La société égyptienne s’est réveillée sous le choc, suite au récent suicide par pendaison du fils d’un député au parlement. C’est la soeur de la victime qui a dévoilé l’affaire, écrivant sur sa page Facebook que son frère a mis fin à sa vie en jouant au jeu de la baleine bleue. Un jeu morbide qui continue de faire des ravages à travers le monde. Elle a même comparé ce jeu à une sorte de magie noire et n’a pas hésité à prodiguer des conseils aux familles afin que leurs enfants ne subissent pas le même sort que son frère. Quelques semaines auparavant, un jeune chômeur, qui a tué son père, a dévoilé, lors de l’enquête, avoir commis ce crime suite aux recommandations des responsables de ce jeu, qui lui ont demandé de mettre fin à la vie d’un membre de sa famille. Il a confié avoir choisi son père, car il était toujours en conflit avec lui.
La baleine bleue, c’est un jeu d’origine russe, répandu à travers le monde, qui circule sur Internet et qui pousse au suicide, et dont la cible est des enfants entre 12 et 16 ans. Bilan : 130 cas de suicide en Russie. Trois autres victimes ont mis fin à leur vie au Royaume-Uni et deux en France. Dans le monde arabe, le jeu a déjà fait 10 victimes en Tunisie, 8 en Algérie, 3 au Koweït, 2 en Arabie saoudite, selon un documentaire diffusé sur le site Radio Med Tunisie et qui a circulé sur Facebook. Ce documentaire avait pour objectif de sensibiliser les gens au danger de ce jeu mortel.
La baleine bleue, c’est quoi ?
C’est en 2016 que le Russe Philippe Boudeïkine a inventé ce jeu qui cible en général les ados qui ont des problèmes à la maison et ont des difficultés à s’entendre avec leur entourage, selon un article publié par le journal britannique Daily Mail. Et bien que l’un des créateurs du jeu de la baleine bleue ait été arrêté en juillet dernier et purge une peine de 3 ans et 4 mois pour incitations au suicide, sa machine de la mort ne cesse de se répandre. Philippe a confié, lors de l’enquête, qu’il « voulait nettoyer le monde de ces déchets biologiques qui pourraient être nuisibles à la société plus tard, et que tous ceux qui ont utilisé ce jeu sont heureux de trouver la mort », selon le même article publié au Daily Mail.
En fait, le jeu tire son nom d’une légende selon laquelle la baleine est capable de se suicider en s’échouant volontairement sur une plage. La « baleine/mentor » a pour mission d’assigner des tâches secrètes, personnalisées et convaincre le joueur, l’encourager et le pousser à aller jusqu’au bout, tout en le manipulant. Comment ? Les joueurs doivent filmer les tâches qu’ils ont accomplies et donner la preuve qu’ils sont capables de franchir les différentes étapes du challenge. Ils doivent aussi diffuser des photos et des vidéos sur les réseaux sociaux et les envoyer à la baleine bleue pour prouver qu’ils sont passionnés par ce jeu.
Ce dernier consiste à braver une cinquantaine de défis, quand le joueur termine une étape, il passe à une autre plus difficile. Les premiers défis ne sont pas trop compliqués — quoique anormaux — par exemple, il doit écrire F57 (slogan de ces groupes sur les réseaux sociaux) ou dessiner une baleine sur son bras à l’aide d’un objet tranchant ou regarder des vidéos effrayantes (des rituels, musiques tristes, suicides, etc.) à 4h20 du matin. Des étapes qui mettent les enfants dans un état psychique frisant la dépression. Le défi numéro 14, par exemple, appelle le participant à se couper les lèvres alors que l’étape numéro 22 l’incite à monter sur le toit et lancer une jambe dans le vide. Au cinquantième jour, la fin du jeu, le joueur doit se donner la mort. Une fois que la personne a téléchargé le jeu, elle n’a plus le droit de se retirer. Elle doit continuer tel un esclave, sinon, elle reçoit des menaces de mort à l’encontre des membres de sa famille. C’est le cas de M. S., un garçon de 14 ans qui a demandé de l’aide à ses amis à travers un groupe fermé, décrivant sa terreur, et ce, après avoir reçu un message de menace quand il a osé se retirer du jeu.
Les ados, principale cible
Ce morbide jeu, qui nous provient de la Russie, ouvre le dossier épineux de ce flux des jeux électroniques importés de l’étranger et qui trouvent sur le marché local une terre fertile. D’après l’ingénieur Hossam Mahmoud, expert en technologie, cette application cible en principe les ados, car c’est la tranche d’âge qui court après toute nouveauté et qui est toujours prête à chambouler les coutumes.
