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Droits des enfants : Les médias sur le banc des accusés

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 18 octobre 2016

Avec un vide législatif doublé d'un manque de conscience généra­lisé, les violations des droits des enfants dans les médias pas­sent quasiment inaper­çues. Un colloque organisé récemment à Al-Ahram tire la son­nette d’alarme.

Droits des enfants : Les médias sur le banc des accusés

La scène se déroule dans un commis­sariat. On ne voit pas qui parle, on entend seulement deux voix mascu­lines posant des questions à des enfants. Tout ce qui apparaît à l’écran ce sont les visages dévoilés d’enfants lors d’une enquête sur un viol. La victime, aussi bien que les accusés, sont des mineurs. La caméra se promène librement montrant la tête de chaque inculpé puis se fige quelques instants pour insister sur les expressions de chacun.

Cette scène s’est bel et bien déroulée dans un commissariat de police. Les deux voix sont celles d’un commissaire et d’un présentateur télé. Car la scène a été filmée pour être retrans­mise dans une émission télévisée. Telle quelle. Sans cacher les visages des enfants. Une violation flagrante des droits des enfants.

En effet, lorsqu’on parle de violations des droits des enfants, on oublie souvent que les médias y prennent aussi part. C’est, en effet, ce qui était démontré lors d’un colloque récemment organisé pour attirer l’attention sur les erreurs commises par les médias à ce sujet. Les organisateurs ont donc diffusé cette vidéo comme preuve de ces violations. Un mauvais exemple qui prouve l’ignorance et le manque de professionnalisme de ceux qui travaillent dans le domaine des médias et la manière avec laquelle ils abordent des sujets sans tenir compte des conventions internationales concernant les droits de l’en­fant. En fait, c’est la raison pour laquelle cet atelier s’est tenu. Intitulé « Média ami de l’enfance », l’atelier de travail a été organisé sous l’égide du Conseil arabe de l’enfance et du développement, dépendant de la Ligue arabe. Deux jours durant, des journalistes, des spécialistes dans le domaine des droits de l’enfant et des représentants des médias ont évoqué la situation actuelle. Tous ont conve­nu qu’il existe bel et bien une transgression aux conventions internationales relatives aux droits de l’enfant, que l’Egypte a signées, et à la Constitution égyptienne elle-même, qui consacre tout un article (l’article 11) à la protection des droits des enfants.

Le but, comme le déclare Hassan Al-Bilawi, secrétaire général du conseil, c’est de créer un dialogue, mettre en place des plans d’ac­tions pour faire cesser toute violation com­mise par les médias et instaurer un code d’éthique appelant au respect des droits de l’enfant au sein des médias. « Les enfants constituent 40 % de la société égyptienne, il est donc normal d'accorder plus d’impor­tance à leurs droits. Et pour que la société soit sensibilisée à ce sujet, il faut que les médias jouent leur rôle convenablement et commencent eux-mêmes par respecter ces droits pour pouvoir jouer leur rôle convena­blement et délivrer le bon message au reste de la société », dit Al-Bilawi. D’après ce dernier, ce sujet est devenu une priorité suite à une étude sur terrain, faite par le Conseil, et dont les résultats sont troublants. Cette étude, qui inclut six pays arabes, a révélé de nom­breux cas de graves violations des droits de l’enfant commises par les médias. Le constat est quasiment le même dans les six pays arabes concernés par l’étude (voir encadré). Et la situation est encore plus compliquée dans les pays qui vivent des conflits armés comme la Syrie et l’Iraq. Là, les enfants sont exploités, portent des armes et servent de boucliers humains. Mais là, c’est une affaire d’une autre dimension ...

Multiples visages, même violation

Selon Adel Abdel-Ghaffar, doyen de la faculté de communication et des médias à l’Université d’Al-Nahda, même s’il ne faut pas ignorer certains points positifs traités par les médias — rôle de la famille, droit à l’édu­cation et à la santé, etc. —, l’image de l’en­fant qui y est présentée est défigurée, péjora­tive. « Ainsi, le message transmis présente une vraie violation », dit-il. Et les exemples ne manquent pas. Selon Abdel-Ghaffar, « outre le fait de montrer des enfants à visage découvert dans certaines émissions-choc, l’enfant en tant que symbole est très souvent exploité dans des spots publicitaires, notam­ment ceux appelant à faire des dons pour tel ou tel organisme ou hôpital : on le voit racontant son histoire déchirante en pleurant ou en suppliant de lui venir en aide ».

Mahmoud Qandil, avocat et expert dans le domaine des droits de l’homme, affirme, de son côté, qu’« il est courant en Egypte de divulguer des noms ou des photos d’enfants impliqués dans des procès ou victimes de conflits familiaux. Ceci va certainement à l’encontre des droits de l’enfant ». L’avocat cite un exemple précis : « Une émission télé montre un enfant dans un cimetière, en pleine nuit, celui-ci raconte comment son père l’a enfermé dans le caveau pour le punir de l’in­fidélité présumée de sa mère. A quoi cela sert-il ? Pourquoi infliger à un enfant de raconter une telle expérience ? N’est-il pas suffisant qu’il l’ait endurée ? Comment un tel enfant peut-il devenir un adulte équilibré ? ».

