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Manger moins et jeter moins

Manar Attiya, Mardi, 24 juillet 2018

D’énormes quantités de produits alimentaires et de nourriture finissent à la poubelle chaque jour. Pour lutter contre ce gaspillage, l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) vient de lancer une campagne de sensibilisation en Egypte. Enquête.

Manger moins et jeter moins
1,3 milliard de tonnes d’aliments sont jetées dans les poubelles à travers le monde entier chaque année.(Photo : Mohamad Abdou)

« Manger c’est bien, jeter ça craint ! », « Qui jette un oeuf, jette un boeuf ! », « J’aime la nourriture, je la respecte », « Je mange, je donne, je ne jette plus ! », « Ne laissez pas tomber les bons produits ! », « Les fruits et légumes amochés sont aussi consommables ! », « Eviter de gaspiller rend plus riche ! », « Apprendre à recycler les restes alimentaires ! ». Tels sont les slogans de la campagne contre le gaspillage alimentaire lancée, il y a quelques semaines, par l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en coopération avec la Banque alimentaire égyptienne, le ministère de l’Agriculture et l’Agence italienne pour la coopération et le développement. Une première en Egypte.

L’objectif de la campagne est d’attirer l’attention des hommes d’affaires et des politiciens sur l’impact du gaspillage alimentaire et d’inciter la population à consommer avec modération et de manière responsable. L’idée vient du Dr Moez Al-Shohdy, président de la Banque alimentaire égyptienne, qui espère changer les comportements des Egyptiens en ce qui concerne la consommation de nourriture. « En Egypte, les périodes de fêtes sont des occasions de célébrer la nourriture et de s’en gaver. Chez nous, ces occasions sont synonymes d’excès et de gaspillage. Ce gâchis alimentaire s’observe lors de réunions familiales, d’événements sociaux, de soirées d’anniversaires ou de cérémonies de mariage. Des dépenses excessives sont faites pour sauver les apparences. Beaucoup d’argent est dépensé malgré la cherté de la vie et la pauvreté dont souffrent la plupart des Egyptiens », note Dr Moez Al- Shohdy.

Nombreux sont les exemples de gaspillage de ce genre. Lors du mariage de la fille d’un homme d’affaires dans un hôtel 5 étoiles, le buffet ouvert était composé d’une vingtaine de plats à la viande, d’une dizaine à base de poissons et de crustacés, ainsi que de riz, de pâtes et de salades, sans compter le dessert : fruits, gâteaux et tartes ! Après le départ des 2 000 invités, les restes ont été jetés à la décharge la plus proche. Lors du mariage de la fille d’un chef de parti politique, une centaine de plats ont été servis pour 4 000 personnes, puis environ 20 % de la nourriture ont été jetés à la poubelle. Un énorme gaspillage qui a attiré l’attention de la FAO, des responsables de la Banque alimentaire ainsi que des employés et chefs cuisiniers de différents restaurants et hôtels.

« C’est un véritable gâchis », dit le chef cuisinier Hossam Selimane, travaillant dans des hôtels 5 étoiles depuis une trentaine d’années. « Durant les fêtes de mariage, beaucoup de personnes remplissent leurs assiettes à ras bord de mets salés et sucrés. Et pour finir, certains vont goûter un peu de tout sans jamais terminer leur assiette », constate le chef Hossam. Et d’ajouter : « Ces invités se pressent de remplir leurs assiettes, craignant que le buffet ne se vide ».

Si, en Egypte, il n’existe pas de chiffres précis relatifs au gaspillage alimentaire, des études effectuées par la Banque alimentaire égyptienne démontrent qu’il est significatif. Les restaurants, les hôtels et les supermarchés jettent chaque jour d’énormes quantités de produits alimentaires, soit l’équivalent de millions de tonnes.

Selon Sanaä Al-Khodary, membre du conseil d’administration de la Banque alimentaire, tous les mois, 35 000 portions — sandwichs, salades, pâtés, croissants, tartes — ne sont pas vendus par divers restaurants. Ces restes sont généralement distribués à près de 5 000 personnes dans une centaine d’orphelinats, de maisons de retraite et de centres d’hébergement pour sans-abri au Caire. Ils sont rapidement distribués pour éviter qu’ils ne pourrissent. « Le gaspillage alimentaire se situe entre 30 et 40 % de la production en nourriture par jour. Entre 15 et 35 % des produits alimentaires sont perdus directement sur le champ, par exemple, parce qu’ils ne sont pas transportés assez vite, 10 à 15 % supplémentaires sont perdus au cours de leur transformation, du transport et du stockage », affirme Hussein Gaddine, représentant de la FAO en Egypte.

