58 % des étudiants du cycle secondaire consomment du haschisch (cannabis), 28,5 % du bango (type de marijuana) et 22,7 % du Tramadol. C’est ce que révèle une étude faite par le Centre de désintoxication et de lutte contre la drogue. Ces chiffres concernent l’année scolaire 2016-2017 et avaient été publiés en juillet dernier. Une vraie sonnette d’alarme. Dr Amr Osman, directeur du Centre dépendant du ministère de la Solidarité sociale, confie que le phénomène concerne 2 millions d’étudiants et d’étudiantes dans 13 gouvernorats. Sur un échantillon de 5 048 lycéens dans 146 établissements scolaires répartis sur 13 gouvernorats (écoles secondaires et techniques), le gouvernorat de Guiza occupe la première place en matière de tabagisme, soit 19,8 %, ensuite le gouvernorat de Qéna avec un taux de 17,3 %, et en 3e place, le gouvernorat de Marsa Matrouh avec 15,1 %. Quant au Caire, ce taux est estimé à 15 %. Cette étude concerne des élèves dont l’âge varie entre 11 et 18 ans. Les chercheurs qui y ont travaillé affirment qu’au début des années 2000, l’âge moyen de la première consommation était de 17 ans. Aujourd’hui, il est passé à 11 ans. Et le plus grave, c’est que cela se passe à l’école.
Plusieurs cas avaient été révélés, et c’est ce qui a poussé le groupe de chercheurs à effectuer cette enquête. Par exemple, une adolescente de 15 ans a été accusée d’avoir caché une dizaine de cigarettes roulées dans son cartable. Un père a envoyé une plainte au ministère de l’Education, les informant que les camarades de son fils consommaient de la drogue au sein de l’école. Une dizaine d’élèves se sont écroulés sur scène lors des répétitions de la fête de fin d’année, après avoir consommé du haschich. Autre cas, un professeur a appelé la police après avoir constaté qu’un élève consommait de la drogue en classe. Et cet élève a été arrêté et renvoyé de l’école. Ces faits et d’autres, qui ont défrayé la chronique, confirment que le phénomène de la drogue dans les milieux scolaires est en train de se propager à une vitesse inquiétante. « Vente, achat et consommation se font en plein jour, au vu et au su de tout le monde. Les garçons, comme les filles, fument du haschisch ou consomment d’autres drogues dans les toilettes ou dans des coins cachés à l’école. Ils fument sans se cacher dans les écoles gouvernementales ou internationales.Ce qui diffère d’une école à l’autre, c’est le rigorisme et la vigilance de la direction », souligne Dr Abdel-Rahmane Hammad, ex-directeur de l’Unité de toxicomanie à l’hôpital de Abbassiya.
A l’origine de ce phénomène, plusieurs motifs, notamment le stress. Quelques mois avant les examens de la sanawiya amma (baccalauréat), qu’il redoutait tant, Ali a commencé à prendre du Tramadol (détourné pour ses effets opiacés). « C’est génial pour réviser, j’étais capable d’apprendre par coeur plus de 40 pages en une journée seulement. Je pouvais rester entre 20 et 30 heures sans dormir. Je me sentais comme un superman. Le Tramadol m’aidait à me concentrer », confie Ali. Cet étudiant de 17 ans, habitant Hadaëq Al-Qobba, consommait entre 8 et 12 cachets par jour. Suite à son addiction à la drogue, il a commencé par augmenter la dose, passant de 50, à 100, 150 jusqu’à atteindre les 200 mg. Quelque temps plus tard, il réduisait en poudre deux cachets et les sniffait. Ali ne s’attendait pas aux effets secondaires du Tramadol : une grande fatigue au quotidien, manque d’énergie, anxiété et insomnie. Du coup, son mode de vie a changé. « Avant, il était le premier de la classe. Aujourd’hui, ses 17 copains et lui, qui consommaient comme lui du Tramadol, ont échoué aux examens de fin d’année dans la plupart des matières. Son comportement a tellement changé qu’il a perdu tout contrôle sur lui-même. Il me menaçait souvent avec un couteau, frappait ses frères et soeurs et cassait les vitres et les meubles lors des disputes », se souvient sa maman. Ali était devenu comme un fou, il demandait tous les jours de l’argent pour s’acheter sa drogue. D’après un professeur qui a requis l’anonymat, il n’est pas facile de contrôler tous les élèves.
