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Réfugiés en Europe, le difficile chemin de l’intégration

Mohamad Al-Qazaz, Mardi, 05 février 2019

L’itinéraire des réfugiés en France, comme dans toute l’Europe, est un véritable parcours du combattant. Leur intégration dans les pays d’accueil est au centre d’un vif débat.

Réfugiés en Europe, le difficile chemin de l’intégration
Un réfugié syrien suivant des cours de français à l'Université de Haute Alsace.

Paris,

« J’habite dans une ville à une heure et demie de la banlieue parisienne, habitée en majorité par des Turcs et des Arabes. Mais il est difficile de trou­ver des centres d’apprentissage de la langue française, et les opportunités d’emploi sont limitées en comparai­son aux grandes villes », estime Farah Youssef, une réfugiée syrienne qui vit en France. Et d’ajouter : « De nombreux obs­tacles se dressent face aux réfugiés en France. D’ailleurs, le statut des Syriens est différent des autres réfugiés ». Farah parle d’une cer­taine discrimination en ce qui a trait à la couleur de la peau. « Les Français continuent de percevoir les personnes à la peau mate avec beaucoup de sensibilité ». Le cri de secours de Farah trouve un écho dans le milieu des réfugiés en France. En effet, la crise des réfu­giés constitue un lourd fardeau pour le vieux continent. Il y a eu environ 1,5 million de réfugiés dans les 4 dernières années, et bien que leur nombre ait considérablement baissé en 2018, les Européens sont hantés par le souvenir des attentats. Avec chaque nouvel incident, les dis­cours populistes gagnent en force ainsi que le rejet des réfugiés et la volonté de les exclure et d’adopter une politique plus intransigeante à leur égard. L’intégration des réfu­giés est devenue la nouvelle angoisse des gouvernements euro­péens, notamment en France. D’autant qu’il n’existe pas de poli­tiques d’intégration en tant que telle. Une fois leur statut formalisé, les réfugiés deviennent des laissés-pour-compte. Ils n’obtiennent ni cours pour améliorer leur niveau de langue, ni vraies opportunités de travail.

En France, il y a 80 000 demandes d’asile politique par an (depuis 2015) et 40 % des demandeurs obtiennent le statut de réfugié.

Ces chiffres alarment le gouver­nement français et l’ont amené à adopter un cadre législatif pour régulariser le statut des réfugiés. Face à ces chiffres, la France a besoin aujourd’hui d’un plan cor­rect pour intégrer les réfugiés.

Tentatives d’insertion sociale

Réfugiés en Europe, le difficile chemin de l’intégration
Le journaliste d'Al-Ahram avec un responsable de l'association Wintgret.

Depuis la crise des réfugiés en 2015 en Europe, différentes ONG et associations ont commencé à se préoccuper de l’intégration des réfugiés, dont le nombre a atteint un record historique. Les centres de réinsertion sociale coopèrent avec les gouvernements européens pour faciliter l’intégration de ces réfu­giés dans les pays hôtes. Les centres sont homologués en coopération avec les pays d’origine des réfugiés et ont pour objectif d’aider ces der­niers à s’intégrer d’une manière plus aisée dans leur environnement. L’une des organisations les plus célèbres en matière de réinsertion est Wintegret. S’exprimant sur sa mission, l’un de ses fondateurs et actuel vice-président, Imrek Genet, a déclaré : « Wintegret a vu le jour en septembre 2015, à l’heure où la crise des réfugiés en France avait atteint son apogée. Elle s’est fixé pour objectif d’apporter de l’aide à ce flux migratoire. Nous avons tenté de leur apprendre à mieux tirer profit de leurs capacités avant d’intégrer le monde profession­nel ».

Le programme d’apprentissage de la langue de cette ONG a une durée de trois mois en coopération avec les universités et les écoles françaises. Les réfugiés obtiennent des cours d’apprentissage de la lan­gue française et de réinsertion sociale. Le programme consacre 20 heures à l’apprentissage acadé­mique, entre 12 et 15 heures à la langue française et entre 2 et 3 heures à l’anglais. Les 5 heures qui restent portent sur la société fran­çaise, sa culture et ses traditions. Imrek estime que l’insertion sociale est une question de temps. L’apprentissage de la langue requiert deux ans, la formalisation du statut nécessite entre 6 mois et deux ans. Ce programme a pu régler l’obstacle majeur qui se pose aux réfugiés, à savoir celui de la langue.

