« Le Siwi et le palmier dattier sont deux compagnons inséparables de la naissance à la mort », dit avec fierté hadj Abdel-Fattah Saleh, âgé de 72 ans et originaire de Siwa. Il poursuit en expliquant que la datte est omniprésente dans l’ensemble des rituels ponctuant la vie familiale des Siwis.
Ainsi, quelques heures après la venue au monde d’un bébé par exemple, les familles de Siwa pratiquent une tradition connue sous le nom de « tahnik ». Elle consiste à mâcher un morceau de datte, puis d’en placer le jus dans la bouche du nouveau-né pour que celui-ci le suce. « Ce geste est exécuté par la personne la plus âgée de la famille, que ce soit un homme ou une femme, mais à condition que sa piété soit avérée. Il s’inspire principalement de la Sunna et a pour but symbolique de souhaiter qu’Allah, le Miséricordieux, garantisse une vie douce et sucrée à l’enfant », commente hadja Attiyat, une habitante de Siwa qui a pratiqué en personne cette tradition le jour de la naissance de ses petits-fils et petites-filles. La coutume se réfère à plusieurs hadiths. Aïcha, l’épouse du prophète Mohamad et surnommée « Mère des croyants », disait à cet égard : « On amenait auprès du Messager d’Allah Mohamad, paix et salut sur lui, les enfants pour lesquels il implorait la bénédiction auprès de Dieu le Tout Puissant, et il effectuait le tahnik ». Il existe aussi un autre hadith, rapporté par Abou-Moussa Al-Acheari, compagnon du prophète : « A la naissance de mon enfant, je l’ai emmené au prophète Mohamad, qui lui a donné le nom d’Ibrahim. Il a ensuite frotté sa gorge avec une datte sèche et invoqua la bénédiction divine pour lui » (Al-Boukhari, 3 909, 5 469).

(Photo : Mohamad Abdou)
Les femmes de Siwa tentent, elles aussi, d’appliquer les versets du Coran, selon lesquels Dieu a suggéré à Marie de manger des dattes lorsqu’elle était sur le point d’accoucher de Jésus. Raison pour laquelle les personnes âgées de la famille, à Siwa, encouragent les femmes enceintes à manger un grand nombre de dattes de façon régulière. « D’une part, pour faciliter l’accouchement, car les dattes sont riches en ocytocines (hormone qui prépare le métabolisme à l’accouchement), et d’autre part, pour prévenir les maladies, notamment l’anémie du nouveau-né, grâce aux grandes doses de vitamines et de minéraux qu’elles renferment, comme le fer », explique Maymouna, récemment devenue mère et qui tient à préserver les astuces utilisées par ses grand-mères. Après l’accouchement, les dattes deviennent vitales après le repas pour stimuler les glandes mammaires et éviter les difficultés pendant l’allaitement.
Les dattes sont également au menu à l’heure des rencontres et cérémonies familiales. « L’une des traditions d’accueil des futurs mariés, entretenue par la belle-mère à l’adresse de sa belle-fille, est un plateau contenant un bol traditionnel de lait et de dattes : le lait symbolise la pureté et les dattes la fertilité et l’abondance », explique une future belle-mère en taquinant son fils, qui est sur le point de se marier. Comme n’importe quel fiancé, celui de Siwa offre des cadeaux à sa future épouse, mais ceux-ci sont tout à fait différents. Il s’agit du gommar, correspondant au « coeur » du palmier, soit les parties haute et centrale du tronc. Le futur marié abat son palmier dattier le plus cher, puis le débarrasse de ses multiples couches pour en libérer le coeur. Il découpe ensuite cette enveloppe, qui se compose de fibres blanc crème, en rondelles, pour l’offrir à sa fiancée comme dessert. Cette dernière peut le consommer frais ou en salade. Son goût rappelle la douceur sucrée-amère du coeur d’artichaut.
Le palmier dattier accompagne aussi les habitants de Siwa au moment de leur décès. « Nous avons pour habitude d’enterrer une grande partie d’un tronc au-dessus du corps du défunt, et ce, à moins de 20 cm de sa tombe », dit hadj Abdel-Fattah, qui reçoit ses invités par un grand bol contenant différents types de dattes et une grosse bouteille d’eau en signe de bienvenue et d’hospitalité. Comme tous les Siwis, il est très attaché à ces traditions, qui se transmettent de génération en génération.
La cuisine

(Photo : Mohamad Abdou)
Les recettes de cuisine des femmes siwies sont nombreuses et les dattes — séchées et dénoyautées — constituent un ingrédient essentiel de quasiment tous les plats. Le sucre de dattes débess al-tamr, par exemple, est substitué au sucre blanc dans les pâtisseries. « Je mets les dattes dans une grande marmite d’eau chaude, puis les broie pour obtenir un liquide sucré. Débess al-tamr peut être utilisé dans de nombreux plats à base de sucre, comme la kénafa, les crêpes, les biscuits, les cakes et la bsissa de Siwa. Je l’emploie aussi pour orner la surface de pâtisseries avec des dattes coupées en petits morceaux », dit hadja Afaf, qui vante par ailleurs les vertus des noyaux broyés de dattes. Cette poudre, riche en fibres et en minéraux, peut, en effet, se substituer à la farine, notamment dans le Tguellanteini. « Ce dessert doit être malaxé pour obtenir une purée sucrée. J’ai l’habitude de le préparer lors des cérémonies familiales, surtout Al-Sebouë (septième jour après la naissance d’un bébé, ndlr). C’est l’un des desserts favoris des enfants de Siwa », ajoute hadja Afaf.