Les producteurs de ces jeux exploitent donc ces jeunes dont la volonté est de surmonter les difficultés, afin de commercialiser leurs produits. « Les producteurs du jeu de la baleine bleue semblent comprendre ce qu’ils font. Ils exercent plusieurs moyens de pression pour obliger le joueur à céder. Ils lui donnent des ordres vers minuit. Le manque de sommeil a un impact sur les composants chimiques du cerveau, ce qui le perturbe et rend ce dernier dans un état psychique entre la conscience et l’inconscience. L’enfant serait donc prêt à recevoir les ordres des dirigeants du jeu qui lui recommandent d’avaler des cachets pour le mettre dans un état second », explique Nihal Lotfi, professeur de psychologie pédagogique à l’Université du Canal de Suez. Elle ajoute que, parmi les facteurs qui attirent les jeunes à ce genre de jeux, ce sont les plateformes qu’ils créent pour que les enfants puissent s’exprimer, particulièrement ceux qui n’appartiennent à aucun groupe (famille, école, groupe d’amis, etc.). Elle poursuit : « Ces groupes de jeux leur donnent l’impression qu’ils appartiennent à une entité et leur donnent plus d’assurance et de confiance en eux-mêmes. Ce petit groupe est prêt à faire l’impossible pour rester dans l’escadron, et les administrateurs travaillent pour s’assurer que les enfants progressent dans le jeu ».
Et ce qui aggrave la situation, c’est que cette machine de la mort ne trouve aucune difficulté à pénétrer dans les chambres des ados et les accompagner jusqu’à leur chevet. Dalia Mohamad, femme d’un ingénieur et mère de deux enfants, estime que dans ce monde numérique qui ne cesse de s’imposer au quotidien, il est bien difficile de contrôler ce genre de jeux. « Il y a une dizaine d’années, les Cairotes ont vécu un autre cauchemar. Un jeune étudiant, issu d’une grande famille, s’était donné la mort. Des interrogations ont circulé lors de ses funérailles sur les raisons de ce suicide, surtout que le jeune homme était un étudiant studieux et un sportif brillant et qui n’avait pas de problèmes avec ses parents. Plus tard, ses amis ont dévoilé le secret. Il s’essayait au jeu de la mort. Un jeu qui consiste à passer une corde autour du cou, serrer fort au point de s’évanouir, puis la lâcher et raconter à ses camarades ce qu’il a ressenti. Ce jeune n’a pas eu l’occasion de rester conscient, il a perdu la vie. Un jeu mortel qui s’était propagé à l’époque à travers le Net, et pire encore, dans les écoles, sans que personne ne se rende compte », poursuit-elle.
Quelles solutions ?
Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour que l’Etat intervienne afin de bloquer les sites qui diffusent ce jeu. Le député Chérif Al-Wardani, secrétaire de la Commission des droits de l’homme au parlement, a présenté une demande urgente à l’ingénieur Yasser Al-Qadi, ministre des Communications et des Technologies de l’information réclamant au gouvernement d’intervenir pour interdire ce jeu. Selon le site Elaph, qui a reçu une copie de cette demande, nombreuses sont les applications de jeux qui s’échangent entre les ados et les enfants et qui pourraient permettre d’avoir accès aux données des utilisateurs, les extorquer et les inciter à se blesser et à blesser les autres. Le député a aussi réclamé au ministre la nécessité de créer un organisme de censure, afin de surveiller ces applications et ne pas permettre leur utilisation en Egypte car, selon lui, la technologie vise en principe à servir l’individu et non pas à menacer sa sécurité ainsi que celle d’autrui.
Cependant, Hani Hilal, secrétaire général de la coalition des droits des enfants, estime qu’il est contre le fait de bloquer les sites, car c’est difficile de les contrôler. « On a plutôt besoin d’adopter de nouveaux moyens pédagogiques au sein de la famille ou à l’école. La famille ne doit pas utiliser des punitions sévères qui risquent de pousser l’enfant à s’enfermer dans son propre univers où il peut commettre des bévues pouvant mettre en danger sa vie. Il faut plutôt dialoguer avec lui, fixer des horaires pour les jeux vidéo tout en le surveillant de loin et lui donner l’occasion de s’exprimer. Quant à l’école, elle doit donner aux enfants la chance d’avoir accès à des activités comme la musique, le dessin, le sport, le théâtre, etc. afin que l’enfant puisse s’exprimer, se défouler et dégager son énergie débordante afin que ces jeux ne soient pas le seul moyen de divertissement », poursuit Hilal.
Chérif Abdel-Baqi, directeur de la Fédération égyptienne des jeux électroniques, est sur cette même longueur d’onde. Il estime que le fait de bloquer ces sites n’est pas la solution. Même dans les pays qui ont interdit le jeu, ils n’ont pas pu empêcher son utilisation qui a lieu souvent à travers des groupes fermés. Et ces pays se sont contentés uniquement de pénaliser celui qui commercialise le jeu et le guide qui donne les ordres aux ados.
« En Egypte, on essaie de sensibiliser les familles à travers la fédération sur le danger des jeux qui incitent à la violence ou qui mènent au suicide. On attire donc les jeunes vers les jeux électroniques utiles qui augmentent l’intelligence et nourrissent l’esprit de concurrence. La fédération tente, en collaboration avec le ministère de l’Education, de former des équipes et des stars des jeux électroniques, à l’instar de ceux qui existent dans les équipes sportives, surtout que ces jeux ne cessent d’attirer des fans. Il faut dire que la dernière compétition de football électronique qui s’est tenue en Arabie saoudite, pour laquelle 100 000 candidats ont déposé leur candidature, 2 000 ont pu y concourir. Cela veut dire qu’on ne peut pas interdire cette évolution qui s’impose tous les jours, mais plutôt guider les enfants vers ceux qui sont plus utiles et leur apprendre à avoir un esprit critique leur permettant de choisir le bon du mauvais », conclut Abdel-Baqi.
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