Dans quelle école doit-on inscrire ses enfants ? Quel enseignement leur conviendrait ? Des questions qui préoccupent les familles égyptiennes qui dépensent environ le quart de leur budget pour éduquer leur progéniture. Bien que l’année scolaire ait commencé, les discussions des parents vont bon train sur Facebook. Sur la page madaress madaress, les familles racontent leurs expériences dans les écoles publiques, expérimentales ou privées. Chacun énumère les qualités et les défauts des différents systèmes éducatifs (égyptiens ou étrangers). D’autres pages proposent des écoles à même de satisfaire les ambitions de chaque famille. « Je cherche une école qui enseigne le français comme première langue. Quel est le meilleur choix à faire : une école religieuse ou une école privée ? J’attends vos propositions ». « Je cherche un système d’enseignement qui garantit une bonne formation à mon fils avec des frais qui ne dépassent pas 10 000 L.E. Est-ce possible ? ». « Je voudrais connaître la différence entre une école expérimentale ordinaire et une autre expérimentale de langue », etc.
Un casse-tête ? Peut-être. Si les parents hésitent devant le choix d’une école, c’est en raison de la diversité des systèmes d’enseignement disponibles en Egypte. Le système national lui-même se ramifie en plusieurs écoles publiques supposées être gratuites (les frais de scolarité ne dépassent pas les 100 L.E.), les écoles expérimentales, dont les frais de scolarité varient entre 600 L.E. et 800 L.E. par an (système public payant qui est censé avoir certains avantages comme un nombre d’élèves réduits et des équipements en bon état), et les écoles privées dont les frais de scolarité varient entre 3 000 L.E. et 20 000 L.E. par an. Il y a ensuite les écoles internationales où les frais de scolarité commencent à 40 000 L.E. par an et peuvent atteindre 150 000 L.E. Plus les frais sont élevés, plus l’enseignement est de qualité.
Question de moyens
Dans cette ambiance pédagogique, où le menu est très varié, le choix dépend surtout des moyens de chaque famille, et pour certains, de la façon de penser. Près de 18 millions d’élèves se sont inscrits cette année dans les écoles publiques, soit plus de 90 % des écoliers. Un choix qui paraît normal dans une société dont plus de 40 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté. En vertu de la Constitution, l’enseignement public est gratuit, mais les familles dépensent beaucoup d’argent pour les cours particuliers. La facture annuelle des cours particuliers est évaluée à plus de 22 milliards de L.E. La qualité de l’enseignement dans les écoles publiques est médiocre. Un élève, surtout hors du Caire, peut atteindre la fin du cycle préparatoire sans savoir lire et écrire correctement, comme le remarque Kamal Moghis, chercheur en pédagogie. Une raison qui pousse certains parents à opter pour les écoles privées. Bien que Chérif Raouf, 42 ans, informaticien, ait reçu une éducation publique, il a choisi pour ses enfants une école privée après avoir rendu visite à son ancienne école et constaté à quel point son état s’est détérioré. « Autrefois, dans cette même école, il y avait une vaste cour, un terrain de foot, un autre pour le basket et un quatrième pour le handball et le volley-ball. Tout cela a disparu pour construire de nouvelles classes, afin d’assimiler le flux croissant d’élèves. Il n’y a donc plus d’activités dans les écoles publiques », assure Chérif, qui a opté pour l’une des 163 écoles religieuses qui dépendent des églises européennes, présentes en Egypte depuis la fin du XIXe siècle. « Les frais de scolarité de ces écoles sont raisonnables, ils varient entre 5 000 L.E. et 15 000 L.E. Des sommes abordables pour les familles de la classe moyenne », ajoute Chérif, qui veut que sa fille maîtrise les langues étrangères (le français et l’anglais).
Nombreuses sont les familles qui préfèrent les écoles nationales privées plutôt que les écoles internationales. « A quoi sert d’apprendre à mes enfants l’histoire d’un pays étranger et d’ignorer celle de leur propre pays ? Comment pourront-ils être dévoués à leur pays et comprendre les événements ? », explique Nourhane, mère de deux enfants. Elle ajoute qu’il existe aussi des erreurs dans le contenu de certains livres d’histoire enseignés dans les écoles étrangères. « Il y a quelques années, un incident a choqué l’opinion publique quand on a découvert que dans une école internationale, les élèves apprenaient que ce sont les juifs qui ont construit les pyramides. Des prétentions qui n’ont aucun fondement, surtout que les pyramides ont été bâties des milliers d’années avant l’entrée du judaïsme en Egypte ».
Un fait qui a poussé le ministère de l’Education à imposer l’apprentissage des matières sociales (histoire et géographie), éducation religieuse et langue arabe dans les écoles étrangères. Seulement, il est apparu que les élèves travaillaient peu ces matières, car leur coefficient est faible et qu’elles ont peu d’impact sur la moyenne générale.
