Papa Noël est arrivé cette année à pas de loup. Il est plongé dans une profonde tristesse. La petite Magui Magdi a rendu l’âme suite à de graves blessures.
Dans la maison de son grand-père, situé au quartier de Choubra, toute la famille est en deuil. Un silence macabre règne dans cette maison où la petite fille a vécu les moments les plus heureux de sa vie. « Depuis sa mort, je vis un vrai cauchemar, je ne peux imaginer la vie sans elle, sa grand-mère et moi avons contribué à son éducation », dit tristement le grand-père, Samir Fahim, directeur général d’une banque, alors qu’il espérait faire une partie de cartes ou jouer au backgammon avec elle, le soir de Noël.
Paula Karam et Insaf Adel devraient se marier dans quelques mois. La mort a mis fin à cette belle histoire d’amour.
Pour les grands-parents, il est difficile de s’habituer à l’idée de ne plus jamais revoir leur petite-fille en train de papoter avec les enfants de la voisine, de réciter les noms des stations de métro ou de faire sa prière avant de manger. Ces souvenirs resteront à jamais gravés dans leur mémoire. C’est là, dans un coin de l’appartement que Magui avait pour habitude de garnir le sapin de Noël, choisissant les couleurs des boules et des guirlandes avec sa soeur et ses cousins.
Dans la cuisine, elle participait aux préparatifs du repas de la fête. « Elle m’aidait à paner les escalopes, à nettoyer les pigeons qu’elle adorait », relate avec beaucoup de tristesse, Camélia Nessim, la grand-mère. Le jour de l’attentat, Magui jeûnait. Elle voulait rompre son jeûne la veille de Noël en dégustant les plats savoureux préparés par sa grand-mère pour l’occasion. Même les vêtements neufs, c’est elle qui les a choisis entièrement à son goût, une semaine avant sa mort.
Iman Youssef, l’une des victimes, a rejoint son mari, mort en 2012, lui aussi victime du terrorisme.
Hélas, elle n’a pas eu l’occasion de les porter. « Sa maman voulait qu’elle porte la tenue comme reliques ou honout (Selon les traditions coptes, c’est un mélange d’huile et de restes de corps d’anciens prêtres utilisés dans certains rituels à l’église comme le baptême) pour monter au ciel, mais on lui a demandé de les garder comme souvenir de sa fille », dit Camélia qui éprouve des difficultés à répondre aux questions de Jessica, 7 ans, la soeur de Magui. « Pourquoi Magui n’est pas avec Nous ? Va-t-elle revenir, je l’ai vue à l’hôpital, mais son visage était différent », questionnait la petite fille rescapée. Jessica a échappé à la mort. Un miracle divin, car elle a voulu rejoindre sa copine qui voulait s’asseoir à côté de son père, parmi les rangs des hommes. « Jessica est depuis extrêmement perturbée. Ses parents ont dû l’emmener chez un psychiatre, suite au choc qu’elle a reçu. La disparition de sa soeur a compliqué les choses. Elle n’arrive ni à dormir seule dans sa chambre, ni même à trouver le sommeil. L’air effaré, elle attend sa soeur pour la fête », raconte Fahim. Et Jessica a déposé ses chaussures au pied du sapin, à côté de celles de sa soeur pour que le père Noël n’oublie pas le cadeau de Magui …
Magui Magdi, dont la photo circule sur les réseaux sociaux, est devenue l’icône de la tolérance et du sacrifice. Ce petit ange est en fait l’une des plus jeunes des victimes qui ont trouvé la mort dans l’attentat terroriste qui a visé, le 11 décembre dernier, l’église Saint-Pierre et Saint-Paul au Caire, faisant au total 27 morts et 49 blessés. En fait, la communauté copte égyptienne n’a jamais connu d’attentat aussi meurtrier, depuis l’attaque suicide qui a provoqué la mort de plus d’une vingtaine de morts, le 1er janvier 2011, en dehors d’une église à Alexandrie (voir encadré). Cependant, ce qui rend l’attentat de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul encore plus ignoble, c’est que l’explosion a eu lieu à l’intérieur de l’église, pendant que les fidèles faisaient la prière, alors qu’à Alexandrie, cela s’était passé devant le portail de la basilique. Un attentat qui a eu lieu quelques jours avant le nouvel an et la fête de Noël copte, le 7 janvier. Des fêtes difficiles à vivre pour les personnes endeuillées. Un état de chagrin règne dans les foyers des victimes et des blessés. Un coup d’épée dans le coeur de l’Egypte, comme l’a qualifié le pape Tawadros II, chef de l’Eglise copte orthodoxe.
