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Savoir tourner la page

Chahinaz Gheith, Lundi, 23 avril 2018

Le divorce n’est plus forcément vécu comme une fatalité. Que ce soit un stage, un coaching en séparation, la consultation d'un psychologue ou même la célébration d'une fête de divorce, les manières de gérer cette épreuve traumatisante sont nombreuses. Témoignages.

Savoir tourner la page

« Non, le divorce ne constitue pas forcément un échec. La vie continue, et même plus encore, elle recommence », lance Walid Khaïri, écrivain et fondateur du stage intitulé « Divorce heureux », qui s’adresse aux femmes en instance de divorce ou divorcées et qui ont du mal à passer ce cap difficile. S’appuyant sur une dynamique de groupe et le partage d’expériences, ce stage aide ces femmes à retrouver leur autonomie et à apprendre à commencer une nouvelle vie.

« Le chemin de la reconstruction est long et propre à chacune après une rupture amoureuse. Car tout le monde ne réagit pas de la même façon et chaque histoire est différente. Le divorce est une épreuve douloureuse, mais pas insurmontable. Il n’existe aucun remède miracle pour annihiler rapidement la douleur et les sentiments négatifs. Mais il faut savoir se projeter dans l’avenir, mettre une croix sur son ancienne vie et travailler sur sa personnalité pour favoriser son épanouissement personnel », explique Walid à une dizaine de femmes fraîchement divorcées.

Nachwa, mère de deux enfants, est en instance de divorce. Elle a quitté son mari, qui commençait à devenir violent avec elle. « Je ne le supporte plus. Je lui en veux, et en même temps, je m’en veux à moi-même. Comment avons-nous pu en arriver là, après onze ans de mariage ? », lance cette femme avec amertume. Walid lui répond tout en tentant de faire passer le divorce en douceur, un peu comme on avale un cachet pour oublier son mal de dents. « Déni, colère, marchandage, tristesse et enfin acceptation… Les étapes de la séparation s’apparentent à celles d’un deuil. La différence est qu’il s’agit là de faire le deuil d’un individu vivant. Un travail difficile quand on est amené à côtoyer son mari régulièrement, notamment pour les enfants », assure-t-il.

Selon Walid, quand la relation de couple commence à s’effriter, un accompagnement permet d’apaiser au mieux la personne et de l’aider à devenir rapidement plus opérationnelle. Car la pire des choses est de rester confinée dans sa solitude. D’où l’importance d’un tel stage, afin de parvenir à un divorce sans dégâts. Mayssa, 37 ans et divorcée depuis un an, commence à sortir d’une longue traversée du désert. « Quand il m’a quittée, c’était la fin du monde. J’ai passé des jours et des semaines à pleurer, à ressasser tout ça. Mes amies m’écoutaient, me consolaient jusqu’au jour où l’une d’entre elles, probablement agacée de me voir dans cet état, s’est énervée et m’a parlé de ce stage », raconte-t-elle.

Et de poursuivre : « Les quinze années de mariage ainsi que les projets communs se sont effondrés rapidement comme un château de cartes. La grande difficulté, c’est d’apprendre à reconstruire de nouveaux repères, là où le repère a été construit à deux. Et il a fallu réapprendre à vivre seule. Les habitudes du quotidien, les sorties ensemble, même le simple fait de dormir sans lui à mes côtés m’a paru dur au début. Mais ce stage m’a donné un peu le courage de faire le ménage dans ma vie, et surtout à faire la paix avec mon passé ». Quant à Laïla, 25 ans, séparée du père de son enfant depuis plusieurs mois, elle a longtemps broyé du noir sans savoir si elle allait sortir de cette période compliquée. « Après ma séparation de mon mari, j’ai passé mon temps à ressasser l’histoire dans ma tête, à un tel point que j’avais du mal à me concentrer au travail. J’ai essayé pas mal de choses: voyages avec des copines, course à pied et sport. Après ce stage, je me suis sentie apaisée et j’ai retrouvé mon estime », souligne-t-elle.

