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La route de la mort

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 13 juin 2017

Plus de 120 000 réfugiés syriens se sont installés en Egypte, selon les chiffres du HCR. Une grande partie d'entre eux entre en Egypte par la frontière soudanaise. Mais avant d'arriver, ils ont dû braver bien des dangers. Certains d'entre eux ont accepté de raconter leur périple. Témoignages.

La route de la mort
(Photo : AFP)

Gare d’Assouan. Abou-Ammar, un pâtissier de nationalité syrienne, attend l’arrivée du train en provenance du Soudan. Sa mère, âgée de 74 ans, et d’autres compatriotes qui ont fui la guerre civile en Syrie sont à bord. Une dizaine de personnes débarquent, mais sa mère n’en fait pas partie. On lui apprend qu’elle a succombé à ce long et pénible voyage. Abou- Ammar va passer 4 jours à chercher son corps dans les morgues des hôpitaux publics d’Assouan et de Marsa Alam, des villes proches de la frontière égypto-soudanaise. Après une longue recherche, il parvint enfin à le retrouver avec d’autres cadavres. « J’ai appris par la suite que ma mère est morte dans un accident de voiture. Elle voulait échapper à la mort en Syrie, elle a connu une mort encore plus atroce, son corps a été jeté dans le désert », déplore Abou-Ammar, les larmes aux yeux.

Ce n’est pourtant qu’une histoire parmi d’autres. Des histoires effroyables sont rapportées tous les jours par les Syriens qui tiennent à raconter ce qu’ils ont enduré, après avoir pris la décision de quitter leur pays et fuir la guerre et ses atrocités. Mais avant d’arriver à leur destination, l’Egypte, ils doivent traverser le désert du Soudan ou « la route de la mort » comme ils l’ont surnommé. « Tenter de sauver notre vie en défiant la mort à chaque instant », c’est la phrase qui revient à la bouche de tous les Syriens qui sont passés par cette expérience et qui en décrivent les dangers bravés lors de ce long et pénible périple. Tous disent que puisqu’ils ont échappé à la mort en Syrie, pourquoi ne pas la braver encore une fois ?

Sélim n’a jamais voulu quitter son pays. Il se disait prêt à supporter les conditions les plus difficiles en attendant que la guerre finisse. Mais, un jour, sa maison a été détruite par un obus. Sous le choc, l'une de ses filles est devenue muette. Ce jour-là, il a décidé de quitter son pays pour s’installer en Egypte, notamment pour soigner ses enfants traumatisés par la guerre. Il a pris l’avion à destination de Khartoum, capitale du Soudan, un pays qui n’exige pas de visas pour les Syriens. Une fois arrivés à destination, Sélim et sa famille ont passé une nuit dans cette capitale avant de prendre un bus le lendemain pour se rendre à Port-Soudan. Ce trajet a duré environ 12 heures. Hommes, femmes, enfants et leurs bagages étaient entassés comme des sardines dans un camion qui roulait à vive allure sur des routes non asphaltées, sinueuses et caillouteuses. Puis, le camion s’est arrêté à un lieu précis où un autre véhicule les attendait pour les conduire à Halayeb, première ville située à la frontière égypto-soudanaise. Ce trajet a duré de longues heures et pouvait à tout moment se terminer par une catastrophe, car le chauffeur roulait à 180 à l’heure en prenant des détours pour éviter les brigands.

La mort omniprésente

La route de la mort
Les conditions de vie dans les camps sur les frontières poussent des Syriens à prendre le risque de fuir vers Egypte à travers le Soudan. (Photo : AFP)

« Nous avons connu toutes sortes de peur : la peur de faire un accident de la route, de perdre l’équilibre et tomber, car le plateau du véhicule n’était pas équipé d’un grillage. La crainte d’être arrêté par des brigands qui pouvaient violer nos femmes et nos filles ou nous délester de notre argent, sans compter les gardes-frontières des deux pays qui n’hésitaient pas à tirer sur tout ce qui bouge », raconte Mohamad, boulanger. Et d’ajouter : « Nous sommes arrivés devant un massif montagneux. Le chauffeur s’est arrêté et nous a demandé de descendre puis d’escalader ce mont escarpé pour passer en territoire égyptien. Cela nous a pris une heure et demie pour atteindre la cime et dévaler l’autre flanc. Les hommes devaient monter et descendre plusieurs fois pour aider les femmes et les enfants et transporter les bagages ». A ce stade-là, Sélim se considère chanceux, car d’autres Syriens ont été délestés de leurs biens en ce lieu bien précis.

