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Redonner l’espoir de vaincre le cancer

Dina Darwich et Bouchra Chiboub, Lundi, 04 décembre 2017

Traiter un cancer est une épreuve très pénible. Pour aider les cancéreux à guérir, des bénévoles de l'ONG Cansurvive au Caire apportent un soutien psychologique aux personnes souffrant de cette maladie. Reportage.

Redonner l’espoir de vaincre le cancer
Une équipe de bénévoles fait le tour des hôpitaux pour soutenir les malades.

« Un malade atteint d’un can­cer n’a pas besoin d’une per­sonne pour s’apitoyer sur son sort, ni de quelqu’un de maladroit qui va lui rappeler que le cancer peut être synonyme de mort, mais plutôt d’un soutien pour pouvoir traverser les moments difficiles. Il a besoin qu’on lui donne cette force intérieure sans laquelle il est beau­coup plus difficile de s’en sortir. Et même si son temps est compté, il faut l’aider à profiter au maximum de la vie, car elle est précieuse et on ne vit qu’une fois ». Telles sont les paroles de Moustapha Ali, 29 ans, guéri d’un cancer et qui s’engage comme bénévole pour aider les per­sonnes souffrant de cette maladie. Lorsqu’il a appris, il y a 2 ans, qu’il avait un cancer, ce fut le choc pour lui et sa famille. Détresse psycholo­gique, sentiment d’impuissance, stress et anxiété, il a failli faire une dépression nerveuse. Quand sa fiancée l’a quitté après une longue histoire d’amour, il a souhaité en finir avec la vie. Son père, submer­gé par la tristesse, ne pouvait sup­porter de voir son fils souffrir. Seule sa mère a tenu bon. Son aide et son soutien psychologique ont sorti Moustapha du désespoir. Et c’est pour elle qu’il a décidé de résister à ce cancer et de tenter de le com­battre. Après deux ans de bataille, Moustapha confie qu’il est arrivé à vaincre son cancer grâce à sa déter­mination. Les souvenirs des 16 séances de chimiothérapie et de radiothérapie restent gravés dans sa mémoire. Si l’expérience par laquelle il est passé a été extrême­ment difficile, les enseignements qu’il en a tirés l’ont transformé. « Je me sentais comme un routard perdu qui devait traverser un long et pénible périple. Mais cette épreuve a éveillé en moi mes capa­cités humaines, notamment la volonté d’aider et de soutenir mes semblables. J’ai donc décidé de quitter mon travail de graphiste pour travailler comme indépendant et avoir le temps de rendre visite aux malades atteints d’un cancer, afin de leur apporter un soutien psychologique. Un soutien d’autant plus important que l’entourage des malades ne sait pas toujours com­ment réagir », confie Moustapha.

En fait, certains proches ont ten­dance à materner le patient, ce qui a souvent pour effet d’agacer ce der­nier. Il arrive aussi qu’ils soient maladroits, indifférents ou même qu’ils sollicitent un surcroît d’ef­forts de la part du malade, parce qu’ils sont incapables d’intégrer la réalité et la gravité de la maladie, trop angoissante pour eux. « Dans certains cas, le sentiment d’impuissance des proches est tel que cela peut les conduire à fuir. Personne ne peut comprendre ce que cela signifie, à l’exception des personnes qui sont passées par une telle expérience », ajoute Moustapha.

Aujourd’hui, Moustapha ne rate aucune occasion de rendre visite aux malades du cancer et de leur faire partager sa propre expérience. Tous les mercredis, il se rend ainsi au service d’oncologie de l’hôpital Qasr Al-Aïni, tandis que le vendre­di, il rend visite aux enfants atteints du cancer à l’hôpital Harmal, dans le quartier populaire de Dar Al-Salam. « J’ai choisi cet hôpital car les enfants n’y sont pas pris en charge comme il le faut. En ce qui concerne la couverture médiatique, seul l’hôpital 57357 en profite. Nous partons alors en tant qu’équipe constituée de personnes guéries du cancer et d’autres béné­voles pour rendre visite aux enfants malades, leur remonter le moral et jouer avec eux », raconte Moustapha. Et d’ajouter : « Je vois souvent un petit garçon qui souffre d’un syndrome dépressif et qui ne voulait parler à personne, même pas à ses parents. Il s’est même abstenu de manger après les séances de chimiothérapie, lorsque ses cheveux ont commencé à tom­ber. Quand je lui ai raconté mon histoire, j’ai réussi à briser son silence. Il avait du mal à croire que j’avais été guéri du cancer. Alors, je lui ai dit que s’il mangeait bien, il retrouverait sa santé et que ses che­veux allaient repousser dans un ou deux mois au maximum. Aujourd’hui, il m’attend chaque vendredi et nous passons ensemble d’agréables moments à faire des dessins », se réjouit Moustapha.