Plusieurs facteurs
En fait, cette hausse de la consommation de la drogue est due à de nombreux facteurs. D’après la psychiatre Iman Gaber, pendant l’adolescence, les jeunes sont en phase de personnalisation et sont très sensibles à l’égard de leur entourage. Ils peuvent être facilement influencés par les autres. « A titre d’exemple, un adolescent n’accepte pas de recevoir des ordres. Il veut montrer qu’il n’est plus un enfant, mais un adulte. Un ado pourrait consommer de la drogue pour imiter ses copains. Certains sont timides et ne peuvent refuser si un copain leur propose un verre d’alcool ou un joint. Il faut avoir suffisamment confiance en soi ou en la personnalité pour refuser », souligne Gaber. Elle ajoute que ces jeunes ne trouvent pas d’autres alternatives, comme des activités appropriées pour dégager leur énergie ou des programmes organisés par des spécialistes pour remplir le temps. En plus, il existe d’autres facteurs qui influent sur les jeunes ou provoquent du stress que certains cherchent à y échapper par n’importe quel moyen. La sociologue et experte dans les relations familiales, Hala Yousri, explique que la famille peut avoir une influence négative dans certains cas. Le divorce, le manque de discussion entre les membres d’une même famille et l’ignorance des parents concernant les méthodes d’éducation peuvent avoir des répercussions sur le comportement de l’adolescent. Il faut également mentionner le système d’enseignement que la société considère comme seul critère de succès et qui est un lourd fardeau pour les jeunes. « Dans mon cabinet, Je reçois des mineurs de couches sociales différentes (classe moyenne, huppée, défavorisée et même ceux qui vivent dans les bidonvilles). Je suis surpris d’entendre des enfants me dire que leur père ou leur mère ne leur ont jamais dit je t’aime. Et je découvre que beaucoup de parents ne se sont même pas rendus compte que leur enfant consomme de la drogue depuis cinq ou six ans », dit Dr Hammad. Il précise que beaucoup d’adolescents ont des problèmes familiaux : divorce ou encore absence des parents. Le père travaille 24 heures sur 24 ou se trouve dans l'un des pays du Golfe pour gagner de l’argent, afin de garantir un meilleur avenir pour ses enfants. Donc, il existe une grande fragilité chez les jeunes. Ce dernier ajoute qu’il y a aussi l’influence du cinéma qui montre des scènes jouées par des acteurs, considérés comme des idoles et que les jeunes vont imiter. Ils vont boire et fumer pour ressembler à la star qu’ils admirent, car dans beaucoup de films et feuilletons, on voit les vedettes faire cela. « J’ai commencé à prendre de la drogue le matin, juste pour être bien éveillé et me sentir en forme durant la journée scolaire. Si j’oublie d’en prendre, je somnolerai en classe », se souvient un élève.
Les filles comme les garçons
D’après Ahmad Abdel-Ghani, un chercheur parmi le groupe de l’étude, ce phénomène touche les filles comme les garçons et s’est propagé dans toutes les couches sociales. Il suffit de se rendre devant les différentes écoles, les établissements d’enseignement comme les centres des cours particuliers et les clubs sociaux, pour constater que fumer du haschisch, du bango ou de la cocaïne est assez fréquent. « Les scènes se ressemblent, un groupe d’étudiants se passe un joint tandis que d’autres attendent le moment de la récréation ou l’absence d’un professeur pour sortir de la classe et se rouler un joint. Certains cachent la drogue dans leurs sous-vêtements ou dans les poubelles et fument du haschisch dans les toilettes. Dans certains endroits, il y a des trous dans les murs qui cernent l’école, le dealer est derrière, on ne le voit presque pas, les élèves (garçons et filles) font la queue, ils attendent leur tour pour acheter un morceau de haschich. L’âge de ces jeunes varie entre 11 et 17 ans », ainsi rapporte Abdel-Ghani, les témoignages des professeurs et des responsables des différentes écoles.
D’après Dr Tamer Hosni, médecin spécialiste des drogués, « les élèves à cet âge préfèrent acheter des drogues pas chères, convenant à leur argent de poche, comme le Voodoo et le Stroks, très en vogue actuellement. Des drogues faciles à fabriquer par les jeunes et leur prix est dérisoire : le morceau coûte entre 10 et 15 L.E. ». En fait, la génération actuelle peut facilement échapper à tout contrôle, surtout que le marché de la drogue est florissant et que les dealers changent souvent de stratégies. Ces derniers connaissent parfaitement le monde des jeunes et savent comment les apprivoiser. « Actuellement, les réseaux sociaux sont des moyens de communication entre les dealers et les jeunes clients, et c’est le cas partout à travers le monde », dit-il.
« Si vous n’arrivez pas à vous concentrer, vous pouvez essayer quelque chose de plus efficace et qui va vous donner de l’énergie … Un cadeau spécialement pour vous », un exemple de ce qui est diffusé sur une page Facebook qui propose différents types de drogues. Les fondateurs de la page sont des adolescents, vendeurs de drogue et qui affichent sans scrupule leurs produits. « Ici, sur notre page, nous expliquons tous les bienfaits du haschisch. Nous le vendons à un prix raisonnable qui convient à toutes les bourses. Durée de livraison : entre 24h et 48h », annoncent-ils sur la page. Cette page compte 31 667 j’aime et 1 000 personnes en parlent. Sans aucun doute, ce genre de vendeur tient à imiter les dealers internationaux qui ont créé des pages sur la drogue, il y a plusieurs années. « En 2015, un Californien a été arrêté et condamné à vie, car il avait créé en 2011 une page Facebook de vente de drogue sous le nom de Silk Road. Celui-ci a réussi à vendre ses drogues à des consommateurs du monde entier », se souvient Dr Hammad.
Campagne de sensibilisation
Face à ce constat, il reste à savoir quelles seront les mesures à prendre. Pour l’heure, le ministère de l’Education, en coopération avec le ministère de la Solidarité et le Centre de désintoxication et de lutte contre la drogue, ont lancé une campagne de sensibilisation et de lutte contre la drogue en milieu scolaire. Les responsables ont mis en place un programme intitulé Choisis ta vie. « Ce programme a été créé et concerne les 28 514 spécialistes sociaux représentant 4 648 écoles. Des séances d’informations seront organisées pour sensibiliser les élèves, les professeurs et les parents tout au long de l’année scolaire 2017-2018. Des ateliers seront mis en place afin de sensibiliser les jeunes collégiens aux dangers liés à l’usage des drogues, les conséquences de la toxicomanie sur la santé mentale et physique », affirme Ahmad Abdel-Ghani, un des spécialiste travaillant auprès du Centre de désintoxication et de lutte contre la drogue, qui ont participé à élaborer l’étude. Car, comme l’a déclaré Ghada Wali, ministre de la Solidarité, « la lutte contre les stupéfiants constitue une priorité absolue pour la sécurité des mineurs. La jeunesse c’est l’avenir de notre pays, la jeunesse c’est la relève de demain ».
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