« Comment se fait-il que les enfants soient aussi impolis ? De mon temps, nous n’aurions jamais osé parler ainsi à nos parents ! », « Comment faire avec mon enfant ? Il a seulement 8 ans et il ne veut plus aller à l’école ! Il passe son temps sur ses jeux vidéo. Il est devenu paresseux ! », « Mon garçon ne s’intéresse qu’aux filles et à sa musique qui nous casse les oreilles ! », « Ma fille de 16 ans ne sait même pas cuisiner ou faire le ménage ! Moi, à 10 ans, je faisais tout ». Voilà des exemples de plaintes exprimées par des mères lorsqu’elles parlent de leurs enfants. Ces mamans pensent que de nos jours, élever un enfant c’est compliqué, surtout dans une société changeante avec son lot de contradictions face à la modernité. Certaines mamans aimeraient reproduire la même éducation qu’elles ont reçue, pensant que ça marcherait mais le constat est là et sans appel : les enfants ne sont plus les mêmes et donc l’éducation de jadis ne peut fonctionner avec eux, tout en rappelant que les mères et les grands-mères ont parfois usé de la force et de la violence avec des punitions et châtiments corporels mais sans résultat.
Un exemple, celui de Dalia, 42 ans, qui dit avoir appliqué un système sévère pour éduquer ses enfants de 8 et 10 ans. « Pas de télévision sauf pour regarder des dessins animés, pas de films ni musique. Pas de dialogue et uniquement des ordres », dit-elle, tout en ajoutant que ce n’est pas parce que les temps changent qu’elle doit également changer la façon d’éduquer ses enfants. Son devoir de mère est de leur inculquer des valeurs tout en évitant de se laisser influencer par ce qui se passe autour d’elle.

Des parents élevés de manière rigoureuse ont du mal à gérer la liberté des adolescents.
Or, cette éducation stricte qui favorise ce modèle stéréotypé de l’enfant, qui obéit au doigt et à l’oeil et se soumet aux ordres de ses parents sans la moindre résistance, est décriée aujourd’hui par des mamans qui optent pour plus de liberté, plus de permissivité, et surtout pas de punition. Nadine, 37 ans, mère d’un garçon de 12 ans, a renoncé à la technique de la carotte et du bâton qui, selon elle, détruit l’estime de soi de l’enfant. Elle est déterminée à ne pas éduquer son enfant comme elle l’a été. « Je ne peux pas reproduire ce que j’ai connu dans mon enfance, ça ne semble pas être la bonne façon. Je ne veux pas crier, je ne veux pas frapper », dit-elle. Et d’ajouter : « Nous sommes loin de l’époque où l’on se levait de sa chaise lorsque le père rentrait à la maison ». Ainsi, Nadine n’a jamais eu recours aux punitions qui, selon elle, sont humiliantes et inefficaces sur le long terme. Elle a opté pour une éducation laxiste où tout est permis, les règles sont absentes comme les contraintes et les limites et l’enfant ne rencontre pas d’obstacles pour se structurer. Pour elle, châtiments corporels, mise au coin, privation de télévision ou des jeux vidéo n’aident pas effectivement à éduquer un enfant de manière saine et constructive. Résultat de cette « indulgence » : un enfant manipulateur, égoïste, impoli et plus tard un adulte pervers narcissique.
Se faire obéir, mission impossible ?

La réussite scolaire, une pression souvent exercée par les mères.
En effet, les mères d’aujourd’hui reconnaissent être trop stressées et souvent embarrassées face aux réactions de leur progéniture. Elles ont le sentiment de passer à côté de l’enfance et l’adolescence de leurs enfants. Bras de fer familiaux, difficulté à résoudre les problèmes, incompréhension, etc. les mères sont accusées de démissionner face à des enfants incontrôlables et irrespectueux des codes sociaux. Autrement dit, elles ont baissé les bras et ont tendance à hausser les épaules comme pour dire : « C’est comme ça avec les enfants d’aujourd’hui ». L’autorité et la patience parentales sont en train de s’estomper. Il y a comme un laisser-aller. « Range ta chambre », « Dépêche-toi » : pas facile de se faire obéir sans s’énerver. Yasmine, maman de deux adolescents, le confesse : « Peut-on vraiment éduquer sans crier ? J’ai tellement crié après mes deux enfants que je n’ai plus la force de le faire. J’essaye parfois de rester calme mais c’est plus fort que moi, ils ne m’écoutent pas, je suis obligée de tout répéter dix fois. Je ne sais plus quoi faire ». Et comme d’un point de vue pédagogique, elle veut éviter les punitions, l’équilibre n’est pas facile à trouver.