Du coup, plutôt que d’agir pour lutter contre les violations à l’encontre de l’enfant, et ce, en traitant des sujets somme le travail des mineurs, le mariage précoce, l’excision, etc., les médias ont un rôle inverse, presque nuisible. C’est également le cas en ce qui concerne la lutte contre la drogue comme l’explique Amr Osman, directeur du Fonds de la lutte contre la drogue. « Sous prétexte de montrer la réalité crue, dans les films et les feuilletons télévisés, on présente des scènes qui expliquent exactement la manière avec laquelle on consomme de la drogue et la manière avec laquelle on peut en acquérir tout en citant des astuces pour échapper à la surveillance de son entourage. Il est banal de voir des enfants fumer par exemple ».

De manière indirecte donc, les médias inci­tent les téléspectateurs mineurs à agir de même. Et, selon la psychiatre Salwa Hammam, tout ceci est susceptible d’avoir une influence néfaste sur la psychologie des enfants comme elle l’affirme. Car, selon elle, les enfants regardent la télé énormément, et sont directement influencés par ce qui y est diffusé.

Double problématique

Or, si de telles images sont monnaie cou­rante sur les écrans égyptiens et plus généra­lement arabes, c’est qu’il existe une double problématique : d’un côté, il y a un vide législatif, de l’autre, un manque quasi total de conscience auprès des citoyens. D’une part, le concept des droits des enfants est peu connu, voire inconnu auprès des différentes sphères de la société, mais bien sûr à diffé­rentes échelles. En effet, ni ceux qui tra­vaillent dans les médias télévisés, ni les téléspectateurs, ni même les enfants dont les droits sont bafoués eux-mêmes ou leurs parents ne se sentent dérangés par l’image que diffusent les médias. De l’autre, il existe un véritable vide législatif. En effet, Iman Bahieddine, responsable des médias auprès du Conseil arabe de l’enfance et du dévelop­pement, affirme que « l’Egypte a certes signé les conventions internationales qui garantis­sent les droits de l’enfant — notamment le traité international datant de 1989 et adopté par l’Assemblée générale des Nations-Unies appelant au respect et à la protection des droits spécifiques des enfants, il n’en demeure pas moins qu’il n’existe aucune législation relative aux irrégularités ou infractions commises par les médias à ce sujet ». De même, selon Iman Bahieddine, il n’existe aucun organisme chargé d’agir contre les violations des médias ou tout sim­plement de les répertorier, ni au niveau offi­ciel, ni au niveau des ONG. Quant à Qandil, il estime que l’Egypte possède suffisamment d’articles dans sa Constitution à ce sujet. Ce qui manque c’est une législation qui organise le travail des médias.

Réguler l’action des médias

Un manque à pallier donc. Une première tentative a été lancée en 2008 par la Ligue arabe. Celle-ci avait alors promulgué un document organisant la diffusion des médias audiovisuels, mais le projet est resté lettre morte, et plusieurs pays arabes ont refusé de l’appliquer.

Cela dit, protéger les enfants et leurs droits ne signifie pas un black-out total au niveau des médias. Au contraire. Selon Qandil, « les médias se doivent de dévoiler certaines vérités, de cher­cher des sujets d’actualité à débattre, mais il faut respecter certaines normes avec à leur tête le droit à l’anonymat ». Le tout est donc de réguler l’action des médias. Et c’est justement ce qu’a pointé du doigt l’atelier de travail orga­nisé par le Conseil arabe de l’enfance et du développement et qui a mis en place un code d’honneur qui doit être respecté et suivi par ceux qui travaillent dans ce domaine. Il s’agit d’un code d’honneur incluant dix recommandations destinées à réguler le travail des médias dans l’avenir. Parmi ces recommandations : activer et revoir les lois et s’assurer de leur compatibilité avec les conventions internationales ; inviter les conseils concernés par les médias à jouer leur rôle d’inspection et d’analyse contre toute viola­tion des droits de l’enfant ; inciter les enfants à contribuer et à participer à tout ce qu’on leur présente à leur sujet ; inviter les institutions médiatiques à diffuser des émissions consacrées aux enfants prenant en considération leurs droits.

Une initiative avec beaucoup de bonne volonté, mais qui ne servira à rien tant que prévaudra le vide législatif. En attendant, les participants à l’atelier comptent sur la sensibi­lisation de ceux qui travaillent dans les médias et à la conscience de tout un chacun.

Triste constat

L’étude effectuée en 2012 par le Conseil arabe de l’enfance et du développement en colla­boration avec la Ligue arabe a eu lieu dans six pays : l’Egypte, le Liban, l’Arabie saoudite, l’Algérie, la Tunisie et l’Iraq. L’équipe de recherche était formée d’experts arabes qui ont travaillé sur trois axes : Evaluer ce que présentent les médias arabes concernant les sujets relatifs à l’enfance, faire un sondage pour connaître l’avis des enfants sur les émissions pré­sentées à la télé, évaluer le niveau du professionnalisme de ceux qui travaillent dans le domaine des médias. Le résultat de cette étude a prouvé que le thème des droits de l’enfant n’occupe pas assez d’espace dans les chaînes arabes, et les tranches horaires qui y sont consa­crées sont insuffisantes. De plus, il y a un manque de programmes destinés aux enfants à handicap, afin de discuter de leurs problèmes et de leurs droits. Cette étude est considérée comme la première qui fait partie d’un grand projet qui vise à fonder « un observatoire d’infor­mations pour les droits de l’enfant arabe ». Ce projet sera chargé d’observer et de passer en revue les émissions présentées par les médias concernant les enfants pour s’assurer que l’on ne transgresse pas leurs droits suivant les articles des conventions internationales.

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