Une fois la montagne dévalée, ce groupe de Syriens s’est trouvé dans la ville de Halayeb où un autre véhicule les attendait pour les conduire dans des maisons habitées pour se reposer quelques heures ou passer la journée. Le temps paraissait interminable pour ces rescapés de la mort qui crevaient de faim et risquaient d’être arrêtés par les gardes-frontières à tout moment. « Notre sort était entre les mains des passeurs qui n’hésitaient pas à nous escroquer ou soutirer le maximum d’argent, et ce, sans avoir pitié de nous. Pour eux, nous étions une marchandise et non pas des êtres humains », ajoute Sélim.

Prêts à reprendre la route, le groupe va embarquer dans un autre camion qui va les conduire à la gare de la ville d’Assouan pour prendre le train à destination du Caire. A ce stade, c’est le soulagement pour tout le monde, car le groupe se trouvait à quelques kilomètres du Haut- Commissariat aux Réfugiés (HCR). Là, on va leur remettre leurs cartes jaunes de réfugiés, ce qui leur permettra de se déplacer à leur aise en Egypte. Arrivés à destination, les réfugiés sont accueillis par leurs compatriotes déjà installés au Caire, à Alexandrie ou d’autres villes. Ces derniers les aident à s’intégrer, à trouver un logement et du travail. « On a dépensé énormément d’argent pour arriver à ce stade, mais nous sommes heureux de nous sentir en sécurité ici », déclare Mohamad, 48 ans. Ce Syrien a été obligé de vendre ses voitures et le magasin qu’il possédait à des prix dérisoires pour pouvoir rassembler la somme d’argent nécessaire pour faire ce pénible trajet. Au début, il pensait que le seul problème qui pourrait se poser pour lui est de trouver les bonnes personnes qui vont l’aider à passer les frontières. Mais, dès qu’il avait posé la question à l'un de ses proches, ce dernier n’a pas hésité à lui refiler des noms. Quant aux informations, il les a obtenues à travers Internet. « Il existe plusieurs sites pour entrer en contact avec des passeurs. L’important, c’est d’avoir la somme nécessaire, mais surtout réussir à quitter la Syrie ». Une chose qui n’est pas simple, d’après Mohamad. Ce dernier raconte qu’avant de quitter sa ville, la situation était catastrophique. De plus, il recevait sans cesse des menaces de mort de la part des différentes fractions en conflit. Certains le sommaient de ne pas quitter le pays, d’autres lui demandaient de partir et un troisième groupe lui demandait de prendre les armes et de lutter à leurs côtés.

Un vrai business

La route de la mort
Pour fuir la guerre, les Syriens prennent toutes sortes de risque. (Photo : AFP)