Des bénévoles face au cancer

Moustapha fait partie des 70 bénévoles qui s’engagent au sein de l’ONG Cansurvive, la seule asso­ciation en Egypte à offrir ce genre de soutien aux patients atteints du cancer, sans égard pour l’âge et le sexe. L’ONG a été fondée en 2010 par le Dr Mona Bahaa qui, atteinte d’une leucémie, s’est rendu compte qu’un tel soutien pour les malades souffrant d’un cancer était quasi­ment inexistant en Egypte. Aujourd’hui, l’équipe de bénévoles continue à porter le flambeau de cette inspiratrice, qui avait décou­vert sa maladie lorsque celle-ci était déjà au stade final et en est décédée. Selon Iman Mahmoud, responsable de l’ONG, le soutien psychologique est le mot-clé pour aider les personnes atteintes d’un cancer à récupérer, car la dépres­sion peut porter atteinte au système immunitaire, susceptible de perdre une grande partie de son efficacité. « D’après mon expérience avec les malades, quand le moral se dété­riore, le corps ne répond plus au traitement », déclare Iman, deve­nue bénévole après la mort de sa cousine suite à un cancer et avec qui elle a suivi toutes les étapes du traitement. « Après avoir fait des études en langue arabe, j’ai changé de voie pour travailler dans le social. J’ai compris, en restant au chevet de ma cousine, que les gens manquaient d’informations en ce qui concerne le cancer. Raison pour laquelle ils n’arrivent pas à apporter le soutien nécessaire à leurs proches atteints de cette maladie. Certains évitent même le malade, pensant qu’il est porteur d’un mauvais présage. D’autres évitent de se marier avec quelqu’un qui en a souffert, car ils craignent que la maladie ne soit héréditaire, bien que cela ne soit pas prouvé par les études. Une troisième catégorie va encore plus loin et pense que le cancer est une maladie conta­gieuse », poursuit Iman.

Asmaa Moustapha, 38 ans, elle aussi bénévole, partage cet avis. Elle raconte qu’à chaque fois qu’elle se déplace dans les hôpi­taux, elle est choquée lorsqu’elle discute avec les gens du cancer. « Ils répètent souvent Allah Akbar en fronçant les sourcils, comme s’ils voulaient faire fuir le diable. Quand ma mère est tombée malade, aucun de nos proches ne lui a rendu visite. Une parente a même dit qu’elle ne voulait pas s’exposer à des scènes choquantes en voyant ma mère sans cheveux », raconte Asmaa. Mais le plus difficile, c’est quand la famille proche délaisse la personne malade. Dans quel état sera-t-elle ? Aura-t-elle la force de lutter ? « A la troisième séance de chimiothérapie, le mari de ma tante l’a quittée, car il pensait qu’elle n’allait jamais guérir », ajoute Asmaa, qui a offert 50 cm de ses cheveux pour faire fabriquer des perruques aux patients.

Lutter contre l’ignorance

Le défi qu’affrontent les béné­voles qui oeuvrent à travers l’ONG Cansurvive est à la fois de fournir au public des informations scienti­fiques correctes concernant le can­cer et d’aider les patients à franchir cette étape de vie difficile. Ils utili­sent pour cela des moyens variés. Des séances de soutien psycholo­gique par exemple, lors desquelles des personnes guéries racontent leur histoire, ou des visites à domi­cile, quand l’ONG reçoit un appel d’un parent qui demande de l’aide à travers la ligne mise à disposition des familles. C’était notamment le cas de Réda, une femme au foyer qui ne voulait plus prendre son trai­tement après la deuxième séance de chimiothérapie. Atteinte d’un can­cer du sein et de l’utérus, elle esti­mait qu’il était inutile de lutter et avait décidé d’attendre la mort. Elle ne recevait de plus aucun soutien de la part de sa famille. « Nous sommes allés lui rendre visite pour lui raconter le parcours de personnes atteintes d’un cancer et qui ont pu guérir, alors que leur cas était bien plus grave. Nous l’avons aussi accompagnée aux séances de chimiothérapie. L’atmosphère joviale créée autour d’elle l’a aidée à changer d’humeur et à sortir du cercle vicieux du désespoir. Aujourd’hui, elle va beaucoup mieux, aussi bien moralement que physiquement », raconte un béné­vole qui a requis l’anonymat.