Le programme aide également les réfugiés à trouver un emploi. Celui-ci accepte les personnes âgées entre 18 et 61 ans, et travaille également sur la promotion de l’idée de l’en­treprenariat. Les réfugiés sont alors initiés à leurs propres projets pour garantir des revenus stables et rai­sonnables.

« Le gouvernement français est parfaitement conscient de cette crise, et la ministre du Travail a effectué une visite au siège de notre organisation et a annoncé que 15 millions d’euros seraient alloués aux réfugiés et à la recherche d’em­plois pour eux », affirme un respon­sable de l’organisation.

En outre, une sorte de partenariat a été créée entre l’organisation et le secteur privé. D’ailleurs, un certain nombre d’entreprises privées et de banques sont parvenues à faire tra­vailler les réfugiés dans des postes vacants. Le gouvernement a pris une nouvelle mesure, celle d’exo­nérer les entreprises qui emploient les réfugiés des taxes. Une manière de faire d’eux de vrais acteurs dans la vie française, ce qui facilite par conséquent l’insertion sociale. Imrek estime, pour sa part, que le statut des réfugiés en France est l’un des défis du siècle qui persis­tera encore pendant des années. Il trouve qu’ils peuvent devenir une force motrice.

De nombreuses lacunes

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Dans un camp de réfugiés à Paris.

Or, d’aucuns estiment que ce sou­tien présenté aux réfugiés pour les aider à surmonter les obstacles de la langue et de la culture comporte des lacunes, sans compter le problème de l’emploi et du logement. « Pour les programmes d’apprentissage de la langue française, il n’existe pas de suivi et les résultats sont loin d’être satisfaisants. La plupart des enseignants ne sont pas qualifiés et le nombre d’heures d’apprentissage (200 heures) est insuffisant. Ajoutons à cela que certains réfugiés sont analphabètes, ce qui rend leur inté­gration difficile », explique Farah Youssef. Elle ajoute que le discours sur l’insertion sociale des réfugiés est un discours creux, car les méthodes empruntées ne sont pas scientifiquement correctes. Les études sur les réfugiés ne sont pas représentatives, car focalisées sur Paris et les banlieues, et non pas sur les autres régions. « On dirait que l’Etat n’évalue pas ses efforts en matière d’insertion, mais plutôt ceux des ONG et de la société civile, très présentes à Paris », s’indigne Farah Youssef. Et d’expliquer que dans les petites villes, il n’existe pas d’asso­ciations ou d’ONG, mais plutôt des mosquées. Les responsables de ces mosquées aident les réfugiés à condition qu’ils soient religieux. « C’est une manière pour ces mos­quées de voler le financement qui leur est alloué », affirme Farah, en ajoutant que les cours d’intégration sont répétitifs et parfois inutiles, parce qu’il n’y a pas d’interprète la plupart du temps pour les personnes qui ne comprennent pas le français. Les conférenciers commencent par faire l’historique de la fondation de l’Etat et parler des lois le régissant ainsi que des valeurs de liberté, de fraternité et d’égalité. Ensuite, ils enchaînent avec le marché du travail, les chances d’obtenir un emploi et les sujets relatifs à la santé, à l’édu­cation et aux droits de la femme.

Farah explique que pour postuler à un travail, il faut s’adresser à l’agence pour l’emploi, ce qui signifie un tas de paperasses, et parfois il faut un accompagnateur de l’assistance sociale. La plupart des réfugiés préfèrent rester dans des villes lointaines et se contentent des pensions qu’ils reçoivent de l’Etat, d’autant plus que la vie n’est pas très chère dans les provinces. Or, comme le dit Farah, ils sont exposés dans les banlieues à toutes sortes de crimes. L’obstacle de la langue amène ces réfugiés à choisir le repli ou à travailler dans des contextes spécifiques, où ils ont affaire majoritairement à des per­sonnes de la même nationalité. « En plus, les réfugiés sont confrontés à des crises psychologiques qui ne font qu’empirer, surtout dans le contexte de la nouvelle culture dans laquelle ils essayent de s’intégrer », poursuit Farah. Baraka Bichara, un réfugié soudanais, a, pour sa part, un avis plus positif que Farah. Pour lui, les emplois sont disponibles, mais le problème réside dans les diplômes. A son avis, la France fait de son mieux pour intégrer les réfu­giés. « En moyenne, une personne éduquée a besoin de deux ans pour apprendre la langue, alors que les analphabètes ont besoin de 3 à 4 ans », souligne-t-il. Bichara explique que l’Etat français prend en charge les soins médicaux et de logement une fois que la personne obtient le statut de réfugié. « On peut toutefois chercher un emploi même si l’Etat assume les charges ».

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