Alors, pour fuir, il a fallu trouveres astuces, et surtout choisir le moment propice. « Ce jour restera à jamais gravé dans ma mémoire. La veille, notre maison et celles de nos voisins ont été détruites par des barils d’explosifs. Nous avons passé la nuit à la belle étoile, nous n’avions pas fermé l’oeil. A l’aube, nous avons commencé à bouger. Pour sortir de notre quartier, il a fallu marcher sur des corps déchiquetés par les explosions de la veille », relate Mohamad, sans pouvoir retenir ses larmes. Avec les dollars qu’il avait en poche, ce dernier a réussi à franchir tous les check-points et quitter le territoire syrien. Sans glisser de l’argent, il n’aurait jamais pu avancer, se rendre en Egypte ou un autre pays. Cela est devenu un business pour tout le monde. A commencer par le billet d’avion à destination de Khartoum qui coûte 200 dollars, puis le séjour au Soudan, les différents transports, les honoraires des passeurs et des chauffeurs, estimés à environ 10 000 dollars. Sans oublier les mauvaises rencontres qui pouvaient les surprendre comme les coupeurs de route. Et certains passeurs malhonnêtes qui réclament plus d’argent bien que la somme soit fixée à l’avance. Rami, 32 ans, raconte qu’il a été abusé par toutes ces personnes au cours de son périple en solitaire, car sa famille se trouvait déjà au Caire. Il est arrivé à Assouan avec dix dollars en poche. Et sans pitié, le passeur égyptien lui a menti sur le prix du billet de train. « Grâce à Dieu, ma femme m’attendait à la gare Ramsès au Caire, car je n’avais plus aucun sou en poche », ajoute Rami, qui n’avait pas vu sa femme et sa fille durant deux ans.

Pourquoi l’Egypte ?

La route de la mort
La rue des Syriens au 6 Octobre. (Photo:Mohamad Adel)

En fait, c’est à partir de l’année de 2013 que les Syriens qui voulaient échapper à la guerre ont dû suivre cette voie. A cette date, les autorités égyptiennes avaient imposé des visas aux Syriens, alors qu’ils en étaient dispensés. Selon un responsable au ministère des Affaires étrangères qui a requis l’anonymat, l’Egypte ne pouvait continuer à accueillir autant de citoyens syriens sans contrôler ou limiter leur nombre, et ce, pour des questions de sécurité, à cause de la situation instable qui sévit encore dans toute la région. « Cette décision a poussé les Syriens à chercher des moyens illégaux et dangereux pour se rendre en Egypte en traversant le Soudan, ce qui a créé un trafic et commerce fructueux, surtout que 90 % des demandes de visas pour l’Egypte sont rejetées », explique Firas Al-Haj, avocat syrien et activiste dans le domaine des droits de l’homme.

Mais pourquoi l’Egypte ? La réponse à cette question est la même. La communauté syrienne cite un nombre de raisons justifiant leur choix : Tout d’abord, le coût de la vie en Egypte est considéré raisonnable en comparaison à d’autres pays. La langue et les coutumes qui ne sont différentes entre les deux peuples, ce qui facilite l’intégration. De plus, le marché en Egypte est immense et présente des opportunités de travail. Cependant, les autres alternatives se limitaient entre le choix de rester en Syrie et attendre de mourir à n’importe quel moment, ou se rendre en Turquie qui accueille les réfugiés dans des camps sur les frontières et dans des conditions de vie difficiles. Un autre choix, celui de se rendre au Liban, ce qui n’est pas très apprécié par beaucoup de Syriens, comme l’explique Abou-Ammar. Selon lui, les Libanais n’ont jamais oublié que les Syriens ont un jour occupé leur territoire. Ils ne présentent ni beaucoup d’aide aux réfugiés, ni leur font sentir qu’ils ne sont pas les bienvenus. « L’Egypte reste l’endroit de prédilection des Syriens, soit pour s’y installer, ou servir de transit avant de se rendre en Europe », explique Haj.

D’après les chiffres annoncés par le HCR, le nombre de réfugiés syriens a atteint les 120 121 personnes à la fin du mois de mars 2017. Des citoyens qui continuent à prendre tous les risques pour arriver en Egypte, aspirant à commencer une nouvelle vie. « Malgré toutes ces difficultés énormes, cela vaut la peine de faire ce voyage », dit Khaled, qui a été arrêté il y a un an par les gardes-frontières égyptiens et mis en prison avant d’être expulsé au Soudan. N’ayant rien à perdre, ce dernier s’est rendu en Turquie pour travailler et ramasser de l’argent, puis a refait le chemin pour rejoindre sa famille en Egypte. Khaled, qui est sans papiers et vit dans la clandestinité, affirme que si on l’arrête de nouveau, il est près à recommencer mille et une fois jusqu’à ce qu’il parvienne à son but : celui de vivre dans la légalité.

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