La douleur des rescapés …
Les cercueils des victimes alignés près de l’autel à l’église de la Vierge Marie. (Photo : AP)
Autre scène, autre image. A l’hôpital de Dar Al-Chéfaa, situé à quelques pas de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, est hospitalisée Mireille Edward, 29 ans, professeure d’anglais à l’école Saint-Joseph. Elle a passé huit jours aux soins intensifs, luttant contre la mort. Elle est sauvée, mais une mauvaise nouvelle l’attend. Le jour de l’attentat, sa mère était avec elle. Gravement blessée, elle a succombé à ses blessures dès son admission à l’hôpital. Malgré son état critique, Mireille ne cesse de s’enquérir de l’état de santé de sa mère, posant sans cesse des questions à sa tante et son oncle qui n’ont pas quitté son chevet. « Je ne peux rien lui dire pour le moment car son état de santé ne le permet pas. On lui a enlevé la rate et ses blessures sont encore béantes. Quand elle demande comment va sa mère, je lui réponds qu’elle va mieux, avec une toute petite grimace. On essaye de lui transmettre la mauvaise nouvelle, à petites doses », confie Nabila Saleh, sa tante maternelle qui a tenu à ne pas porter de vêtements noirs pour ne pas éveiller les soupçons. « Cette année, Mireille sera seule. Elle a déjà perdu son père, l’année dernière, à la période de Noël. En plus, elle est très attachée à sa maman avec qui elle partageait les préparatifs du réveillon de Noël. Elle passera sûrement la fête au lit, mais on ne la quittera pas », dit Gamil Helmi, oncle paternel de Mira, qui est venu avec sa femme du gouvernorat d’Ismaïliya pour passer Noël avec sa nièce.
La sonnerie du téléphone ne cesse de retentir. C’est le fiancé de Mireille qui se trouve à Londres et demande de ses nouvelles. Elle reçoit énormément de visites, surtout des soeurs de l’église où elle assistait à la messe, le jour de l’attentat. Elles viennent pour la soutenir et lui donner du courage. La tante Nabila a décidé d’accueillir chez elle Mireille, après sa sortie de l’hôpital. « Cette année, mon cadeau de Noël, c’est Mira. Je n’ai pas eu cette chance d’avoir des enfants. Aujourd’hui, le Seigneur me donne l’opportunité de jouer le rôle de la mère. C’est moi qui, bras dessus bras dessous, la remettrai à son mari et partagerai sa joie, le jour de son mariage », confie Saleh.
Et leur courage à continuer
La petite Magui Magdi est la plus jeune victime de l’attentat contre l'église Saint-Pierre et Saint-Paul.
Et malgré ce gros chagrin, les personnes endeuillées ne baissent pas les bras. Une force motrice les booste à continuer à vivre dans une patrie chère à leurs coeurs où la marge de liberté de religion semble se rétrécir.
« On est habitué à ce genre de catastrophes depuis des années et l’on insiste pour continuer à prier dans nos églises, y compris les jours de fête. Le terrorisme ne va pas casser notre volonté, notre détermination », confie Gamil Helmi. Samir Fahim est sur la même longueur d’onde. Il dit : « J’ai été grièvement blessé pendant la guerre de 73 et je suis encore en vie. La vie ou la mort, tout cela dépend de Dieu. C’est pourquoi j’ai choisi de rester dans ma patrie au lieu d’émigrer. Il vaut mieux mourir dans son pays et dans la dignité que de souffrir de l’exil ».
Une conviction qui a aussi forgé la volonté d’Iman Youssef, l'une des victimes de ce dernier attentat. Cette femme au visage serein a perdu la vie quatre ans après la mort de son mari. En 2012, alors que son époux était parti acheter un médicament pour son fils malade, dans une pharmacie située près du palais d’Ittihadiya où des manifestations avaient lieu, il a reçu une balle dans la tête. Après son décès, elle a décidé de changer de logement pour habiter tout près de l’église où elle ressentait le plus de sérénité. Elle ignorait que ce même terrorisme allait lui ôter la vie, la séparant de son petit Steven.
Et ce n’est pas tout. Lors de cette crise, un esprit de solidarité est né entre des familles qui ont perdu des êtres chers. C’est au sein de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul qu’est née l’histoire d’amour de Paula Karam, 23 ans, et Insaf Adel, 18 ans. Durant cinq ans, ce couple ne s’est jamais séparé sauf durant la messe. La jeune fille préparait son trousseau, elle devait se marier après la période de Pâques. « Pour la messe, on était habitué à aller à l’église de la Vierge Marie de l’Orient. Mais le jour de l’attentat, on était en retard à cause des préparatifs de la fête, alors on a décidé d’aller à l’église Saint-Pierre et Saint-Paul où la messe dure souvent plus longtemps ». Il se tait un instant puis poursuit, la gorge serrée. « On ignorait ce que nous cachait cette fin d’année. Cette explosion a chamboulé toute ma vie. Je ne peux pas oublier le moment où j’ai accompagné Insaf à l’hôpital et ce regard triste qu’elle a jeté sur moi voulant me dire que je passerais seul Noël et ce, avant de tomber dans le coma », ajoute Paula qui a décidé de porter du blanc au lieu du noir et de passer la fête avec sa nouvelle famille, celle d’Insaf. « Elle est mieux là où elle est ; mais être séparé d’elle, me tue. Sa famille a perdu un être cher et, j’ai décidé de devenir un fils pour eux », poursuit Paula.