Autre endroit, autre scène. Un adolescent et ses amis entrent dans un restaurant. Tous se dirigent vers le buffet et remplissent généreusement leurs assiettes. Pourtant, ils ne vont consommer que le quart de cette grosse portion. Le serveur est alors obligé de jeter le reste des aliments à la poubelle. « Ces jeunes auraient pu se servir à nouveau et à volonté, on ne veut pas de restes. C’est dommage de devoir jeter toute cette nourriture », dit avec amertume Hayssam Mohamad, chef cuisinier d’un grand restaurant situé au centre-ville. « Certains aliments, tels que les légumes, sont servis en grande quantité et peu de jeunes arrivent à terminer leurs assiettes. Parfois, les enfants refusent même de manger une feuille de salade verte glissée dans un sandwich. La viande également commence à poser des problèmes, car beaucoup de chérubins sont attirés par les aliments qui se mangent facilement », dit Mohamad. D’après lui, ces problèmes proviennent d’un manque d’éducation. « Beaucoup d’enfants ont des comportements incorrects. Lorsqu’ils arrivent à table, ils ont faim, mais n’ont aucune idée des quantités. Ils ont donc tendance à remplir leurs assiettes et ne pensent pas au dernier qui va arriver. Résultat : les assiettes ne sont pas finies et le dernier à se servir n’aura pas suffisamment de quoi manger. Il est donc important de sensibiliser les enfants au gaspillage et de leur apprendre le sens du partage », analyse-t-il en proposant de réduire les dimensions des assiettes.

Mieux organiser ses menus

Manger moins et jeter moins
Le gaspillage alimentaire se situe entre 30 et 40 % de la production en nourriture par jour. (Photo : Ahmad Chéhata)

Le problème du gaspillage alimentaire n’existe pas qu’en Egypte, il s’agit d’un problème mondial. D’après le dernier rapport de la FAO, 1,3 milliard de tonnes d’aliments dédiés à la consommation sont jetés à la poubelle à travers le monde chaque année et le phénomène concerne aussi bien les pays riches que les pays pauvres. Pour lutter contre le gaspillage en Egypte ainsi que dans le monde, la FAO a lancé sa campagne sur les réseaux sociaux et à la télévision. Elle distribue aussi des affiches dans différents restaurants, sur lesquelles on peut lire « Ne laissez pas de nourriture dans vos assiettes ». En outre, la FAO a récemment publié un guide avec des recommandations qui doivent permettre d’éviter les pertes alimentaires. Quant à la Banque alimentaire égyptienne, elle organise des cours dans lesquels on enseigne comment lutter contre le gaspillage dans plusieurs hôtels du Caire ainsi que dans ses locaux.

Fatma, femme au foyer, suit ces cours deux fois par semaine. Elle a pour habitude de cuisiner chaque jour des mets variés pour faire plaisir à ses filles de 6, 9 et 12 ans. Mais, souvent, elle est déçue, car celles-ci n’apprécient pas toujours les plats qu’elle prépare. « Pourquoi n’as-tu pas fini ta viande ? Je n’aime pas la sauce, elle n’est pas bonne. Et les légumes ? Ils ont un goût bizarre ».

C’est le dialogue de tous les jours entre Fatma et ses filles. En suivant les cours de la Banque alimentaire, Fatma a appris quelques astuces anti-gaspillage. Aujourd’hui, elle ne jette plus rien, elle réutilise les restes pour préparer d’autres plats. « Au lieu de jeter les restes, pourquoi ne pas les réutiliser pour le lendemain ? Je peux ajouter un peu de thon à un reste de pâtes pour préparer un bon gratin, et quelques cuillères de soupe de légumes peuvent servir de base à un plat mijoté », dit-elle. Et si ses filles ne veulent pas toucher au plat de la veille, Fatma le conserve dans le congélateur et ne le ressortira que quelques jours plus tard.

Elle a appris à établir son menu à l’avance. Elle dresse une liste des courses à faire pour éviter les achats inutiles. « Si vous savez que vous allez cuisiner pour une personne, vous n’aurez pas besoin de la même quantité de légumes ou de viande que pour une famille composée de quatre personnes par exemple », précise Fatma, qui vérifie dorénavant ce qu’elle a dans son placard et son frigo avant d’aller faire ses emplettes. Aujourd’hui, elle sait faire la différence entre la « date limite de consommation », qui est la date avant laquelle la nourriture peut être consommée sans danger, et la date d’expiration.

La FAO avait déjà lancé ce genre de campagne aux Etats-Unis et en Europe il y a quelques années, et cela a porté ses fruits. La France est pionnière en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire. En 2015 et 2016, elle a adopté une loi qui vient renforcer l’engagement des pouvoirs publics à réduire de moitié les pertes et les gaspillages alimentaires d’ici à 2025, et ce, suite à une pétition lancée par des Français. En Espagne et en Inde, des frigos sont installés devant les restaurants, dans lesquels les personnes sans-abri peuvent se servir. Il ne reste qu’à espérer que l’Egypte adopte des lois et prenne des initiatives similaires pour diminuer le gaspillage.

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