Certains parents préfèrent les écoles nationales plutôt que les écoles internationales bien que l’enseignement soit meilleur dans ces dernières, et afin d’être à l’abri de l’ambiance jugée « trop libérale » qui règne dans les écoles étrangères. Doaa, une mère de deux enfants, traductrice de 40 ans, a retiré son fils de 15 ans de son école étrangère quand il lui a posé la question : Pourquoi ne doit-on pas admettre les homosexuels dans la société si chacun est libre de choisir sa vie ? « La démocratie et la liberté d’expression, qui sont une monnaie courante dans l’enseignement dans ces écoles, ne doivent pas s’opposer aux principes religieux et aux traditions fondamentales de la société », avance-t-elle.
« Les écoles étrangères ont vu le jour en Egypte en 1986. A cette époque, Fathi Sorour était ministre de l’Education, et il a permis qu’une première école britannique octroie des certificats internationaux en Egypte. En 1991, l’enseignement américain a vu le jour, et en 2000, le baccalauréat français et le IBO (International Baccalaureat) sont apparus », rappelle Tareq Talaat, directeur général de l’enseignement privé au ministère de l’Education. Les écoles internationales étaient destinées aux enfants de diplomates, puis à la couche aisée de la société, selon les propos de Moughis, a fait pression sur les responsables du ministère de l’Education pour introduire les élèves égyptiens dans ce système. Les parents, qui peuvent payer les frais des écoles internationales, aspirent à un meilleur niveau d’enseignement pour que leurs enfants trouvent plus facilement du travail. « Nous avons mis de côté les écoles privées pour nos deux enfants car leurs méthodes d’enseignement sont basées sur le parcoeurisme et que les idées transmises par les professeurs sont vieilles et ne correspondent pas à la réalité d’aujourd’hui », raconte Dalia, épouse d’un homme d’affaires. Selon elle, le coût de cet enseignement est logique, car les enfants ont accès à des informations approfondies et à une pédagogie inexistante dans l’enseignement privé traditionnel.
Eviter le bac égyptien
Par ailleurs, certains parents ont fait le choix de l’enseignement étranger pendant le cycle secondaire pour éviter le système du baccalauréat égyptien. « Je ne pourrais pas supporter de payer 50 000 L.E. ou un peu plus pour des leçons particulières au bac et à la fin, à cause d’une fuite d’examen, ma fille peut ne pas avoir une place à l’université », explique Madiha, décoratrice. Sa fille Malak, étudiante en deuxième année de l’IG (bac britannique) aimerait faire des études de beaux-arts. « Au bac britannique, les matières principales sont réparties sur les 3 années d’études avec une ou deux matières spécialisées », souligne-t-elle. Malak est satisfaite de ce système car cela lui permet d’économiser le temps qu’elle allait perdre dans les transports pour assister aux leçons particulières qui sont impératives au bac égyptien.
Mohamad Hammad Hendi, professeur de pédagogie et directeur de l’unité du développement de l’enseignement à l’Université de Béni-Soueif, est tout à fait d’accord sur la nécessité d’avoir des écoles étrangères en Egypte. Selon lui, la diversité des systèmes d’enseignement est un trait commun dans beaucoup de pays du monde. Il mentionne l’exemple des Etats-Unis et Singapour « qui appliquent la diversité tout en respectant la politique générale de l'Etat », précise-t-il. Il se rappelle que sa femme a travaillé en tant que professeur d’arabe dans une école consacrée uniquement aux élèves arabes qui résident aux Etats-Unis. « Cette école appliquait les critères de l’enseignement américain. Les matières scientifiques sont les mêmes et la répartition de la journée scolaire est compatible avec le système américain », affirme Hammad. Il pense qu’il faut sonder les parents au sujet des écoles et leur fonctionnement, et transmettre les résultats aux responsables du ministère afin de réduire le fossé entre les différents systèmes d’enseignement en adoptant une seule politique générale visant à réaliser un rapprochement entre les diplômés. « La situation actuelle de l’enseignement élargit le fossé entre les classes sociales renforçant le principe selon lequel celui qui a plus d’argent a de meilleures chances d’éduquer ses enfants, alors que les pauvres sont obligés d’apprendre dans des écoles dépourvues de services et d’équipements », annonce Saïd Al-Masri, professeur de sociologie à l’Université du Caire. Vu les lacunes de chaque système, Mayar a choisi que ses enfants étudient à la maison (Home Schooling). « Je vois que les enfants perdent les plus beaux jours de leur enfance à apprendre des informations théoriques sans avoir la chance de réagir et de contempler », dit-elle. Cette maman a consacré la plus grande chambre de la maison au matériel éducatif tout en consacrant 4 heures par jour à l’étude des mathématiques, de l’arabe et de l’anglais. « Nous avons inscrit notre enfant à l’école publique juste pour passer les examens de fin d’année », raconte Mayar. Elle a passé deux ans dans cette expérience et elle sent que son fils Nabil est devenu plus mûr que les enfants de son âge.
Lien court: