A Ismaïliya, les voitures continuent d’arriver d’Al-Arich au nord du Sinaï, à quelque 200 km. A bord, des familles chrétiennes craignant pour leur vie, qui ont décidé de fuir leur ville, laissant tout derrière elles, sauf les vêtements qu’elles portent. Des personnes âgées, des femmes et des enfants descendent des véhicules. Les mains ballantes et le visage maussade, ils ont pour la plupart l’air abattu. A leur arrivée, des bénévoles de l’église et les habitants accueillent les déplacés et les aident à retrouver leur esprit avant qu’ils ne rejoignent leurs coreligionnaires qui ont déjà trouvé refuge à l’église Saint-Antonios.
Les réfugiés d’Al-Arich sont reçus à l’église évangélique, l’auberge des jeunes, le camp Al-Erch ou encore le centre d’insertion professionnelle. Ces lieux leur apportent toute l’aide nécessaire comme l’hébergement et la nourriture, tout en s’efforçant de leur procurer confort et sérénité. Il y a à peine quelques jours, ils étaient encore dans leurs maisons, se rendaient au travail et menaient une vie plutôt normale. Après les attaques terroristes, ils ont été obligés de quitter leur ville. Dans le nord du Sinaï, des groupes islamistes mènent des opérations terroristes contre l’armée, la police et récemment contre les citoyens coptes. Dernièrement, les coptes ont été les cibles de plusieurs attaques. Plusieurs d’entre eux ont été brutalement tués.
Nabila Fawzi, victime de l’une de ces attaques, raconte son expérience douloureuse. « Il faisait nuit quand j’ai entendu quelqu’un frapper fort à la porte, j’ai dit alors à mon fils d’aller ouvrir. Des terroristes ont envahi la maison, traîné mon fils devant ma chambre et l’ont tué d’une balle dans la tête. Puis, ils se sont dirigés vers mon mari et l’ont tué aussi. Ensuite, ils ont volé l’or et l’argent avant de mettre le feu à la maison et de quitter les lieux ». Nabila raconte cette tragédie avec un calme déconcertant, mais selon Michael, bénévole de l’auberge de jeunesse et membre d’un comité de services créé par le gouvernorat au début de la crise, elle est encore sous le choc et reçoit actuellement un soutien psychologique. La vieille dame affirme que le nom de son mari figurait sur la liste des terroristes, sous le numéro 7 aux côtés de 40 autres noms de chrétiens. Cette liste ainsi que d’autres indices confirment que les récents événements visaient directement les coptes. « Ils cherchent à connaître les noms des coptes et recensent leurs propriétés : maisons, magasins ou voitures pour les cibler », répète une dame isolée dans un coin de l’église et cachée derrière une chaise pour que personne ne puisse la voir
Elle a peur de tout le monde et reste assise, serrant fortement son sac contre elle. Bougeant constamment sa tête dans tous les sens, elle sursaute lorsqu’on l’appelle par son nom. Selon elle, le terrorisme a rendu la vie difficile pour les habitants d’Al-Arich. Mais maintenant que les coptes sont pris pour cible, c’est un véritable calvaire. Elle et son mari sont venus à Ismaïliya sans leur fils de 27 ans, qui a refusé de les accompagner. « Ils vont nous suivre et nous tuer », leur a-t-il dit en choisissant de se rendre au Caire chez des cousins. Avant de quitter la maison, celui-ci dormait par terre dans sa chambre, les pieds contre la porte pour que personne ne puisse entrer. « Il avait même perdu confiance en nous », déplore la mère. Rassemblés côte à côte, les réfugiés d’Al-Arich ont l’air perdus. Dans un mélange de détresse et de peur, ils répètent les noms des victimes et font circuler leurs portables, montrant des images des événements comme pour se convaincre que ce qui est arrivé est bien réel. Medhat Hanna, Saad Hanna, Bahgat William, Adel Chawqi comptent parmi les nombreux chrétiens qui ont été tués ces deux dernières semaines par le groupe terroriste Daech. Certains ont été abattus d’une balle et d’autres brûlés devant leurs familles. L’organisation a publié une vidéo dans laquelle elle promet de prendre pour cible les membres de la communauté chrétienne.
