« La maternité, ce n’est pas pour moi », lance Héba Sultan, une journaliste de 41 ans. Petite, elle n’a jamais joué à la poupée ou au papa et à la maman. Son enfance n’a pas été heureuse : une mère violente et un père souvent absent. Elle a grandi avec l’image d’une famille malheureuse et décousue qui supporte le pire jusqu’à ce que les enfants grandissent mais qui finit par divorcer. Elle et ses deux soeurs en ont souffert en silence. Elle ne se souvient pas d’un geste tendre, de mots doux ou d’encouragement. Raison pour laquelle, très tôt, elle s’est fait la promesse de ne jamais avoir d’enfant pour ne pas risquer de les faire souffrir. Manque de confiance et problèmes d’enfance se sont ajoutés à un caractère particulier. Un cocktail qui a eu pour résultat le sentiment de ne pas être capable d’élever un enfant, d’en faire une personne équilibrée, épanouie, stable émotionnellement, et surtout heureuse. « J’ai toujours su que je ne pouvais pas être une bonne mère et je ne voulais pas infliger des souffrances à un enfant qui n’a pas demandé d’être mis au monde », dit-elle, tout en affirmant que son mari (ils sont mariés depuis 15 ans) était lui aussi d’accord pour ne pas avoir d’enfants. Lui, de son côté, adore son boulot et lui consacre la majorité de son temps. Quant à Héba, son style de vie actuel lui convient parfaitement et elle ne veut pas le changer. « Je n’avais pas envie de transmettre ma culture, mes valeurs et une partie de moi à un petit être qui me prendrait en exemple », dit-elle, en ajoutant : « Je n’ai pas non plus envie de me lever la nuit, de révolutionner mes centres d’intérêts, mes dépenses, mes loisirs et faire tourner mon monde autour de lui. Mes proches, mes amies et les gens que je fréquente me parlent constamment de leurs enfants. Je vois souvent cette lueur d’exaspération ou d’abattement dans leurs yeux », déclare Héba.
Selon elle, voir un enfant peu motivé dans sa scolarité, faire sa crise d’adolescence avec plus ou moins d’intensité, s’inquiéter pour son avenir et le voir rater des examens ne l’encouragent pas à devenir une maman. Elle ne voit vraiment rien qui puisse susciter cette envie en elle. Cette tranquillité d’esprit vaut de l’or. Pourtant, une femme qui ne veut pas d’enfant, cela ne passe pas souvent bien dans la société. Héba a tout entendu : Tu es stérile ? Ton mari n’en veut pas ou quoi ? Tu vas le regretter un jour. N’as-tu pas peur de te retrouver seule ? Comme s’il était inacceptable pour une femme de ne pas avoir d’enfant ! Elle constate que celle qui dit non à la maternité passe pour un être sans coeur ou une personne étrange. « Je repense à cette vieille femme qui habite à deux pas de chez moi. Elle a trois enfants et aucun ne lui rend visite. Alors donner naissance à un enfant ne garantit rien », dit Héba qui gère sa vie comme elle l’entend, apprécie sa liberté de mouvement et se consacre entièrement à ses chats et ses chiens qu’elle adore.
Une décision égoïste ?
Héba n’est pas la seule à prendre ce choix réfléchi et assumé : celui de se passer de progéniture. Nour, une hôtesse de l’air de 29 ans, pense qu’avoir un enfant est une décision qu’on ne doit pas prendre à la légère. Pour elle, c’est un engagement et une responsabilité pour la vie. Mariée depuis trois ans, elle se sent bien dans sa peau et s’épanouit dans son job, être mère ne fait pas partie de ses priorités. « Si devenir mère est un choix, ne pas le devenir en est un autre. Je ne veux pas avoir d’enfant, un point c’est tout. C’est un choix de vie ! », déclare-t-elle. Et d’ajouter : « Quel sens cela aurait de partir à l’étranger une semaine sur deux et donner mes enfants à une nounou pour les garder ? Est-ce vraiment correct de mettre un enfant au monde et ne pas s’en occuper ? Je manquerais de patience et de temps ». Le jour où Nour a annoncé à sa mère qu’elle ne désirait pas avoir d’enfant, cette dernière a été scandalisée. Et quand elle en a parlé à quelques-unes de ses amies, elles l’ont traitée d’égoïste, d’immature. « Je ne ressens pas cet instinct maternel. Je suis indépendante, libre, et trouve mon épanouissement dans plein de choses : le travail, les sorties, les voyages, la vie tout simplement », affirme-t-elle.
Quand Nour rencontre ses amies qui ont des enfants et voit comment leur mode de vie a changé, elle ne veut pas être dans cette espèce de mutation où leur corps, leur esprit, leurs peurs, leurs joies, leur avenir ne sont plus projetés que sur eux. Elle les regarde et les écoute en parler parfois avec regret, mais aussi avec culpabilité. « Je trouve cela tellement frustrant ! Je n’ai jamais vu mes parents amoureux, pourtant, ils ne se sont séparés que lorsque j’avais 23 ans. Ce couple a sacrifié sa vie pour ses deux enfants au détriment de l’amour. J’ai cette peur terrible que mon couple pâtisse de cela. J’ai peur aussi que mon corps change avec la grossesse. J’aime toujours me sentir belle. Avec la maternité, j’ai peur de voir mon corps se déformer », témoigne-t-elle.
