« Je suis contre le harcèlement scolaire ». Tel est le slogan de la campagne lancée par l’Unicef en coopération avec le ministère de l’Education et le Conseil national pour la maternité et l’enfance. Financée par l’Union européenne (30 millions d’euros), cette campagne a débuté sur les réseaux sociaux et les médias avec des spots contre cette pratique. Certaines personnalités y ont pris part, comme l’acteur Ahmad Helmi qui, dans un spot, déclare : « A l’école, mes camarades se moquaient de moi à cause de mes oreilles décollées ». « En primaire, mes camarades m’appelaient la girafe », affirme Nabila Makram, ministre de l’Emigration, lors de la conférence qui s’est tenue la semaine dernière à ce sujet au Musée national des civilisations. Une façon d’attirer l’attention sur ce phénomène qui fait rage dans les écoles notamment.
Le harcèlement scolaire ou bullying scolaire (de l’anglais « bully » qui signifie brutaliser ou terroriser) est un genre de harcèlement moral sous forme de moqueries et d’humiliations. De nombreux élèves y sont exposés. « Tu es grosse comme une patate », « Tu as l’air d’un plouc », « Tu es frisé comme un mouton », « Tu avales des livres », autant de remarques désobligeantes que les élèves se lancent sans avoir conscience de l’impact que cela peut engendrer.
L’année dernière, en effet, à la fin du dernier trimestre, un enfant de 13 ans victime de ce harcèlement s’est pendu après avoir raconté son mal-être dans une vidéo qui, aujourd’hui, fait le tour des réseaux sociaux.
Des chiffres qui font frémir

La campagne « Je suis contre le harcèlement scolaire ».
La campagne anti-harcèlement a débuté au mois de septembre dernier, soit avec la rentrée scolaire. L’objectif étant de sensibiliser les élèves et les parents aux risques encourus par le bullying et expliquer aux enseignants et aux parents comment réagir pour y faire face. En fait, le Conseil national de l’enfance et de la maternité a consacré une hotline, le 16 000, pour que les élèves et les parents dénoncent de tels faits commis en milieu scolaire. Depuis, parents et enfants ont décidé de briser le silence en déclarant ouvertement et sans peur : Non aux brimades, non aux coups et aux insultes quotidiens. Chaque victime raconte l’enfer qu’elle subit à l’école sans éprouver la moindre honte. En à peine un mois, 30 000 personnes (enfants et parents) ont appelé le 16 000, soit 1 000 appels par jour. Le plus surprenant est que les petits ont pris conscience de la gravité de la chose, et surtout ont répondu présent : 80 % des appels sont faits par des enfants.
Des chiffres qui font frémir. 30 % des élèves de 3 500 écoles déclarent avoir été harcelés verbalement. 20 000 familles confient que leurs enfants ont été exposés à différentes intimidations sur les réseaux sociaux, surtout Facebook. Plus de 40 % des enfants âgés de 2 à 14 ans subissent des châtiments corporels extrêmes en Egypte.
Et les témoignages se succèdent. Amina, 10 ans, confie souffrir des moqueries de ses camarades. Cette fille a touché le coeur de milliers de personnes. Victime d’insultes, de violences et de menaces dans la cour de récréation, Amina raconte son quotidien aux spécialistes de la hotline. « Cela a commencé dès ma première année en primaire. Et ça ne s’est pas arrêté. Un jour, un groupe d’enfants a saisi mon cartable pour cracher dessus, avant de cracher sur moi », relate-t-elle avec tristesse. « Mes camarades sont toujours en train de me chercher ou de m’observer durant la récréation. Ils me poussent, me frappent, me tirent les cheveux ou évitent de m’approcher. Dès que je m’assois à une table durant la pause, tout le monde m’évite … », dit-elle. Amina a voulu porter un message qui pourrait concerner des milliers d’enfants dans les écoles d’Egypte. « Stoppez le bullying ! Pas seulement pour moi, mais aussi pour tous ceux qui le subissent », termine la fillette, en espérant que son appel de détresse soit entendu, elle qui dit que ces actes se sont répétés sans que la direction de l’école intervienne pour protéger la fillette en détresse.
