Essam Al-Chérif, propriétaire du café Friends, est un activiste depuis la création du mouvement Kéfaya en 2004.
« Ce café a joué un rôle important dans le soutien logistique de la révolution. C’est ici qu’on pouvait garder les tracts, les pancartes et les banderoles. Durant les 18 jours de la révolution, on s’y rendait pour passer la nuit, manger ou boire et reprendre nos forces. A ce moment-là,
l’Egypte a été le point de mire du monde entier. Les citoyens se sont unis sans distinction idéologique ou confessionnelle », explique Khaled Awad, membre du Front libéral pour le changement pacifique.
Deux ans après la révolution, Awad continue de rêver d’un pays pour tous et de lutter contre l’Etat religieux. « On veut tout simplement retrouver l’identité libérale d’une Egypte qui réunit tous ses concitoyens », ajoute Awad.
Nous sommes dans le café Friends aux alentours du siège de la Bourse au centre-ville, les activistes de diverses tendances politiques se retrouvent chaque jour. C’est le lieu de rencontre des jeunes : du mouvement Kéfaya au mouvement du 6 Avril, à la Coalition des jeunes de Maspero, du Front des jeunes de la justice et de la liberté en passant par le Front libéral pour le changement pacifique.
Il est rare de croiser dans cet endroit des islamistes, car la mixité et le tabagisme sont autorisés.
La fumée du narguilé embaume le lieu. Trika, le garçon de café, se faufile avec agilité entre les tables. Il connaît tous les noms des activistes et leur penchant politique. Au premier abord, l’ambiance semble décontractée. Un groupe de jeunes gens des deux sexes va s’asseoir autour d’une table. Les uns se font la bise, d’autres se serrent la main. Leur accoutrement reflète également cette diversité. Héba, journaliste vêtue d’un jean moulant, taille basse, vient s’asseoir à côté de Abir, une consoeur qui porte le voile. Tout le monde se connaît. Rami, activiste copte, s’attable plus loin sans oublier de saluer Chérif, du mouvement du 6 Avril.
« Lorsqu’on a fondé le mouvement Kéfaya, on avait pour but la création d’un large front qui englobe la gauche, le courant islamiste et le courant libéral puisqu’on aspirait tous à la justice, la liberté et la démocratie. C’est pour ces valeurs que nous continuons aujourd’hui à résister au courant islamiste qui veut monopoliser tout le pouvoir. Les islamistes ne veulent plus se retrouver dans ce café comme avant, car les amis d’hier sont devenus des ennemis aujourd’hui », avance Chérif Al-Roubi, porte-parole du mouvement du 6 Avril.
Le décor du lieu semble refléter cet état rebelle. Des graffitis représentant les visages des martyrs du courant libéral servent de toile de fond. « Le peuple veut renverser le régime », ce slogan révolutionnaire est porté sous ce tag. Un grand écran rapporte les débats des activistes libéraux, de gauche et même des islamistes qui sont diffusés sur les différentes chaînes satellites, puisque la plupart des rencontres avec les médias ont lieu dans ce café. « Nous faisons confiance au propriétaire de ce café, qui est également un compagnon de lutte. On a beaucoup souffert sous l’ancien régime car la majorité des cafés ont été infiltrés.
Les propriétaires ou les garçons de café travaillaient pour le compte de la Sûreté d’Etat », confie Chérif Al-Roubi.
En effet, le café Friends (amis) a ouvert ses portes en 2009, deux ans avant la révolution. Le choix du lieu n’a pas été pris au hasard. La révolution est née au centre-ville. C’est ici également qu’on est parvenu à mobiliser les citoyens.
« Ces cafés ont été influents à tel point que Moufid Chéhab, ex-responsable au Conseil consultatif, a menacé d’y mettre le feu », se souvient Essam Al-Chérif, propriétaire du café et membre du mouvement Kéfaya et du Front libéral pour le changement pacifique.
Après la révolution, ce café est devenu un lieu de rencontre pour les activistes. « C’était dans ce café qu’on décidait des lieux des sit-in et manifestations et de leur organisation », assure Rami Kamel, activiste copte, fondateur du Front des jeunes de Maspero.
Un centre d’aide
Et ce n’est pas tout. Les parents des détenus ou des disparus se rendent dans ce café pour rencontrer les activistes et demander leur aide. Les journalistes sont souvent présents dans ce café à la recherche d’un scoop ou d’une nouvelle.
Des chansons rappelant l’esprit du 25 janvier continuent d’être diffusées, comme celle de Mohamad Mounir : « Comment peux-tu être aussi belle (l’Egypte) et accepter que je sois humilié ? ».
Analyses politiques, débats, critiques, on discute de tout. Ce soir, on parle des prochaines élections parlementaires et des moyens de contrecarrer les islamistes. Un nouveau défi que doivent relever les libéraux.
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