Divorcer peut rendre plus heureux

Savoir tourner la page
Le stage de Walid Khaïri a pour but d’aider les femmes divorcées à surmonter au mieux cette expérience douloureuse.

La pilule est dure à avaler, le parcours est long pour accéder à la voie de la guérison et les témoignages abondent. En effet, le temps de nos grands-parents, mariés et heureux pendant 60 ans, fait rêver. Autrement dit, et contrairement à ce qui se passait il y a quelques décennies, les amours de notre temps sont inconstantes et légères, les mariages éphémères, les divorces ne sont plus tabous et les couples hésitent moins à se séparer.

Selon les chiffres de l’Onu, l’Egypte se classe au premier rang en matière de divorce à travers le monde. 240 divorces sont prononcés chaque jour par les tribunaux de la famille à travers tout le pays. Ce qui revient à dire que toutes les six minutes, un couple se sépare en Egypte. Un phénomène majeur de ces dernières années, qui révèle un profond changement des mentalités : le divorce s’est banalisé, la culpabilité l’a déserté. L’intérêt des enfants n’est plus une obsession: mieux vaut, pense-t-on, le traumatisme d’une séparation que le spectacle de parents qui se déchirent.

« Ces dernières années, nous assistons à un grand bouleversement. Si certaines femmes se séparent aujourd’hui de leur mari, ce n’est pas uniquement pour échapper à un étouffement, mais aussi pour se retrouver et s’épanouir. C’est une étape de construction de soi pour ces femmes, voire une occasion de reconquête de soi », souligne la sociologue Samia Al-Saati, tout en ajoutant que ces cinq dernières années, les déboires conjugaux ont fait un tollé sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram. Les sites de rencontres se sont multipliés et sont devenus des espaces de débat et de partage. Le nombre de pages concernant ce sujet est en hausse : « Divorce à 100 % » compte près de 12000 fans, « Mon divorce, début d’une nouvelle vie » bientôt 34000 et « Fadfada et histoires de femmes », plus de 138000.

Or, si les uns recourent au stage de divorce, d’autres sollicitent l’aide d’un psychologue ou entament un coaching en séparation, afin de les aider à surmonter la période de l’après-divorce et à tourner la page sans s’entre-déchirer. Nadia, 28 ans, divorcée depuis trois mois, est passée par là. « Dans ma vie, deux choses ont toujours été importantes : Mon mari et mes enfants. Lorsque mon conjoint a demandé le divorce, j’étais effondrée. Après avoir consulté un psychologue pendant plusieurs semaines, j’ai pris la décision de me concentrer sur le deuxième pilier de ma vie: mes enfants. Non pas parce que j’ai été une mauvaise mère ces dernières années, mais j’ai voulu devenir une mère plus dynamique et encore plus impliquée. Maintenant, je leur consacre beaucoup plus de temps, je fais du sport avec eux et je les accompagne pour leurs entraînements. Je les pousse à faire ce qu’ils aiment. Bref, m’occuper entièrement de mes enfants m’a permis de me relever de cette déception conjugale », confie-t-elle.

L’intervention d’un professionnel du divorce consiste à se remonter le moral, à bâtir de nouveaux repères sans l’ex-conjoint. Il peut également aider les deux conjoints à trouver une solution ou parvenir à un accord, afin de limiter les dégâts tant sur le plan psychologique que matériel. « On est comme un animal blessé qui lèche ses blessures au fond de sa tanière. Alors, on reste cloîtré chez soi, on a peur de sortir et l’avenir semble bouché, sans perspectives de bonheur. Cela dure entre 3 et 9 mois. Un jour, sans savoir pourquoi, l’horizon s’éclaircit », affirme Dr Gamal Fawzi, psychologue. Pour Ali, fin de la trentaine, le fait d’assister à des séances de coaching de divorce l’a aidé à prendre du recul et d’évacuer le stress et la pression. Car le fait de s’enliser dans sa colère nuit sur le long terme et n’aide pas à prendre de bonnes décisions. « Ma vie conjugale a été chaotique. Après trois ans d’union, nous avons décidé, d’un commun accord, de nous séparer. Du coup, ce stress que j’avais accumulé durant ces années, il a fallu que je l’évacue d’une façon ou d’une autre. Mon coach de divorce m’a conseillé de faire du yoga. Je me suis inscrit dans un groupe qui se réunissait tous les jeudis soir et que je rejoignais après mon travail. La détente et le calme que ce sport me procurait m’ont rendu heureux. Il a fallu attendre un divorce pour m’y mettre », explique Ali.