Selon Bruno Maes, représentant de l’Unicef en Egypte, « le school bullying, ce sont de petits faits répétitifs qui peuvent paraître anodins mais risquent de briser l’enfant. C’est une violence persistante, qui use. Un élève est victime de bullying lorsqu’un autre élève, ou un groupe d’élèves, se moque de lui ou l’insulte. Ces situations peuvent durer et il est difficile pour l’enfant de se défendre ». Maes poursuit en disant qu’on passe au stade de harcèlement lorsqu’il y a relation de domination. Il est caractérisé par une violence à long terme, physique ou psychologique. Cette violence est perpétrée par un ou plusieurs agresseurs à l’encontre d’une seule victime. Mais lorsque deux enfants de force égale se battent ou se disputent, on ne peut pas considérer cela comme du bullying, y compris pour une simple querelle dans la cour de récréation. Le phénomène est grave lorsque c’est toujours le même élève qui en est victime, et quand il y a un déséquilibre de force entre les tyrans et leur cible, une relation dominé-dominant.
Internet n’arrange pas les choses

(Photo : Mohamad Abdou)
En fait, le harcèlement scolaire est un phénomène qui date depuis toujours, mais qui ne portait pas de nom. Aujourd’hui, la nouvelle technologie est venue compliquer les choses. Dans les années 1990, commence à naître un autre type de harcèlement avec l’apparition des réseaux sociaux. C’est au début de l’année 2000 que le « cyberbullying » a fait son apparition dans le monde, et l’Egypte n’a pas fait exception. « Avant l’apparition des réseaux sociaux, le harcèlement s’arrêtait aux portes de la maison. L’élève victime pouvait alors se sentir en sécurité chez lui. Aujourd’hui, les réseaux sociaux effacent les barrières géographiques et permettent au harceleur de continuer son agression. La barrière de l’écran déshumanise d’autant plus l’acte et les acteurs qui menacent leur victime, et les insultes, les moqueries et les intimidations sont au su et au vu de tout le monde », explique Ivan Surkos, ambassadeur de l’Union européenne en Egypte.
La question ne s’arrête pas donc à l’école, d’où l’importance de cibler tant le bullying scolaire que le cyberbullying. Ce dernier se fait via Internet, sur les réseaux sociaux, mais aussi via des appels, des messages sur les groupes WhatsApp ou des SMS sur le portable de la victime.
Pour les victimes, la vie devient un enfer. Névine raconte son expérience. Elle a commencé à recevoir des messages cruels sur un groupe WhatsApp et sur sa page Facebook. Elle confie avoir eu envie de se suicider pour échapper au cyberbullying. Au début, cette jeune fille de 13 ans a été mise à l’écart par les filles de sa classe. Ces dernières ne lui adressaient la parole ni à l’école ni au club. Il lui est arrivé d’être bousculée dans les couloirs, enfermée dans une pièce ou encore tirée par les cheveux.
Cibler les plus vulnérables

Selon une étude faite dans 3 500 écoles, 30 % des élèves déclarent avoir été harcelés verbalement.
(Photo : Mohamad Abdou)
« Le harcèlement scolaire concerne aussi bien les filles que les garçons, et se déclenche généralement à la préadolescence, époque fragile. Il peut commencer très tôt. Déjà en maternelle, on retrouve dans les classes de petits élèves qui souffrent. Mais ce sont ceux âgés entre 9 et 17 ans qui se distinguent par leur violence. Et c’est surtout durant la première et la deuxième année secondaire que les risques de bullying sont les plus grands. Pourquoi ? Parce que les adultes sont moins présents et régulent moins les relations entre adolescents », explique Dr Abir Metwalli, une psychologue qui travaille auprès de l’ONG Awladna (nos enfants) qui n’épargne aucun effort pour sensibiliser les enfants.