Un esprit de solidarité
(Photo : AFP)
De son côté, l’Eglise copte orthodoxe a réagi en soutenant les parents des morts et des blessés. Selon père Boulos Halim, porte-parole de l’Eglise, tout le monde est là pour aider les familles qui traversent ces moments difficiles. « On envoie des religieux pour leur fournir une aide psychologique et spirituelle. On fait tout pour les aider à traverser cette tentation difficile. De même, les serviteurs de l’église et l’équipe de scout font le tour des maisons, particulièrement le jour de Noël, pour faire sortir les enfants qui ont perdu des proches et même ceux qui ont été blessés et en voie de guérison. De plus, un compte bancaire a été ouvert pour aider financièrement toutes les familles touchées par l’attentat », affirme père Boulos Halim.
Sous le rythme mélancolique de Golgotha, la montagne sur laquelle Jésus a été crucifié et symbole de tristesse, que l’Eglise a fait ses adieux à tous ceux qui ont disparu et qui sont au ciel, mais les parents et proches sont là à prier pour eux dans l’église. « Ils sont partis un peu trop tôt et malgré notre douleur, nous sommes sûrs qu’ils dorment en paix », confie Fahim, le grand-père de la défunte Magui. Il se tait un instant puis poursuit : « La dernière phrase que Magui a prononcée dans la pièce de théâtre dans laquelle elle a joué résonne encore dans mes oreilles : Que Dieu remplace notre chagrin par un bonheur. Il semble qu’elle a deviné le sort qui l’attendait. Ce bonheur éternel ».
Des attaques en pleine fête
La communauté copte égyptienne n’avait pas vécu d’attentats aussi meurtriers depuis l’attaque du 1er janvier 2011,
à la sortie d’une église à Alexandrie. (Photo : AP)
Durant les dix dernières années, les églises égyptiennes ont été cible de plusieurs attentats meurtriers. D’après Ishaq Ibrahim, chercheur chargé du dossier de la religion et de la liberté des croyances auprès de l’Initiative égyptienne pour les droits privés, 2016 a été une année macabre. Trois attaques contre les coptes ont eu lieu au milieu de l’année. Il suffit de citer celle d’Al-Karm où des musulmans ont mis le feu dans les maisons des chrétiens et ont dénudé la mère d’un copte soupçonné d’avoir une relation avec une femme musulmane mariée. Ou encore l’incendie d’un bâtiment dépendant d’une église à Al-Amériya au gouvernorat d’Alexandrie et l’assassinat d’un évêque au Sinaï, le gouvernorat où les autorités égyptiennes sont dans une bataille acharnée contre les terroristes. Mais l’attaque la plus spectaculaire est celle qui a eu lieu le 11 décembre dernier, lorsqu’un kamikaze s’est précipité au sein de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul faisant une vingtaine de morts et une quarantaine de blessés. Ces attaques sont intervenues après un certain répit en 2014 et 2015, alors que l’année 2013 a été elle aussi une année meurtrière pour les coptes. Selon le rapport de la fondation Maspero, en 2013, une attaque a eu lieu à l’église de la Vierge Marie à Warraq et qui a causé la mort de cinq personnes dont quatre chrétiens qui assistaient ce jour-là à un mariage. Durant cette même année, une attaque a eu lieu contre la Cathédrale après la prière lors des funérailles de six personnes qui ont trouvé la mort au cours des confrontations à Al-Khossous au gouvernorat de Qalioubiya. Bilan : un mort quelques jours avant Pâques.
Deux ans auparavant, quelques jours avant la révolution de janvier, la communauté copte avait également vécu un véritable cauchemar à Alexandrie le jour de l’an. Une vingtaine de personnes ont trouvé la mort après avoir terminé la messe à l’église des Deux Saints. Le 7 janvier 2010, six personnes ont trouvé la mort suite à une agression à Nag Hammadi en Haute-Egypte, selon Rami Kamel, activiste copte et directeur de la fondation Maspero. Deux mois plus tard, des affrontements entre musulmans et coptes ont fait 12 morts et plus de 200 blessés dans le quartier populaire d’Imbaba au Caire, où une église est attaquée et une autre incendiée.
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