« Ainsi l’éternel frappera les Egyptiens, il les frappera, mais il les guérira », c’est le dernier extrait de la bible que Adel Chawqi a prononcé avant qu’un groupe masqué ne pénètre par effraction dans sa maison et le crible de balles devant sa femme et ses enfants, raconte son frère avec tristesse. Ce dernier fait sans cesse des va-et-vient dans la cour de l’église, portant le bébé de son frère tout en lisant une feuille sur laquelle figurent d’un côté les noms des victimes de ces dernières années et de l’autre, des extraits de la Bible que son frère avait retranscrits. « Je ne sais pas ce qui va arriver aux enfants de mon frère, à ma famille ou à moi-même. Tout ce que je demande, c’est de considérer mon frère comme un martyr au même titre que les martyrs de l’armée et de la police ou encore ceux de la récente attaque de l’église d’Al-Botrossiya. Je veux que les enfants de mon frère Adel se rappellent leur père comme d’un homme de valeur. Et que les familles reçoivent des compensations financières qui peuvent les aider à survivre », dit-il sans oser prononcer son nom.
La peur au ventre
Personne ne peut savoir quand les réfugiés retourneront chez eux.
(Photo : Mohamad Abdou)
Nombreux sont ceux qui affirment que ce qui se passe aujourd’hui dans la ville d’Al-Arich résulte d’une affaire qui a commencé quelques mois après la révolution de janvier 2011. Une dame qui a requis l’anonymat raconte que petit à petit les femmes chrétiennes ont été sujettes à des propos violents et des menaces dans les espaces publics et les transports. « On nous demandait de porter le voile et de rester dans nos maisons », affirme-t-elle. La situation s’est ensuite considérablement aggravée, avec des enlèvements et des exécutions. La première victime, Magdi Lameï, a été abattu en 2013, suivie par deux prêtres, le père Mina Aboud, tué en 2013, et le père Raphaël Moussa en 2016. « La cadence de ces attaques s’est accélérée ces derniers temps. Au début, c’était tous les quelques mois, puis chaque semaine et maintenant plusieurs fois par semaine. Les violences sont fortes, avec des attaques de maisons et de magasins et parfois des meurtres. Nous étions presque paralysés dans nos maisons, craignant de descendre dans la rue. Et même à la maison, on ne se sentait pas en sécurité, on avait peur de voir un groupe d’islamistes faire irruption à tout moment », dit Naglaa, 48 ans, commerçante. Cette dernière comme tous les autres chrétiens d’Al-Arich, a décidé de quitter la ville pour échapper à la mort. « Jésus-Christ a fui, alors fuis toi aussi », c’est le conseil donné par un prêtre, que plusieurs d’entre eux ont choisi de suivre. Pourtant, ils affirment n’avoir rien organisé et s’être rencontrés sur la route, à Ismailïa ou dans les lieux d’accueil. « Heureusement, on a quitté Al-Arich à temps. Ceux qui sont restés sont coincés depuis que les terroristes ont menacé de tuer les chauffeurs de taxi qui aident les chrétiens à fuir la ville », rapporte un chrétien, qui a appris cette information de voisins musulmans. Des voisins qu’il aime beaucoup, à qui il a laissé les clés de sa maison à Al-Arich.
L’espoir d’une vie normale
Personne ne peut savoir quand les réfugiés retourneront chez eux.
(Photo : Mohamad Abdou)
Arrivés à Ismaïliya, les familles réparties dans plusieurs espaces d’hébergement bénéficient de tous les services nécessaires. D’après Névine, responsable de communication à l’église Saint-Antonios, l’église a déjà accueilli 145 familles constituées de 4 à 5 personnes. « On les reçoit d’abord à l’église pour enregistrer leurs données personnelles, puis on les envoie dans des logements loués pour eux par l’église. Chaque jour, les familles se retrouvent à nouveau à l’église pour les repas ou pour se procurer des médicaments et des vêtements. Nous avons une grande cuisine, une pharmacie et un entrepôt pour stocker les vêtements », explique Névine. Dans la cour du bâtiment, on trouve, en effet, de nombreux camions chargés de dons de toutes sortes et de denrées alimentaires en provenance de toute l’Egypte. « Pour les besoins quotidiens, nous n’avons encore rencontré aucun problème. Dieu est généreux et il a envoyé beaucoup d’aides, à travers les dons de personnes braves. Seulement, nous ignorons jusqu’à quand nous tiendrons, et combien de temps cette situation va encore durer », poursuit Névine. Cette dernière ajoute que son seul problème, c’est lorsque les personnes n’acceptent pas ce qu’on leur offre. « Chacun veut choisir ce qu’il veut, sans prendre en considération les autres », regrette-t-elle. La situation est identique sur les autres sites d’accueil pour les réfugiés chrétiens. Les responsables, les hommes de religion et les bénévoles essayent d’apporter tous les services possibles à ces familles.
