Tôt le matin ou tard le soir, au travail ou à la maison, en voiture ou à pied, Abdel-Fattah ne quitte pas des yeux l’écran de son téléphone portable. Ses doigts pianotent autour de l’icône verte en forme de ballon, qui donne accès à l’application WhatsApp. De courtes alertes sonores se succèdent annonçant l’arrivée de nouveaux messages. Pour Abdel-Fattah, directeur d’une compagnie pétrolière, WhatsApp est sa fenêtre sur le monde. Sans cette application il serait totalement déconnecté, comme « un embryon détaché de son cordon ombilical », dit-il lui-même. Sa femme et ses enfants sont dans la même optique. « WhatsApp me permet de joindre ma famille à n’importe quel moment de la journée. Quand je suis au travail je sais comment va ma famille. Et inversement. Je peux réagir très vite si quelque chose se passe au travail alors que je n’y suis pas », explique sa femme, présentatrice télé. Littéralement,« What’s up ? » est une expression américaine qui signifie « Quoi de neuf ? ». Les inventeurs de l’application ont trouvé un jeu de mot intéressant puisque « What’s up » et « WhatsApp » se prononce de la même façon mais que « App » est l’abréviation du mot Application. WhatsApp permet d’appeler et d’échanger des photos et des messages écrits ou vocaux de façon instantanée et gratuite via Internet. Chaque utilisateur peut communiquer avec tous ses contacts à partir du moment où ils ont installé l’application sur leurs smartphones. Lancée en 2009, cette application a franchi la barre d'1 milliard d’utilisateurs à travers le monde. Et ce nombre ne cesse d’augmenter de jour en jour.
Simple, rapide et gratuit
L’Egypte ne fait donc pas exception, et WhatsApp est devenue un élément qui fait désormais partie du quotidien d’un grand nombre d’Egyptiens. « J’utilise quotidiennement l’application WhatsApp », affirme Sara, étudiante. « Cette application ne ressemble ni à Facebook ni aux autres services de messagerie comme le SMS ou l’e-mail. Avec WhatsApp tout est plus rapide et plus simple d’utilisation », ajoute-t-elle. Pour cette dernière comme pour des millions d’autres personnes, envoyer des messages à travers WhatsApp est le moyen le plus facile pour transmettre gratuitement un texte, une vidéo, un clip audio ou des images. Il suffit seulement d’avoir accès à Internet. Il suffit d’un simple clic sur la petite icône verte pour être au courant de tout ce qui se passe autour de soi. Les utilisateurs aguerris utilisent aussi cette plateforme de communication pour créer des groupes de discussion portant sur différents thèmes et rassemblant des personnes intéressées par les mêmes sujets. Il y a par exemple le groupe WhatsApp dédié aux collègues de travail, un autre pour les amis du club de sport, et un troisième pour les amis intimes, ou encore la famille. « Je suis devenue accro des messages envoyés sur WhatsApp. Je reçois quotidiennement quelques pages du Coran qui me permettent de lire des sourates, à n’importe quel moment de la journée. Maintenant que je me suis habituée à ça, j’ai du mal à imaginer comment je pourrais m’en passer », explique Nermine Ahmad, femme au foyer. Outre le groupe du Coran, Nermine fait aussi partie d’un groupe qui aide les femmes à faire un régime. Ce groupe rassemblant une cinquantaine de femmes est dirigé par une dame que personne n’a jamais vue. Celle-ci envoie chaque semaine une liste de régimes à suivre, et suit le poids de toutes les femmes inscrites qui lui envoient une photo du poids qu’indique leur balance. De temps à autre, elle transmet de précieux conseils par l’intermédiaire d’un clip audio. Et une fois par mois, elle envoie son chauffeur chez toutes les femmes inscrites pour collecter l’abonnement mensuel à ce groupe estimé à 400 livres. Des médecins, des professeurs et des coiffeurs communiquent aussi avec leurs clients à travers des messages WhatsApp. « C’est gratuit, rapide et sûr », réplique le responsable d’un centre d’analyses médicales. Ce centre reçoit parfois les ordonnances des médecins à travers un message WhatsApp. Cela évite que le malade ne se déplace pour prendre rendez-vous, lequel est fixé et renvoyé au patient de la même façon. Cette invention provenant de la Silicone Valley aux Etats-Unis a même commencé à être utilisée par des organes étatiques. Le ministère de l’Intérieur a par exemple créé un numéro spécial qui permet de recevoir les plaintes des citoyens à travers WhatsApp. Certains ministères et municipalités ont également commencé à diffuser aux citoyens certaines informations pratiques en utilisant WhatsApp.
Dépendance involontaire
Une plateforme intéressante et pratique, mais qui peut aussi provoquer du stress. Les yeux braqués sur le téléphone, on voit défiler les messages auxquels il faut répondre tout de suite. Sinon, il faut s’attendre à des reproches qui prendront la forme encore une fois de messages. L’application indique à l’émetteur si son destinataire a lu le message ou non. « Personne ne peut prétendre qu’il n’a pas vu ou lu le message en question, et ne pas répondre peut être considéré comme un manque de respect », explique Salma qui lui arrive parfois de ne pas avoir envie de répondre immédiatement à tous ses messages. « J’éteins parfois mon téléphone mais assez rapidement je le rallume de peur de rater une discussion importante concernant les enfants au sujet de l’école avec le groupe des mamans par exemple. Tellement d’informations et de décisions se font désormais sur WhatsApp que l’on devient involontairement dépendants de nos téléphones et de cette application », poursuit-elle. D’après la sociologue Nadia Radwan, WhatsApp a permis de faciliter le contact entre les personnes, mais cela a également affecté la nature des relations humaines et des habitudes sociales. Les gens ont tendance aujourd’hui à utiliser les icônes proposées par l’application pour exprimer leurs joies, leurs sentiments ou leurs condoléances, oubliant l’importance de la chaleur humaine, du contact direct et de la présence physique. « On est en train de se transformer en machine à envoyer des clichés de photos pré-enregistrés sur nos téléphones et que l’on envoie à chaque occasion en ajoutant un petit message en temps voulu », dit Radwan.
WhatsApp et la vie privée
Selon Mohamad Al-Guindi, expert en technologie des informations, ce type d’applications ludiques et attirantes peut aussi porter atteinte au respect de la vie privée. Toutes les informations que les usagers échangent en permanence sont récupérées et stockées grâce aux satellites. « Pour avoir accès à l’application, on doit forcément rentrer des données personnelles qui, elles aussi, sont enregistrées et stockées. D’autant plus que les outils de géolocalisation qui permettent d’informer ses contacts de sa position précise donnent la possibilité à n’importe quel organe ayant accès aux informations stockées grâce à WhatsApp de savoir en temps réel, qui est où précisément », explique Al-Guindi, tout en ajoutant que ces données peuvent être utilisées pour espionner les gens. Rappelons d’ailleurs que Mark Zuckerberg, propriétaire de Facebook, a acheté en 2014 WhatsApp pour une somme estimée à 19 milliards de dollars. Un autre expert en technologie des communications, Ahmad Gharbeya, révèle aussi que WhatsApp n’a jamais donné de preuves garantissant la confidentialité des informations comme l’ont fait d’autres compagnies qui ont publié leur règlement concernant le respect de la vie privée. « Personne ne se rend compte du risque qu’implique l’utilisation de Facebook, WhatsApp et toutes les applications de ce type qui pullulent en ce moment », affirme Gharbeya, qui assure qu’il ne prendra jamais le risque qu’un smartphone divulgue l’ensemble des détails de sa vie privée et professionnelle.
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