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Consommation : Mieux dépenser, la gestion ménagère à la rescousse des familles

Dina Darwich, Lundi, 01 avril 2013

57 % des familles peinent à faire tenir leur budget jusqu’à la fin du mois. La classe moyenne, la plus touchée par la crise économique, s’intéresse à des méthodes simples mais efficaces pour réduire ses dépenses. Le coaching budgétaire devient à la mode.

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« Le foyer est le reflet de ce qui se passe dans le monde des affaires. Sa gestion ressemble beaucoup à celle d’une grande entreprise où le mari fait office de PDG et doit tenir des réunions périodiques de planification et de coordination avec sa femme qui s’occupe de la gestion de cette petite entreprise », avance Chérine Ezzeddine, instructrice en gestion ménagère.

Cette dernière a élaboré un programme spécial pour les femmes au foyer leur permettant de contrôler leur budget. « Après avoir lâché mon travail pour me consacrer à l’éducation de mes enfants, j’ai remarqué que beaucoup de familles égyptiennes se trouvaient face à un dilemme : leurs revenus dépassaient leurs dépenses. Ainsi, j’ai préparé un plan qui s’inspire de certaines idées émanant d’autres sociétés plus riches, qui ont réussi à se serrer la ceinture pour surmonter la crise économique. Mais il a fallu y apporter quelques modifications pour l’adopter à notre quotidien. Par exemple en Egypte, il y a beaucoup de poussière, et par conséquent, le budget consacré aux détergents est plus élevé », avance l’instructrice.

Nous sommes à la librairie Diwan, à Héliopolis, où a lieu le cours de gestion de budget. Une dizaine de jeunes femmes suivent attentivement les conseils de l’instructrice. C’est à travers la page Facebook home.management.101 que ces femmes ont découvert l’existence de ces cours de gestion du budget. Sur la page sont communiqués le lieu et les horaires des cours. Des magazines féminins aux compagnies privées, en passant par les maisons d’édition, Chérine Ezzeddine se déplace avec ses précieux conseils comme « bagage ».

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La maison d'édition Diwan organise des stages pour aider les femmes à gérer leur budget.

Son programme sur le contrôle du budget de la famille ne cesse d’attirer du monde, notamment la classe moyenne. « Mon expérience avec les femmes au foyer m’a permis d’élaborer une méthode fondée sur deux piliers essentiels : comment gérer un budget familial et comment rationaliser la consommation. Quand on veut établir un budget, on doit noter toutes les dépenses et tenter de les contrôler ou de les réduire. D’ailleurs, la rationalisation de la consommation dépend de la règle des trois R (réduire, réutiliser, recycler) », poursuit Chérine.

Les regards des participantes sont braqués sur le professeur. Les questions pleuvent. « C’est quoi la règle des trois R ? Est-ce possible d’appliquer ce même programme pour deux foyers à deux revenus différents ? Ces petits détails permettront-ils de rationaliser les dépenses de manière sensible ? », questionne Imane, une secrétaire de 30 ans qui, tous les mois, et dix jours avant sa paye, doit trouver une solution pour équilibrer son budget. Imane se prépare à son mariage et veut donc régler ce dilemme avant d’entamer sa vie conjugale pour éviter les soucis.

La règle des trois R

« Réduire, réutiliser et recycler sont les trois procédés qui vont te permettre de contrôler ton budget », lance Chérine Ezzeddine sans perdre son enthousiasme. Elle explique que son programme est adapté aux conditions et modes de consommation des Egyptiennes. Selon elle, l’important est de savoir contrôler ses dépenses. La meilleure méthode consiste à suivre une stratégie mensuelle ou hebdomadaire pour la préparation des repas.

Emettre une liste d’achats est nécessaire pour établir un équilibre entre les besoins et les envies. Elle en profite aussi pour glisser des conseils sur les mauvaises habitudes d’achat : « On doit avoir le ventre plein avant d’aller faire ses courses. Cela vous empêchera de saliver devant chaque étalage et d’acheter des produits dont vous n’avez pas besoin ». Chérine n’oublie pas de mettre en garde les participantes contre le fait de se laisser duper par les offres soi-disant économiques des supermarchés.

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Les femmes doivent se démener pour joindre les deux bouts.

Haïdi, directrice en ressources humaines et mère de deux enfants, note mot à mot les conseils de l’instructrice. Elle tente de faire une comparaison avec son propre mode de vie : « Mon problème est que je ne suis une femme ni ordonnée ni ponctuelle ». Pourtant, avoir le sens de l’organisation est le mot-clé de toute rationalisation, lui répond Chérine. Elle argumente son point de vue : « La boîte de yaourt peut rester des semaines dans le frigo sans que l’on s’aperçoive que la date a expiré. Un pull-over que l’on n’arrive pas à retrouver à cause du désordre peut ne plus être à la taille de votre enfant l’année suivante et ainsi de suite ». Mais pour Chérine, l’art de contrôler un budget c’est surtout de savoir quoi et comment acheter.

Le débat se déclenche. C’est le brouhaha dans la salle. Des questions pleuvent de partout. « Comment éviter d’accumuler des choses dont on n’a pas besoin ? », s’interroge Imane. « On ne doit rien jeter » : des pots de concentré de tomates ou des conserves vides peuvent être réutilisés pour ranger les épices. Un autre exemple de recyclage ? « On peut utiliser les t-shirts usés comme chiffons pour nettoyer la poussière », lance encore Chérine.

