Dans la cuisine d’Oum Ahmad, les provisions pour le mois du Ramadan sont déjà entassées sur une étagère à laquelle personne n’a le droit de toucher avant que le mois du jeûne ne commence. « Je prépare les provisions du Ramadan depuis longtemps, afin de ne pas leur consacrer un budget spécial. A chaque fois que j’achetais du riz, du sucre ou de l’huile, j’en mettais la moitié de côté. De cette façon, je n’aurai pas beaucoup de dépenses à faire au début de ce mois », raconte Oum Ahmad, une mère de famille qui doit nourrir toute sa famille avec un budget de 2 000 L.E. par mois. Oum Ahmad s’organise, car elle sait très bien que, contrairement à l’esprit initial du Ramadan censé être le mois de privation, la consommation de la nourriture s'y décuple. Le Centre d’informations du conseil des ministres a effectué des recherches sur le montant des dépenses des ménages pendant le mois du Ramadan. D’après ces recherches, les dépenses des ménages s’élèvent à 30 milliards de L.E., ce qui équivaut à 15 % de leurs dépenses annuelles.
« Après une longue journée de jeûne, il faut bien se nourrir et manger des protéines. C’est pour cela que j’ai pensé à faire de l’élevage de volaille chez moi dans un petit coin du balcon. Il y a 2 mois, j’ai acheté une quinzaine de poussins, et c’est grâce à cela qu’au début du Ramadan, nous pourrons manger du poulet. Je vais aussi pouvoir faire manger des oeufs au sohour à mes enfants qui jeûnent et qui ont besoin d’aliments nutritifs », explique Fatma, 35 ans, dont le mari est ouvrier dans une usine à la cité industrielle du 10 du Ramadan, et dont le salaire ne dépasse pas 3 000 L.E. « Cette année, on ne va acheter ni fruits secs, ni noix. C’est de la folie. Qui peut acheter des pistaches ou des noisettes à 400 L.E. le kilo pour faire des pâtisseries ou garnir des plats ? Je vais me contenter des dattes dont le kilo est à environ 30 L.E. Je suis aussi allée dans une usine de pâtisserie et j’ai acheté du sucre glucose qui donne un goût très sucré. Le kilo de sirop de glucose coûte environs 15 L.E., et un verre de ce sirop équivaut à un kilo de sucre qui coûte aujourd’hui 11 L.E. Enfin, pendant toute l’année, j’achète du lait chez une laiterie, je fais bouillir le lait et j’en retire la crème. Je la garde au congélateur, et avant Ramadan, je fais moi-même mon beurre pour faire les pâtisseries au lieu de l’acheter à 90 L.E. le kilo », déclare Safaa, institutrice. Le mois sacré du Ramadan est considéré comme un moment festif où la cuisine est mise à l’honneur. La nourriture abonde et les réunions familiales sont nombreuses. Les repas sont généralement composés de deux plats de viandes accompagnés de riz aux fruits secs, de feuilles de vignes farcies, de fatta (plat à base de pain, de riz, de viande et de sauce tomate). Les macaronis à la béchamel, les feuilles de brique farcies à la viande hachée sont aussi de la partie, sans oublier bien sûr les pâtisseries et les jus de fruits frais.
« Cette année, nous n’allons pas beaucoup recevoir à la maison. Je vais juste inviter le fiancé de ma fille et sa famille à cause des prix exorbitants des produits. L’iftar va me coûter au minimum 800 L.E. Pour ce qui est de la famille proche, chacun va préparer un plat et nous nous retrouverons une fois par semaine pour ne pas alourdir les charges », souligne Zeinab, femme au foyer. Celle-ci signale également que les plats de l’iftar ne seront pas très copieux et les quantités de viandes et de volailles seront inférieures à celles des années précédentes.
Diminuer les protéines animales
Face à la hausse des prix, les femmes sont à la recherche de solutions inédites. (Photo : Mohamad Maher)
La hausse du dollar et la baisse du pouvoir d’achat ont impacté tous les domaines de la vie, y compris la nourriture. Les prix des viandes et des volailles ont augmenté d’au moins 40 %. Par exemple, le kilo de viande rouge est vendu à 75 L.E. dans les points de vente du ministère de l’Approvisionnement, alors qu’il était à 50 L.E. au Ramadan dernier. Et le prix d’un kilo de poulet est aujourd’hui de 30 L.E., alors qu’il était de 19 L.E. l’année dernière. Des prix incomparables, cependant, aux prix des boucheries, où le kilo de viande rouge atteint aujourd’hui les 130 L.E.