Incompréhension de l’entourage
Or, la décision de ne pas avoir d’enfant, comme tout choix insolite fait par une femme, est toujours mal vue ! Toutes ces femmes sont pointées du doigt, voire jugées. Elles font l’objet de remarques acerbes de la part de leur entourage et amis. Le fait de ne pas être mère, une fois la quarantaine passée, surtout si c’est un choix, est considéré comme une anomalie. « Je n’ai jamais compris celles qui tournent le dos à la maternité. C’est anormal. Nous sommes biologiquement conçues pour engendrer. Pour être une femme complète, il faut donner la vie, alors que pour l’homme, c’est différent », confie Dalia, une mère de deux enfants âgée de 51 ans.
D’ailleurs, comme le dit la sociologue Nadia Radwane, une telle décision, si elle est prise par un homme, sera nettement moins mal perçue, notamment dans notre société où le mariage n’est jugé parfait que lorsque le couple a des enfants. C’est une preuve de fertilité pour la femme et de virilité pour l’homme. « Fonder une famille est la norme même si les époux ont décidé de faire un planning familial, il faut qu’ils prouvent qu’ils ont tout de même réussi à avoir un enfant », explique-t-elle, tout en ajoutant que cette logique semble être bien enracinée dans la société égyptienne où le fait d’avoir des enfants est applaudi avant même qu’on sache si cette personne pourra bien les nourrir ou les éduquer. D’ailleurs, malgré les efforts déployés par le ministère de la Santé pour planifier les naissances, et malgré le niveau de vie modeste et les difficultés financières, le nombre moyen d’enfants par femme dans les campagnes est d’environ 4 enfants. Une question de culture : paradoxalement, plus on est pauvre, plus on fait d’enfants. « Les enfants sont un symbole de prospérité. Je suis fière d’avoir cinq garçons, qui me seront d’un grand soutien plus tard », affirme ainsi, non sans fierté, Saadiya, paysanne.
Et le fameux instinct maternel ?
Dr Radwane pense qu’à partir du moment où on a donné le droit aux femmes de gérer leur fécondité, elles ont le droit de choisir d’avoir des enfants ou pas. Auparavant, le désir d’enfant ne se posait pas de manière aussi rationnelle. L’enfant arrivait, on s’adaptait. Désormais, les exigences se sont accrues, on parle même du « métier de parent », ce qui signifie qu’il y a des savoir-faire, des connaissances à acquérir. Mais la famille, malgré tout, doit rester source de bonheur et la maternité source d’épanouissement. « C’est une étape indispensable à la féminité, les femmes sont censées aimer cela, il est impensable que certaines le rejettent », observe Radwane, tout en ajoutant ce message clair, à savoir que l’épanouissement de la femme passe nécessairement par la maternité.
Un avis que ne partage pas le Dr Mohamad Yasser, psychologue, qui pense que le désir d’avoir un enfant n’est pas inné, autrement dit, que l’instinct maternel est un leurre. Selon le psychologue, ce désir est socialement construit et enraciné à travers des forces diverses. C’est aussi le produit de l’histoire culturelle familiale et individuelle. « Mais en même temps, nuance le psychologue, le lien entre femme et maternité reste extrêmement puissant. Une femme qui ne veut pas fonder de famille, cela suscite des interrogations : est-ce qu’elle déteste les enfants ? Souffre-t-elle d’un déséquilibre ou d’un traumatisme ?, etc. », souligne-t-il.
Des questions que subissent ces femmes au quotidien. A l’exemple de Réhab, 38 ans, qui n’a jamais été chaude à l’idée d’enfanter. Elle voit la grossesse comme un cauchemar, l’accouchement comme un film d’horreur, la maternité comme une perte d’identité et l’éducation des enfants comme un parcours du combattant. Ensuite, les circonstances de la vie lui ont facilité la chose : elle est mariée depuis une dizaine d’années avec un homme de 20 ans son aîné, déjà père de deux garçons et qui ne se voyait plus s’occuper d’un enfant en bas âge. « Mon mari me suffit et je lui suffis. Un enfant aurait été un intrus, pas une source de bonheur », dit-elle, en ajoutant n’avoir aucune envie de vivre sa vie à travers un enfant. Selon elle, les gens font des enfants de manière très égoïste, d’autant que nous vivons dans une société qui ne promet rien de rose aux générations futures. Ne pas en avoir relève donc d’un acte responsable. Et ce qui lui importe le plus c’est ce besoin de liberté qu’elle éprouve. « Je veux être libre de rompre un lien si je le souhaite. Mais comment le faire avec mon fils ou ma fille ? Pour moi, ne pas avoir d’enfant c’est se protéger de sa perte possible. Une peur viscérale de cette douleur … Car entre fusion et deuil, c’est l’impossible choix », conclut-elle.
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