Sur Facebook, le même débat a lieu. Chérine profite du réseau Internet pour diffuser les détails de son programme et les commercialiser. Il arrive souvent que des femmes communiquent avec elle pour lui exposer les problèmes qu’elles ont rencontrés en mettant en application son programme.

Abir, responsable de marketing dans une entreprise privée et mère de deux enfants, n’a pas hésité à débourser 200 L.E. pour assister à ce stage. Elle suit attentivement les cours et pense en parler à ses collègues pour les inciter à la rejoindre. Elle pense même se faire accompagner par son mari la prochaine fois pour l’aider à mettre en application ces nouvelles idées.

Aujourd’hui, ce genre de stages est devenu une bouée de sauvetage pour un grand nombre de ménages. Nombreux sont ceux qui sont à la recherche d’un conseil, d’une astuce ou même d’un site Internet pouvant les aider à faire des économies pour faire face à la cherté de la vie.

D’après les chiffres de l’Organisme central de la mobilisation et des statistiques, 57 % des foyers égyptiens n’arrivent pas à joindre les deux bouts. « Ce genre de programmes et d’initiatives est en principe destiné à la classe moyenne, la plus touchée par la crise et qui lutte pour garder son niveau de vie. On a tendance à faire des efforts colossaux afin ne pas rejoindre le camp des couches défavorisées », analyse Chérine.

En effet, d’après Chérine, la classe défavorisée a recours à d’autres astuces que la classe moyenne ne peut pas se permettre. « Les familles pauvres peuvent par exemple obliger leurs enfants à abandonner l’école pour devenir une source de revenu pour la famille, ce qui ne se fait pas chez les familles moyennes qui consacrent la plus grande partie de leur budget à l’éducation, considérée comme un moyen d’ascension sociale ».

Inflation galopante

Cette série de programmes ne cesse de gagner de l’ampleur. Cela est justifié par un taux d’inflation en constante augmentation, surtout durant ces deux dernières années. « Le kilo de pommes de terre est passé de 2 L.E. à 3,5. Le kilo de tomates varie constamment et le prix des poulets flambe », affirme Haïdi, femme au foyer. Elle confie qu’après avoir assisté à ce stage, elle fait plus attention à ses dépenses : « D’habitude, je ne sais pas combien j’ai d’argent dans mon portefeuille. A présent, j’y glisse uniquement l’argent dont j’ai besoin pour ne pas être tentée. Grâce à cette méthode je suis arrivée à payer toutes les factures du mois, ce qui n’était pas le cas auparavant ».

L’association « Citoyens contre l’inflation » a récemment lancé une initiative intitulée Hisbet Berma (ce n’est pas aussi compliqué que cela) afin d’aider les familles égyptiennes à contrôler leur budget. Selon Mahmoud Al-Askalani, responsable de l’ONG, les études prouvent que la nourriture et les leçons particulières des enfants absorbent la plus grande partie du revenu de la famille. C’est donc dans le budget nourriture que l’association tente d’agir.

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Les femmes doivent se démener pour joindre les deux bouts.

Héba, professeur à l’université, est à la recherche d’alternatives. « J’ai dû réduire la consommation en viande de ma famille et je l’ai remplacée par d’autres sources de protéines. Au lieu d’acheter un kilo de viande à 80 L.E., je prends du poulet ou du poisson. C’est beaucoup moins cher. D’ailleurs, j’ai consacré un jour par semaine aux lentilles, kochari, fèves ou autre plat fait à base de légumes dont le prix reste à la portée de tous », précise Héba qui a changé de boucher et qui n’hésite pas à se rendre dans un autre quartier plus loin pour profiter de l’offre présentée par Citoyens contre l’inflation persistant à vendre le kilo de viande à 38 L.E. malgré la guerre déclenchée contre eux par les autres bouchers.

Les femmes, clé du problème

Pour Askalani, ce sont les femmes qui sont au centre du dilemme. « Elles jonglent pour aider leurs familles à joindre les deux bouts, tout en fouinant partout pour diminuer leurs dépenses, sans les priver de l’essentiel ».

Sur Internet, Noha, 29 ans, informaticienne et mère d’une petite fille, zappe à la recherche d’informations qui pourraient lui être utiles. Sur le forum http://hewar.kacnd.org, elle n’hésite à communiquer ses revenus, le nombre des membres de sa famille et ses dépenses pour profiter des expériences des autres. A partir du site al-kiyada.blogspot.com, elle télécharge un guide qui lui présente des idées précieuses sur les moyens d’offrir à ses enfants une éducation qui lutte contre les tendances de sur-consommation.

« Je ne veux pas que mon fils sente qu’il est lésé, mais il doit comprendre qu’on ne peut pas tout avoir », dit Imane qui a décidé de recourir à ce guide intitulé « Comment planifier ton budget » et de faire participer ses enfants à ce processus. Elle s’est inspirée de quelques idées comme celle de « la semaine off » qui est un geste rebelle contre toute forme de consommation excessive. Durant cette semaine, la famille s’abstient de faire des courses et doit consommer ce qui reste à la maison. « Il s’agit d’idées simples mais qui sont très utiles. Il faut être créatif pour affronter les pressions que nous imposent les conditions économiques du pays », conclut-elle.

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