Une « divorce party »

Et ce n’est pas tout, d’autres divorcés, surtout les femmes, vont plus loin et optent pour rompre avec les traditions qui font du divorce un tabou, et ce, en organisant une soirée de célébration du divorce. Pour elles, ce n’est pas seulement un moyen de se remonter le moral, mais aussi un message d’espoir pour le futur.Et plutôt que de dramatiser et de s’enfermer chez elles à écouter en boucle des chansons romantiques en se goinfrant de chocolat et en terminant tous les paquets de mouchoirs qui se trouvent dans l’appartement, « autant fêter l’événement pour se booster et tourner la page », déclare Nadine, 30 ans, qui a organisé chez elle une « divorce party » à laquelle elle a invité toutes ses amies.

Elle a apporté un DJ, des ballons sur lesquels elle avait écrit « libre à nouveau » et une grosse pièce montée sur laquelle l’ex-conjoint est décapité. Nadine n’a pas oublié non plus de déchirer sa robe de mariée. « Il faut prendre les choses avec humour et surtout ne pas se prendre trop au sérieux. Pour moi, toute occasion de faire la fête, de se réunir et de s’amuser est bonne à prendre. Et puisqu’on fête toutes les étapes d’une vie— les anniversaires, la réussite au bac, les fiançailles, une naissance ou un départ en retraite—, alors pourquoi pas un divorce? C’est un rite de passage qui mérite lui aussi d’être fêté. J’ai commencé mon mariage par une cérémonie, pourquoi ne pas le terminer par une autre ? », souligne-t-elle.

Même ton chez Bodour, la vingtaine, qui pense que le divorce est le seul événement majeur d’une vie qui ne possède aucun rituel ou cérémonie pour aider la personne qui le vit à l’affronter et à aller de l’avant. Pour elle, l’idée d’une soirée de rupture répond à ce besoin humain essentiel. C’est une façon plutôt saine de dire: « C’est fini, je passe à autre chose».

« Après un long et difficile divorce, ça a été une véritable délivrance de retrouver ma liberté. J’étais si heureuse que j’étais incapable de cacher ma joie en sortant du tribunal! Le soir même, j’ai retrouvé mes amies et les membres de ma famille qui m’ont soutenue dans cette rude épreuve, principalement des femmes, pour fêter ma liberté en offrant une soirée barbecue et un divorce cake. Nous avons écouté de la musique et dîné ensemble. La fête s’est poursuivie jusqu’au petit matin et personne n’a jugé la situation inappropriée: elles m’ont vu lutter pendant trois ans pour obtenir ce divorce », raconte Bodour, tout en soulignant que quand on se marie, on est entouré de tous ses proches et de sa famille, tandis que quand on divorce, on se retrouve seul, alors que c’est à ce moment-là qu’on aurait plus que jamais besoin de compagnie.

Contrairement à Nadine et Bodour, Soad, 40 ans, estime que le divorce n’est pas quelque chose à célébrer. Elle considère les « divorce parties » comme une honte, une insulte envers les femmes. « Qu’est-ce que tout cela signifie pour une femme qui divorce ? Est-ce qu’elle célèbre son échec? Et puis, qui a dit qu’une divorce party était une thérapie ou que la femme allait se sentir bien et que tout ira bien pour elle? Il ne faut pas se bercer d’illusions », dit-elle.

Tout comme chaque parcours de vie est unique, la façon de gérer un divorce est très personnelle. Il appartient dès lors à chacun de trouver les moyens lui permettant de surmonter au mieux cette épreuve difficile.

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