Par ailleurs, les mesures de sécurité sont très strictes à l’entrée de chaque site d’accueil. Les policiers vérifient l’identité de tous les visiteurs et les questionnent sur les raisons de leur visite. « On doit être vigilants, car rien n’empêche les terroristes de venir ici », dit le bénévole Michael. Ce dernier affirme que tout le monde ignore le nombre de familles qui peuvent encore arriver, mais une fois que les églises seront pleines, d’autres lieux devront ouvrir leurs portes. Le centre de jeunesse héberge actuellement 40 familles, soit 175 personnes. Elles sont installées dans des salles et ont accès à tous les services. Au camp d’Al-Erch, il y a 102 personnes et 76 autres au centre d’insertion professionnelle. Tout au long de la journée, les visites officielles des différents responsables des ministères, des municipalités et des prêtres s’enchaînent. Ils viennent présenter leur soutien matériel et psychologique pour aider les réfugiés à s’adapter à leur nouvelle vie. « Si on veut vraiment nous réconforter après tout ce qu’on a vécu, il va falloir penser à l’avenir. Que va-t-on faire dans les semaines et les mois prochains ? Quand pourrons-nous rentrer chez nous ? Que va-t-il arriver à tout ce que nous avons laissé derrière nous à Al-Arich ? », s’interroge un réfugié qui a préféré gardé l’anonymat. Il n’est pas le seul à se poser de telles questions et beaucoup se demandent comment va se dessiner leur avenir, maintenant qu’ils ont échappé à la mort. D’après Michael, cette situation est provisoire, car l’Etat prépare cinq immeubles déjà construits pour loger les familles. Des mesures seront prises pour les fonctionnaires, ils pourront régulariser leur situation pour leur absence au travail, en attendant que leurs dossiers soient transférés à Ismaïliya où ils pourront être embauchés. Il en est de même pour les écoles. Certains élèves du cycle primaire ont déjà repris les cours dans de nouvelles écoles, et ce sera bientôt le tour des élèves du secondaire et des étudiants à l’université. Des procédures qui sont rapides et efficaces pour faciliter la vie à ceux qui ont tout laissé pour sauver leur vie.
Leur situation a provoqué une grande vague de solidarité. Des chrétiens et des musulmans, jeunes ou âgés, apportent leur aide comme ils le peuvent. Ils fournissent des équipements, préparent des boissons ou de la nourriture, proposent des consultations pour les malades, ou encore apportent un soutien moral, pour parler et écouter les gens. « Je suis là, avant tout, pour aider des citoyens égyptiens qui traversent une étape difficile. Ces actes terroristes au nom de l’islam relèvent de l’infamie. Ils sont commis par des agents payés par l’étranger ou des individus qui ont perdu la tête », témoigne une habitante d’Ismaïliya portant le niqab. Chaque jour, elle passe quelques heures avec les familles et leur prépare parfois des repas.
Sur les sites d’accueil, des activités de divertissements sont également mises en place. « On essaye de les aider à ne pas perdre espoir et à garder confiance en eux. Ces activités accompagnent les propos partagés dans les prières et les messes à travers lesquelles nous leur recommandons de ne jamais perdre leur foi. Malgré les difficultés de la situation, c’est Dieu qui l’a voulu et Dieu ne fait pas de choses détestables pour les êtres humains », affirme Achraf, ingénieur et bénévole. Ce scénario est le même dans les autres gouvernorats qui commencent à recevoir des familles coptes, comme Suez et Port-Saïd.
Malgré la tentative de créer une ambiance conviviale, la tension reste palpable. Cela se lit sur les visages qui apparaissent tristes, surtout ceux des enfants. Ils jouent sans cesse, mais on peut lire une certaine inquiétude dans leurs regards. Même s’ils ne comprennent pas, ils sentent que quelque chose ne va pas. « J’ai peur, je veux rentrer à la maison », lance Bichoy, 5 ans, à Achraf, après avoir terminé de jouer. Ce dernier l’a pris dans ses bras sans pouvoir lui répondre, car ni lui ni personne ne peut savoir si cet enfant pourra un jour rentrer chez lui.
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