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Ces jeunes en quête d’expériences nouvelles

Hanaa Al-Mekkawi, Mercredi, 19 juillet 2017

Ils sont encore étudiants, généralement issus de la classe moyenne élevée, désirant découvrir le monde du travail, préparant déjà leur future carrière ou voulant tout simplement se faire un peu d'argent. Ce sont les jeunes qui ont choisi de travailler pendant leurs vacances d'été. Un phénomène en expansion qui reflète un certain changement dans la société.

Ces jeunes en quête d’expériences nouvelles

« Que puis-je faire pour vous aider ? Vous voulez un conseil pour choisir ce que vous voulez commander ? ». Le jeune garçon de café semble tout à fait à l’aise avec les clients. Pourtant, c’est un novice. Soudain, un groupe de jeunes gens attablés braquent leurs regards sur lui, à la fois surpris et ravis. Et pour cause, Adham, le garçon, est leur collègue à l’école. Ces jeunes lycéens ont passé quelques minutes à interroger leur camarade de classe à propos de son travail au restaurant, ils ont même pris des photos avec lui, le traitant comme une super star. Comme tous les lycéens, Adham, qui passe en terminale, est en vacances. Après son bac, il compte faire des études de business afin de mieux comprendre le monde du commerce et pouvoir créer son propre projet, qui sera probablement un restaurant. Suivant les conseils de son père, directeur dans une compagnie pétrolière, il a décidé de se mettre dès maintenant dans le bain pour découvrir ce monde. « Mon père m’a dit que rien ne vaut la pratique », dit Adham. Du coup, ce dernier a décidé de sacrifier ses vacances et expérimenter le monde du travail, une façon de se préparer pour réaliser, plus tard, le projet de ses rêves. En plus de l’expérience, Adham touche un salaire mensuel de 1 500 L.E. par mois, ce qui le satisfait même si le prix est de se priver de vacances.

Ce jeune homme fait partie de nombreux autres que l’on rencontre ici et là en train de chercher une chance de travail pendant un ou plusieurs mois de l’été. Ils sont généralement âgés de plus 18 ans, c’est-àdire qu’ils ont dépassé l’âge de l’enfance et la loi de l’interdiction du travail des enfants ne s’applique pas à eux. Encore étudiants en général, et souvent issus de la classe moyenne élevée, ils ne sont pas à la recherche d’un travail stable, mais plutôt de petits boulots, et ce, à plusieurs fins. Cependant, il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre réel de ces jeunes travailleurs, car ils travaillent de façon temporaire, voire illégale.

Cela dit, c’est une main-d’oeuvre recherchée. « J’attends impatiemment que les vacances commencent pour faire travailler ces jeunes vu leur éducation et leur comportement qui conviennent très bien avec la clientèle de mon restaurant. Ils sont du même âge et du même niveau social, ce qui fait que le courant passe immédiatement et que ça se passe généralement bien », dit Alaa, directeur et propriétaire d’un restaurant à Héliopolis. Ce dernier commence à recevoir les demandes d’emploi dès le mois de janvier, et chaque année, le nombre augmente, dit-il.

Plusieurs nouveautés

En effet, c’est dans la restauration que ces recrutements sont nombreux. A quelques mètres du restaurant de Alaa, une dizaine d’autres restaurants et cafés à thème accueillent tous une clientèle jeune, et les services sont offerts par des jeunes. Car le concept et la mode de la bouffe et des sorties ont beaucoup changé et se sont développés au cours de ces dernières années.

Auparavant, la majorité des jeunes qui travaillaient pendant les vacances étaient issus de familles démunies. Ils étaient obligés de passer tout l’été à travailler dans n’importe quel domaine pour gagner de l’argent afin d’aider leur famille ou assumer leurs frais de scolarité. Le travail des jeunes avait pour objectif de les aider à survivre, et bien que cette situation persiste, il y a de nouvelles catégories de la société qui ont rejoint le système de travail pendant les vacances mais pas comme obligation à cause du manque de moyens. « Travailler pendant un seul mois de vacances était le meilleur et le plus rapide moyen de gagner une bonne somme d’argent. J’ai choisi de travailler comme chauffeur dans une compagnie privée de transport qui m’a offert un très bon salaire. Cet argent avec une autre somme que j’avais économisée vont me permettre enfin de posséder une nouvelle version de mon téléphone portable IPhone », déclare Omar, 20 ans, qui a décidé de sacrifier une partie de ses vacances pour réaliser son rêve de changer son cellulaire par un autre plus sophistiqué. Bien que les parents de Omar refusent de lui donner de l’argent pour acheter le téléphone qu’il veut, car il en avait déjà un de la même marque en très bon état, sa maman a accepté de lui laisser sa voiture pour l’utiliser dans son travail, voulant lui donner la chance de travailler et de savoir qu’on doit faire des efforts pour gagner de l’argent. « Il peut changer d’avis et sentir qu’il n’a pas besoin de dépenser des milliers de livres pour acheter un téléphone. De plus, ce travail va lui donner la chance de mieux connaître les routes, et le plus important est qu’il va avoir à faire avec plusieurs genres de passagers. Ce sera une bonne expérience pour lui », estime Amina, la maman de Omar, professeur. En fait, Omar a été encouragé par sa cousine âgée de 22 ans, étudiante à la faculté de commerce et qui travaille depuis l’âge de 17 ans pendant les vacances comme vendeuse dans une grande chaîne de produits électroniques. Elle voulait économiser de l’argent pour voyager à l’étranger et faire du tourisme.