Mais qui sont les victimes, et qui sont les harceleurs ? Et pourquoi ce désir d’intimider l’autre ? Selon Dr Imane Adly, psychothérapeute, les premières victimes sont souvent les bons élèves. « Plus que d’être des exemples à suivre, ils sont des victimes toutes trouvées pour de jeunes gens en quête de reconnaissance », précise-t-elle. En s’attaquant aux bons élèves, les agresseurs s’attaquent à l’école et à l’institution scolaire tout entière. Pourquoi ? Parce que l’école exclut les mauvais élèves et les méprise. Les élèves harceleurs se vengent alors par la violence. Quant aux victimes, ce sont généralement les élèves les plus fragiles, les timides, les sensibles, les moins forts physiquement. Et les conséquences psychologiques peuvent être majeures. « Mon enfant s’est replié sur lui-même, il pensait que c’était de sa faute. Du coup, il ne voulait plus aller à l’école, c’était le calvaire pour lui. Et lorsqu’il s’y rendait, il évitait d’aller à la récréation », confie Manal, maman d’un jeune garçon de 15 ans.
Mais pourquoi donc cette tendance chez un enfant de harceler l’autre, de nuire volontairement à l’autre ? D’après Dr Omniya Askar, psychologue, l’enfant peut avoir un comportement agressif pour plusieurs raisons. « Certains le font pour imiter les gestes violents de leurs copains ou de leurs proches. Pour d’autres, l’agressivité est un moyen pour attirer l’attention quand on se sent négligé ou qu’on sent que ses besoins ne sont pas pris en considération. Pour d’autres encore, c’est une réaction par rapport à ce qui se passe à la maison, des disputes familiales, un divorce, un décès ou l’arrivée d’un nouveau-né. Cela peut aussi être un signe que c’est un enfant battu ou puni régulièrement et sévèrement », précise-t-elle.

Ce phénomène empêche de nombreux élèves à travers l e monde de profiter pleinement de leur apprentissage et de réaliser leur plein potentiel.
(Photo : Mohamad Abdou)
Et ces pratiques n’existent pas qu’en Egypte. Des millions d’enfants à travers le monde sont victimes de violence au quotidien, dans leurs écoles, au sein de leurs communautés, à l’intérieur des foyers et hors de vue. D’après Bruno Maes, le bullying scolaire est un phénomène international : un élève sur trois y est exposé, via Internet, et au moins 8 collégiens s’absentent de l’école un jour par semaine, par crainte d’être harcelés. « Ce genre d’agression et de harcèlement verbal perturbe l’éducation de 150 millions d’enfants âgés entre 13 et 15 ans à travers le monde », c’est ce que mentionne le dernier rapport de l’Unicef, qui cite, par exemple, qu’au Liban, 50 % des collégiens y sont exposés, et qu’aux Emirats arabes unis, le taux est de 23 %.
Pour en finir définitivement avec le bullying, l’Unicef encourage les jeunes d’Egypte, comme ceux du monde entier, à faire entendre leurs voix pour mettre fin à cette violence à l’école et les invite à partager leurs efforts collectifs pour trouver des solutions.
Des cours de sensibilisation groupant à la fois les harcelés et les harceleurs sont organisés dans certaines écoles pour faire expliquer les désastres du bullying et leur apprendre à vivre tous en paix. Pour l’heure, ces cours ont eu lieu dans certaines écoles privées ou internationales, ainsi que dans certaines écoles expérimentales. La campagne a commencé à porter ses premiers fruits. « On a pu aider 800 enfants handicapés victimes de bullying », a déclaré Azza Al-Achmawy, secrétaire générale du Conseil national pour la maternité et l’enfance. En fait, les handicapés sont la première catégorie ciblée parce que ce sont les plus vulnérables. Pour le moment, on en est encore aux premiers fruits de cette campagne. Un bon début néanmoins après des années de silence .
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