Selon les chiffres de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), 40 % de la population sont des enfants de moins de 18 ans. Cependant, certaines mères considèrent que le laxisme a pris une part trop importante dans l’éducation. Paradoxalement, ces mamans avouent que la principale difficulté rencontrée dans l’éducation est d’avoir agi de manière excessive par rapport à ce que la situation demandait. Malheureusement, tout est confus dans la tête des enfants et surtout les mères qui ne savent plus s’il faut revenir à l’éducation classique ou opter pour le nouveau modèle d’éducation où tout est permis pour l’enfant et où les limites n’existent pas. La sociologue Azza Korayem pense que si les enfants ne sont plus les mêmes, c’est parce que la société, l’environnement, l’école, le quotidien et nous également, tout cela a changé. « On n’élève pas un enfant tout seul, on l’élève dans une société, dans un quartier, dans un groupe d’humains avec lequel on partage des valeurs communes. La société n’étant plus vraiment celle de nos aïeux, la comparaison entre l’éducation d’antan et celle d’aujourd’hui n’a pas vraiment lieu d’être. Sans oublier que la nouvelle technologie (tablette, smartphone, jeux vidéo, Internet et réseaux sociaux, etc.) et la publicité ne cessent d’influencer les enfants et les ados dans leurs désirs de consommation. Conséquence : les mères ont le sentiment d’avoir perdu de l’autorité et ont du mal à dire non quand il le faut à leurs enfants. Du coup, elles n’ont plus de crédibilité face à une génération qui prétend tout savoir », explique-t-elle, tout en ajoutant que cette idée répandue selon laquelle « c’était mieux avant » ne date pas d’aujourd’hui. Au Ve siècle av. J.-C., le philosophe Socrate pestait déjà : « Les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, ils sont mal élevés, méprisent l’autorité et n’ont aucun respect pour leurs aînés ».
Décalage entre idéal et réalité

Il est temps de réenseigner les valeurs à l'école.
Autre défi, le décalage entre l’idéal que l’on tente d’inculquer et la réalité. Mary, mère au foyer, voit qu’éduquer un enfant est devenu difficile parce que ce qu’elle apprend à son garçon de 13 ans est tout à fait contradictoire avec les principes de réalité que la société de nos jours accepte et félicite. Une société qui considère la violence verbale, voire la grossièreté, comme un langage très familier. « Les valeurs que nos parents nous ont inculquées, telles que la bonté, la générosité et le pardon ne sont plus suffisantes pour qu’une personne de la nouvelle génération puisse réussir dans sa vie », dit-elle, en ajoutant que le monde extérieur donne lieu à une incongruité qui désoriente parfois son fils, surtout quand ses amis, qui sont de l’âge de la préadolescence, se moquent de lui parce qu’il est obéissant ou se soumet aux règles imposées par ses parents. Mary voit que pour bien éduquer son fils Daniel, elle doit souvent donner le bon exemple pour qu’il adopte un bon comportement à son tour. Pour le protéger des contenus inappropriés sur Internet, elle a d’abord activé le mode restreint sur son smartphone avant de le faire sur celui de son fils. « Ma mère mettait en pratique tout ce qu’elle disait, c’est ce que j’essaie de faire avec mon fils », souligne-t-elle, tout en citant un verset biblique qui dit : « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas ».
Parents et école, qui fait quoi aujourd’hui ?