La recherche d’alternatives est tellement en vogue à cause des conditions économiques que des programmes télévisés sur l’art culinaire comme le programme Ala Add Al-Ide (selon vos moyens) et Matbakh Ghalia (la cuisine de Ghalia) sont apparus. « J’ai appris de ces programmes et de certaines pages Facebook beaucoup de recettes économiques comme les koftas à base de lentille ou d’aubergine au lieu de la viande hachée. Mon mari n’a su reconnaître le contenu du plat que lorsque je lui ai dit qu’il n’y avait pas du tout de viande. J’ai aussi essayé une recette succulente de fatta à l’aubergine au lieu de la viande, et depuis que je fais les pâtes au four avec des légumes au lieu de la viande hachée, mes enfants en réclament toujours », se vante Farida. Cette maman n’est pas la seule qui commence à découvrir qu’il y a des moyens économiques pour nourrir sa famille sans trop consommer de protéines animales.
Pour Salwa Al-Antari, secrétaire du comité économique du Parti socialiste égyptien, l’homme égyptien a de tout temps laissé à la femme la gestion du foyer, des comptes, et de l’éducation des enfants. Des tâches importantes, voire primordiales que les femmes réalisent avec conscience depuis toujours. Selon Rachad Abdel-Latif, professeur de sociologie à l’Université de Hélouan, de nombreuses recherches sociales ont abordé l’importance du rôle de la femme égyptienne lors des crises financières. Qu’elles soient issues de la classe populaire ou de la classe aisée, qu’il s’agisse de jeunes mariées ou de mères de famille, les femmes ont toujours su se montrer inventives et débrouillardes dans les moments de crises. « La femme tente constamment de créer un équilibre entre le salaire de son mari et le prestige social de sa famille. Ainsi, certaines femmes des quartiers riches vont faire leurs courses dans des marchés populaires pour faire des économies et pour que leurs familles n’aient pas l’impression qu’elles ont été privées de certains mets à cause de la hausse des prix », décrit Abdel-Latif.
De bon matin, Samira, vêtue de vêtements confortables, prend sa voiture et se rend au souk de Aïn-Chams. Le trajet vaut la peine. 3 L.E. pour un kilo de pommes de terre, 3,5 L.E. pour le kilo d’oignons et au maximum 20 L.E. pour une pastèque de 7 kg. « J’habite à Héliopolis, et 10 jours avant le début du mois sacré, je fais toutes mes courses ici. Les prix sont inférieurs à ceux de mon quartier, ce qui me permet de ne pas avoir à changer le menu de ma table de fête », dit-elle. D’après elle, les marchands sont flexibles et marchandent volontiers.
Des marchés temporaires
Pour répondre à la demande du Ramadan, l’Etat est en train de lancer sur le marché une grande quantité de produits alimentaires, afin de faire face au monopole des grandes entreprises. Les points de vente affiliés au ministère de l’Approvisionnement vont mettre à la disposition des citoyens 160 000 tonnes de sucre, de riz, de farine et de pâtes, 850 000 cartons de bouteilles d’huile, 15 000 tonnes de viandes fraîches et congelées et 23 000 poulets à des prix abordables, car les produits sont subventionnés par l’Etat. Mamdouh Ramadan, porte-parole du ministère de l’Approvisionnement, déclare que pendant tout le mois du Ramadan, des marchés temporaires seront installés au Caire dans une vingtaine de quartiers et dans les différents gouvernorats, pour garantir la disponibilité constante de ces produits. Adel Nasser, président de la Chambre de commerce du Caire, annonce que les prix des produits vendus sur ces marchés temporaires seront réduits de 25 %. Parmi les produits importés et qui sont étroitement liés au Ramadan, il y a les fruits secs comme les abricots, les pruneaux et les figues, les fruits à coques comme les noisettes, les pistaches, les noix et le pignon. Ces produits reconnus pour leurs bienfaits sont une source de vitamines, de minéraux et de fibres. Il est conseillé d’en consommer avec modération pendant le Ramadan. Puisqu’ils sont importés, ces produits ne sont plus à la portée de la majorité de la population.
Quoi qu’il en soit, en temps de prospérité ou de crise, la femme égyptienne est toujours en quête d’astuces créatives pour subvenir aux besoins de sa famille et lui donner une vie meilleure, peu importe les sacrifices qu’elle devra faire.
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