Intégrant les dattes dans de nombreux plats, la cuisine de Siwa est délicieuse, saine et bon marché.
(Photo : Mohamad Abdou)
Si les femmes de Siwa sont sensibilisées aux ingrédients naturels comme les dattes pour la confection de pâtisseries, les villageoises et des femmes cairotes ont tout autant intérêt à les utiliser. C’est dans cette logique que s’inscrivent les cours de sensibilisation de l’Institut de technologie alimentaire. « Nous organisons des ateliers et des séminaires au Caire et dans tous les gouvernorats pour sensibiliser les gens à la nécessité de manger et de boire des produits alternatifs sains et délicieux à la fois, en utilisant et consommant tout ce qui est naturel », explique Dr Safaa Aly, directrice du Département de cuisine expérimentale à l’institut. Les substituts à disposition ne sont pas seulement sains et délicieux, mais coûtent aussi moins cher que l’original. Ainsi, le prix du kilo de farine s’élevait à 10 L.E. et celui du kilo de sucre à 20 L.E. au cours des mois passés, tandis que le kilo de dattes coûte 15 L.E. A partir d’un seul élément — la datte —, on obtient trois ingrédients que sont le sucre de dattes débess al-tamr, les noyaux, ainsi que les morceaux de dattes. On économise donc de l’argent. Ces alternatives ont notamment gagné du terrain suite à l’augmentation des prix après le flottement de la livre égyptienne en novembre 2016. Dr Safaa Aly relate les propos de certaines mères, qui lui disent par exemple : « Mes enfants aiment le cake, mais avec l’augmentation des prix du sucre et de la farine, nous avons remplacé le sucre blanc par débess al-tamr, et une partie de la farine par des noyaux broyés ». Ou encore : « Mes enfants adorent la Nutella, mais son prix dépasse les 50 L.E. Nous avons donc concocté du chocolat à la crème en utilisant le sucre de dattes et des noyaux broyés pour donner la couleur marron du cacao. C’est sain, bon et moins cher ».
La caféine fait partie intégrante du quotidien de nombreuses personnes, par exemple sous la forme de la tasse de café habituelle du matin. Or, cette substance est aussi addictive. Médicalement parlant, le café peut donc être mauvais pour la santé s’il est consommé en grandes quantités. Heureusement qu’il existe une alternative saine, utilisée notamment par les bédouins. « Le café de dattes ne renferme pas de caféine. Il réduit le taux de cholestérol et régularise le taux de glucose et d’insuline dans le corps, car il renferme des fibres solubles et insolubles qui jouent un rôle important pour les intestins. Ce café peut se consommer du matin au soir sans risques de troubles digestifs ou d’insomnies. En plus, son odeur et son goût sont très agréables », indique Dr Rabab Wahid, spécialiste en orientation agricole auprès du Centre des recherches agricoles.
L’artisanat

Sacs, accessoires, tapis : la datte et le palmier dattier permettent de confectionner une multitude d’objets artisanaux.
(Photo : Mohamad Abdou)
Des sacs en palmier, des accessoires en noyaux de dattes, des chapeaux, des paniers et des corbeilles en feuilles de palmier, des mini-chaises et des tabourets à base de tronc de palmiers dattiers. Ce sont de véritables oeuvres d’art. Comme celles qui sont exposées par Badawiya, une artiste de 14 ans, au sein de sa maison familiale à Siwa. Issue d’une famille pauvre, elle fabrique des objets artisanaux pour aider son père à subvenir aux besoins de ses frères et soeurs. Comme n’importe quelle habitante de Siwa, elle accueille les femmes qui voudraient acheter ses objets, « mais mon père refuse que je reçoive des acheteurs hommes. Ceux-ci sont donc accueillis par mon frère », dit Badawiya, qui porte le niqab. Renommée à Siwa pour son art professionnel, elle a créé une page Facebook pour présenter ses créations.
S’inspirant de l’art traditionnel des habitants de Siwa, qui confectionnent des produits à partir de palmiers et de noyaux de dattes, les femmes cairotes utilisent aujourd’hui les mêmes techniques. Il y a quelques mois, le ministère du Commerce et de l’Industrie a fondé un Centre de design et de mode, dont l’objectif est de valoriser le savoir-faire développé autour de la culture du palmier dattier et de présenter des opportunités d’investissement dans ce secteur artisanal rentable. Le centre propose un cursus de deux ans, clôturé par un diplôme et certifié par l’Institut Burgo en Italie. « Les cours sont donnés par des professionnels qui enseignent comment utiliser le palmier et les noyaux de dattes pour concevoir des objets artisanaux. Une manière aussi de réintégrer au marché de l’emploi les femmes au chômage », explique Aïda Zayed, directrice du centre.
Les cosmétiques
Les femmes de Siwa ont perfectionné l’art d’extraire l’huile des noyaux de dattes. Celle-ci est riche en vitamine E et efficace pour combattre la chute et stimuler la repousse des cheveux. Elle a par ailleurs un effet hydratant. « Quelques jours avant la cérémonie de mariage, nous broyons des noyaux de dattes, puis nous les mélangeons avec n’importe quel genre d’huile végétale, comme l’huile d’olive. Nous enduisons ensuite les cheveux de la mariée avec ce cocktail et le laissons agir pendant toute une nuit ou une heure au minimum », explique Adliya, une jeune habitante de Siwa, en décrivant les préparatifs de son propre jour de noces. « Cette huile est aussi utilisée pour faire pousser les cils et les sourcils », ajoute-t-elle, citant une astuce déjà utilisée par sa grand-mère .
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