Un avis partagé par Dr Nesrine Abdel-Ghani, professeure à la faculté de pédagogie à l’Université de Aïn-Chams, qui pense que la décadence des valeurs morales se manifeste clairement dans la société, surtout parmi les jeunes. Et cela est dû en premier lieu à l’absence du rôle des parents et celui de l’école, qui sont des facteurs primordiaux dans l’éducation de l’enfant. D’une part, le rôle des parents s’est limité à répondre aux besoins matériels de plus en plus excessifs. D’autre part, l’école, qui exerçait une influence sur l’enfant et transmettait les valeurs éthiques à la nouvelle génération, ne s’intéresse aujourd’hui qu’au niveau scolaire, évalué par des notes. « Quand j’étais élève, il y avait un cours que l’on appelait cours de vie, une rencontre hebdomadaire avec nos éducateurs durant laquelle nous apprenions les bonnes manières et les règles du savoir-vivre. Aujourd’hui, le professeur a perdu de son autorité et son statut, et c’est dû à plusieurs facteurs », dit-elle, en ajoutant que la montée du matérialisme est à l’origine de tant de maux dont souffre la société ; parents et professeurs cherchent à faire beaucoup d’argent, abandonnant ainsi leur vocation en tant qu’acteurs principaux dans l’éducation de cette génération. « Un partenariat famille-école est donc indispensable pour la restitution des valeurs morales, actuellement en déclin », affirme Dr Abdel-Ghani.
L’obsession du tout-contrôle

L’éducation d’aujourd’hui n’est plus de dominer son enfant ou le modeler, mais plutôt le responsabiliser.
Pour Amani, mère de deux garçons, 16 ans et 13 ans, les portables sont l’une des maladies répandues parmi cette génération. Contrôler les appels et les messageries est quasiment impossible, surtout avec son fils aîné. « Quand j’avais leur âge, le téléphone fixe était installé au salon et pas question que je fasse un appel sans l’autorisation de ma mère. Aujourd’hui, je n’ai pas le droit d’être à côté de mon fils lorsqu’il est en conversation téléphonique et je ne peux pas inspecter le contenu de son portable », regrette-t-elle. Et ce, bien qu’elle ne soit pas convaincue que surveiller son enfant pour le protéger est, selon cette génération, une transgression à la vie privée. Elle n’a aucun choix que d’accepter parfois cette situation à contrecoeur. « Pour le cadet, j’ai encore le droit de supprimer, par exemple, les jeux violents et limiter le temps d’utilisation de son portable, surtout durant l’année scolaire, mais il n’accepte rien sans discussion et il présente toujours des arguments souvent incontestables, ce qui est fatigant pour moi et encore si j’en sors gagnante », ajoute-t-elle. Amani considère qu’avec cette génération, l’éducation est devenue une mission compliquée, ce qui n’était pas le cas autrefois : « Je suis bien plus sévère que ma mère qui était à la fois douce et stricte, je n’arrive pas à être comme elle, elle avait une certaine magie, son regard mêlé de fermeté et de tendresse suffisait pour se faire obéir sans la moindre résistance ».
Khadija, une autre maman, âgée de 30 ans, voit que face à l’évolution et au changement de la société, le retour aux méthodes du passé n’est pas une solution. Pour elle, l’éducation stricte et laxiste sont toutes les deux néfastes pour la construction et l’estime de soi des enfants. Elle a opté pour l’éducation positive modérée, et c’est en ce sens que notre prophète nous assigne à la modération, « kheir al-omour awsatouha », c’est-à-dire le juste milieu. L’Education de l’enfant en islam est une éducation spirituelle, on lui apprend dès l’enfance et par le biais de l’accoutumance les préceptes de notre religion. Puis arrive l’étape de la discussion et du dialogue ; ainsi, un lien profond s’établit entre l’enfant et Dieu. L’imam Ali ibn Abi Talib a dit : « Joue avec ton enfant les sept premières années, éduque-le les sept années suivantes ; et fais-en un compagnon les sept années d’après », explique-t-elle.
Ainsi, au lieu de dicter à ses enfants leur conduite, Khadija préfère leur donner le goût de prendre part à des dialogues et à des décisions. Elle réagit aux erreurs de ses enfants avec plus de douceur et de compréhension. Selon elle, un enfant ne peut s’avancer qu’en commettant des erreurs et en ayant l’occasion de se corriger sans jugement ni culpabilisation, tout en étant sous l’autorité de ses parents qui, sans abus de pouvoir absolu, n’abandonnent pas l’enfant à lui-même. Ce qui lui procure l’expérience nécessaire à son adaptation et lui garantit son intégration dans la société. « Eduquer un enfant, ce n’est pas faire comme nos parents ou le contraire de ce que nous avons vécu. Eduquer un enfant, c’est se situer en tant qu’adulte sorti de l’emprise parentale », souligne-t-elle. Et de conclure : « Comme dit le prophète Mohamed (Paix et salut sur lui) : Un parent ne peut rien léguer de mieux à son enfant qu’une bonne éducation ».
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