Certains jeunes veulent préparer leur carrière. Dans ce cas, c’est l’expérience qui importe et non pas l’argent, car en général, ces métiers sont non payés. « C’est à cause de mon travail d’été dans une banque que j’ai décidé de ne jamais faire cette carrière dans ce domaine, alors que mon père, qui est banquier, voulait que je suive ses traces. J’ai découvert un monde totalement différent de l’idée que je m’en faisais. Et je n’ai pas du tout aimé », explique Raghda, étudiante en troisième année à la faculté d’économie et de sciences politiques. Selon elle, une telle expérience avant la fin des études est enrichissante. Elle lui a surtout permis de gagner du temps. Maintenant, elle sait qu’elle doit chercher une autre carrière. Cette année, elle va travailler dans un hôtel, au sein du service de l’organisation des évènements.

Une société en mutation

En fait, le regard de la société a beaucoup changé à l’égard du travail des jeunes issus de la classe moyenne et de la classe moyenne supérieure. Par exemple, certains métiers étaient considérés comme inconvenables, comme celui de chauffeur, de garçon de café, ou de vendeur. Ce n’est plus tout à fait le cas. Par ailleurs, travailler avant la fin des études était réservé aux défavorisés, à ceux qui ont besoin d’argent. Aujourd’hui, les choses évoluent. D’un côté, il y a ces jeunes conscients que le marché du travail est de plus en plus concurrentiel et exigeant et qui veulent avoir le maximum d’atouts et d’expérience à leur compte. De l’autre, il y a ceux qui sont à la recherche de plus d’autonomie et d’indépendance financière, à l’heure où les leurs parents croulent sous les énormes responsabilités financières. Mais il y a aussi les parents qui ne supportent plus l’oisiveté de leurs enfants. « J’encourage mon fils âgé de 19 ans à travailler pendant les vacances, car je ne supporte pas le voir perdre son temps pendant toute la nuit à jouer aux jeux vidéo, puis dormir toute la journée. Il ne lit pas, ne fait ni sport, ni aucune autre activité intéressante », explique Gamal, comptable, qui a pu convaincre son fils de travailler comme réceptionniste dans une compagnie. Il travaille sept heures par jour pour un salaire de 850 livres par mois. Gamal luimême voulait travailler pendant ses vacances lorsqu’il étudiait à l’université dans les années 1960, mais son père avait complètement refusé l’idée en lui disant qu’ils n’avaient pas besoin d’argent. « Pour mon père, c’était une humiliation », raconte Gamal, qui, lui, voit les choses de manière complètement différente. Ainsi, cette tendance croissante de travail saisonnier a encouragé certains à créer des pages sur Facebook et des sites web afin de coordonner entre les demandeurs d’emplois et les recruteurs. Waset.com et indeed.com en sont l’exemple.

Des valeurs trop matérialistes ?

Selon le pédagogue Kamal Moghith, si cette tendance se confirme, c’est tout en faveur des jeunes. « Il existe un fossé entre les études et les exigences du marché du travail. Et beaucoup de jeunes en sont conscients. Ils essayent donc d’acquérir de nouvelles connaissances avant de confronter la vie professionnelle ». Selon Moghith, ce phénomène n’est pas nouveau, mais il a changé de forme. Après une période très conservatrice à l’époque de Nasser, celle de Sadate a témoigné d’une grande ouverture sur le monde extérieur. A l’époque, les jeunes issus des classes moyennes allaient travailler en été à l’étranger. « Je me rappelle très bien que mes amis et moi faisons tout pour réussir à économiser 50 dollars, une somme qui valait 200 livres à l’époque, pour partir en France. En général, c’est ce pays, l’Angleterre et la Grèce qui accueillaient les jeunes qui travaillaient dans les cafés ou les marchès ». Quant à la sociologue Nadia Radwan, elle estime que travailler alors qu’on est encore étudiant permet à ces jeunes de développer leurs compétences, mais aussi leurs expériences. Ils apprennent aussi à respecter les valeurs de l’argent et du travail. Selon elle, en revanche, on vit une société en pleine mutation, devenue beaucoup trop matérialiste, et « le revers de la médaille, c’est que tous les objectifs des jeunes sont devenus matériels. Leurs convictions sont toutes basées sur un seul concept : c’est l’argent et uniquement l’argent qui va leur faciliter la vie ».

Du côté des entreprises, c’est un autre calcul. De nombreuses entreprises embauchent des jeunes pendant l’été pour les entraîner puis les embaucher après la fin de leurs études. « On fait de l’effort et on se dirige nous-mêmes vers les universités pour sélectionner les étudiants. On choisit ceux qui peuvent être distingués dans notre domaine, on les entraîne très bien pendant les vacances et on essaye de leur donner de bons salaires afin d’en profiter plus tard », explique Asmaa, responsable des ressources humaines dans une compagnie de programmes informatiques.

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