Par ailleurs, une équipe se rend dans les centres commerciaux, les clubs sociaux et divers événements organisés par l’ONG dans les hôpi­taux spécialisés dans le traitement du cancer. « On ne meurt pas à cause du cancer, mais parce que le bon Dieu en a décidé ainsi », assure Fatma Badawi, 60 ans, atteinte d’un cancer du sein depuis 6 ans. C’est cette conception qu’elle tente de faire comprendre à toutes les per­sonnes qu’elle rencontre, ainsi qu’à leurs proches. Vêtue de rose, cou­leur du cancer du sein, elle se déplace avec sa fille atteinte de tri­somie pour partager son expé­rience. « Chaque mois est consacré à un type de cancer lors des cam­pagnes de sensibilisation lancées par l’ONG ». Iman Ahmad, assis­tante sociale de 59 ans, s’engage elle aussi. Atteinte d’un cancer du sein depuis 23 ans, elle a décidé d’être bénévole après l’ablation de son second sein. Elle veut encoura­ger les patients à mener un train de vie normal et raconte que lorsqu’elle est tombée malade, sa fille avait à peine un an et demi. Elle devait l’emmener à la crèche et se dépê­cher pour aller faire ses séances de chimiothérapie. Sachant qu’elle allait être fatiguée durant les 48 heures qui suivent le traitement, elle préparait les repas de famille à l’avance. « J’ai appris à vivre avec le cancer. C’est une maladie chro­nique, comme le diabète ou l’hy­pertension, mais pas forcément mortelle, et j’ai appris à organiser ma vie tout en considérant le can­cer comme un compagnon dans ma vie. C’est à moi de m’adapter à sa présence. Accepter la maladie de cette manière est devenu une ten­dance aux Etats-Unis en matière de traitement de la maladie », dit -elle. Une philosophie qu’elle tente de transmettre lors de ses visites à domicile et dans les hôpitaux ou lors des séances de thérapie collec­tive organisées par l’ONG.

Si ces bénévoles déploient des efforts pour porter un soutien psy­chologique aux patients, d’autres sont chargés d’accomplir des mis­sions d’un autre genre. Ainsi, Mohamad Farid, coiffeur, offre de précieux services aux malades. Sa rencontre avec une petite fille au sein de l’ONG, qui avait perdu tous ses cheveux, restera à jamais gra­vée dans sa mémoire. La petite avait demandé à une femme qui avait les cheveux longs de lui en prêter un peu. Farid a été boule­versé. Aujourd’hui, ce coiffeur fabrique des perruques pour les patients contre une somme symbo­lique qui ne dépasse pas les 300 L.E. « Le prix d’une perruque fabriquée en cheveux naturels peut atteindre les 7 000 L.E. Cette somme n’est pas à la portée des personnes pauvres. L’ONG a donc lancé une campagne pour collecter des cheveux. Nous rassemblons ces touffes de cheveux, les lavons et les classons ensuite par longueur et couleur. Puis nous fabriquons les perruques », explique Farid, qui trouve dans ce travail un moyen d’atténuer la douleur des patients, et surtout de mettre un sourire sur leurs lèvres.

Des femmes se sont réunies autour d’une table au centre d’une grande pièce dans les locaux de l’ONG Cansurvive. Il s’agit du ren­dez-vous hebdomadaire consacré aux travaux artistiques. Un moyen pour elles de s’extérioriser et d’ou­blier la maladie. Des tableaux, l’un d’une belle femme sans seins et un autre d’une jeune fille sans che­veux, sont suspendus sur un mur. Des blagues sont lancées, les rires fusent et les discussions vont bon train. Mervat Adel, artiste et anima­trice, fait le tour de la table pour leur apprendre comment faire du crochet, des découpages, du dessin et de la peinture. « Nous aidons les malades à changer d’air et à se requinquer. Quand la personne s’occupe, elle ne passe pas son temps à broyer du noir. C’est le problème dont souffrait mon père, qui était un homme costaud et fort de caractère, mais n’avait pas de distractions. Quand il est tombé malade, il a perdu le moral, car il pensait tout le temps à la mort. Ici, on lutte contre le cancer par le biais de l’art », raconte Mervat. Comme tous les autres bénévoles qui s’en­gagent, elle sait par expérience que l’encadrement et le soutien psycho­logique des personnes atteintes du cancer peuvent faire la différence dans leur lutte contre la maladie.

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