste récepteur qui propage et amplifie ce qu’il entend.
Selon Dr Howaïda Abdel-Fattah, professeure à la faculté de communication à l’Université du Caire, la rumeur est sans doute le plus vieux média du monde. Le mot rumeur vient du latin « rumor », qui signifie bruit vague, bruit qui court, nouvelle sans certitude garantie. « Dans beaucoup de cas, la rumeur renferme des informations qui ne sont pas fiables et sans aucune source. Au début, il y a un sms, qui circule de téléphone portable en téléphone portable. Reçu d’une personne de confiance, renvoyé à ceux qu’on connaît bien. Ou alors, c’est un post, sur Facebook, une image ou une vidéo qu’on fait suivre ou qu’on like », explique-t-elle.
A l’origine, la crise de confiance
Dr Abdel-Fattah pense que ce n’est pas le vrai ou le faux qui fait de l’information une rumeur, il y a tout de même des informations qui circulent qui sont vraies. Pourtant, la rumeur fonctionne par le bouche-à-oreille et se nourrit du manque d’information. En fait, quand les canaux officiels sont défaillants, les gens ont plus besoin de construire des informations pour pallier ce manque. Un avis partagé par la sociologue Nadia Radwane, qui déclare que les citoyens ont perdu toute confiance dans les institutions de l’Etat avec les dossiers de corruption qui s’ouvrent tous les jours, notamment avec la théorie du complot qui a trouvé une terre fertile. Selon elle, les rumeurs naissent souvent lors de situations de crise, lorsque les gens sont inquiets. C’est le résultat d’un manque de confiance dans la communication interne. Radwane cite l’exemple d’une entreprise où les salariés pensent que la direction leur ment. Il faut alors que le directeur avise la naissance des rumeurs en amont, en créant sa stratégie de communication sur le parler vrai en toutes circonstances. « La crédibilité, ça se prépare, ça se bâtit jour après jour. Il ne faut pas cacher les vérités difficiles au moment où elles arrivent. Il faut mettre en place régulièrement des espaces de discussions, afin de tuer dans l’oeuf d’éventuels commérages », affirme-t-elle.
Mohamad Mekkawi, expert en mass médias, estime que l’évolution des usages médiatiques est l’un des premiers facteurs de prolifération des fake news et que les acteurs les plus exposés à ces fausses nouvelles sont d’abord les personnalités politiques, puis les personnalités artistiques ou sportives. « Aujourd’hui, la puissance des médias dans la transmission de la rumeur est largement sous-évaluée par rapport aux réseaux sociaux, qui sont surtout des chambres d’écho, car la rumeur se fabrique ailleurs. D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, ce sont souvent des informations données par les médias qui sont partagées. Les gens disent plus souvent : j’ai lu ceci et je le poste », souligne-t-il. Selon lui, il y a presque autant de profils de « lanceurs de rumeurs » que de rumeurs. Ceux qui veulent rire, se moquer, des anti-fans qui pourraient annoncer la mort d’une personnalité connue, des gens qui veulent gagner en popularité, d’autres qui veulent nuire par exemple à une figure politique.
Le fameux « partager »
Mekkawi note cependant qu’il faut ne pas partager n’importe quoi avec n’importe qui. « Nous sommes totalement noyés par la massification de l’information, mais paradoxalement, nous utilisons Internet comme moyen de confirmation de l’information car, selon lui, il est toujours possible de trouver une source qui confortera nos préjugés. Souvenons-nous du mensonge sur les armes de destruction massive en Iraq, le public prête toujours une oreille plus attentive aux informations alternatives, décalées et plus généralement aux informations chocs et croustillantes », précise-t-il, tout en affirmant qu’en copiant collant des extraits de textes, de déclarations, de vidéos, en étant habile dans le montage et avec un peu de talent oratoire, n’importe qui peut asséner sa vérité sur Internet qui, si elle est relayée massivement, deviendra, au bout de la chaîne, une vérité. Chose qui permettrait d’expliquer la prolifération actuelle d’un ensemble de rumeurs et de théories conspiratrices.
Ainsi, nul n’est à l’abri d’une rumeur, qui est devenue virale et s’attaque aussi bien aux gouvernements, aux entreprises multinationales qu’aux individus, c’est une arme de désinformation particulièrement efficace. Citons l’exemple de Coca-Cola. D’après la rumeur, lire Coca-Cola à l’envers en arabe donnerait : non à Mohamad, non à La Mecque. Et ce, suite à la graphie singulière utilisée pour le logo du célèbre soda. Les responsables de Coca-Cola en Egypte s’en sont remis au mufti, la plus haute autorité religieuse du pays, pour faire taire la rumeur. Ce dernier a décrété que le Coca-Cola ne diffamait pas l’islam et que de toute façon, il manquait une lettre pour que l’affirmation soit exacte. Cette rumeur aurait pu être un obstacle à la vente de Coca-Cola en Egypte.
Ainsi, pour lutter contre la diffusion des fausses informations, WhatsApp a limité le partage de messages à 5 personnes au lieu de 20 auparavant. De son côté, l’Etat continue à déployer de grands efforts pour recenser les rumeurs et les nier, d’où la création d’un observatoire de rumeurs relevant de Dar Al-Iftaa. Le but étant notamment d’affronter les tentatives visant à déstabiliser l’Etat et semer le trouble et le chaos dans le pays. Quant au parlement égyptien, il a adopté une loi autorisant l’Etat à bloquer des comptes sur les réseaux sociaux et à poursuivre les auteurs des fausses informations. Ce nouveau texte de loi considère les blogs et les comptes de réseaux sociaux ayant plus de 5 000 abonnés comme des médias et, de ce fait, prévoit des sanctions en cas de publications de nouvelles incorrectes et subversives ou d’incitation à enfreindre la loi (un an de prison et une amende allant de 5 000 L.E. à 20 000 L.E.). Et ce n’est pas tout : un service informatif (Zagel) a été créé pour constituer un média parallèle, pour répliquer et pour faire publier la vérité. Cette initiative consiste à répondre aux rumeurs au fur et à mesure, tout en faisant appuyer les répliques par des déclarations émanant de sources officielles. « C’est une question délibérée et systématique qui nuit à l’Etat. Il est donc important de savoir comment réagir avec l’éclatement d’une rumeur et quelles sont les démarches à prendre pour combattre sa propagation », conclut Abdelmohsen Salama, PDG d'Al-Ahram.
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